Mario Tronti : I am defeated

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  • À propos de la filiation entre #Lou_Reed et le #punk_rock.

    Ce qui suit vient en complément de la remarque que j’ai laissée sur le thread de @colporteur concernant Tronti :
    https://seenthis.net/messages/1012626
    Dans mon commentaire, j’évoquais le fait qu’un passage d’une interview tardive de Tronti, se montrant très critique vis à vis de l’autonomie des années 70, m’évoquait le jugement négatif porté par Lou Reed sur le punk anglais. Je précisais que, dans les deux cas, il s’agit de fortes personnalités qui ont chacune inspiré une forme de continuité ou de filiation dans lesquelles elles ne se reconnaissaient pas en totalité, voire pas du tout.

    Plutôt que d’encombrer le thread de colporteur avec un sujet qui n’a, en définitive, qu’un rapport très éloigné avec son objet principal, je préfère compléter ma remarque avec ce nouveau seen. Cela me donnera l’occasion de proposer quelques réflexions et autres éléments factuels, concernant Lou Reed et son rapport au punk rock, au moment de l’émergence de ce courant (75-78).

    Et d’abord, est-il nécessaire de s’attarder sur la filiation existante entre Lou Reed et le punk rock, tant elle semble s’imposer, presque naturellement ? Il n’y a qu’à voir la multitude de textes qui pullulent sur le web pour constater à quel point le consensus règne sur ce sujet.

    La question vaut pourtant d’être posée, me semble-t-il, surtout pour ce qui concerne la période de l’éclosion de la tendance punk, au sens où nous l’entendons désormais, c’est à dire entre 1975 et 1978. Après, c’est une autre histoire. Lou Reed lui même n’est plus la même personne et le genre musical punk évolue aussi de son côté.

    Qui dit punk dit provocation et quand on regarde les vidéos qui suivent, on se demande s’il est possible de dépasser Lou Reed dans l’art de la provoc :

    https://youtu.be/UsiA6jiIaDE?feature=shared


    Lou Reed Interview 1974 Australia

    https://youtu.be/bx-mH9ZjnuM?feature=shared


    Are You Happy Being A Schmuck ? Lou Reed, Sydney 1975

    Dès le début, dans le Velvet Underground de 65, Lou Reed porte les cheveux courts. Il affiche une attitude outrageante et cynique, frappée d’une esthétique noire et blanche, toute en contraste. Ses chansons évoquent en termes crus la violence urbaine, la drogue, le sexe, la prostitution et l’identité queer (à une époque où le sujet était transgressif). À rebours de la mode dominante dans les 70’s, il déteste depuis toujours les hippies et revendique une forme musicale qui s’en tient à la simplicité du rock ‘n’ roll des origines (3 accords suffisent pour l’essentiel). On retrouve ici tous les ingrédients qui constituent la base même du punk rock.

    À partir de 1977 et cela, pour une poignée d’années, il n’y a aucun doute : plus qu’Iggy, Lou est l’idole des jeunes punks (en France). Il suffit d’avoir les cheveux courts, de porter des lunettes de soleil, un jean serré, un blouson de cuir et d’écouter ces nouvelles choses venues d’Angleterre. On est alors partie prenante de la génération qui s’affirme en congédiant violemment toutes les saintes icônes du passé, s’imaginant, par là-même, faire table rase. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois, mais peu importe.

    Lou Reed était alors le repère absolu de cette brusque mutation. Personne ne pouvait même envisager qu’il puisse porter le moindre regard critique sur un mouvement qui reprenait ses codes et le portait en étendard.

    On l’avait vu au CBGB. Il côtoyait Patti Smith et affirmait, en novembre 1975, son admiration pour les Ramones :

    When Lou Reed Heard the Ramones For The First Time - Riot Fest 2023 – September 15th-17th
    https://riotfest.org/2017/11/15/lou-reed-heard-ramones-first-time


    “They’re crazy. That is without a doubt, the most fantastic thing you’ve ever played for me, bar none. It makes everybody else look so bullshit and wimpy – Patti Smith and me included, just wow. Everybody else looks like they’re really old-fashioned.”
    “That’s rock ‘n’ roll,” he continues. “They really hit where it hurts. They are everything everybody worried about; every parent would freeze in their tracks if they heard this stuff.”
    Everything, you know… They got them an amp, they got them a guitar. Now loStoogesok! (laughing). There they are! Their worst dreams come true. It doesn’t take any talent, all they’re doing is banging it, And look at this. That is the greatest thing. I’ve ever heard.”

    Alors, au nom de quoi en viendrait-on à remettre en cause la légende du « Godfather of Punk » ? Tout porte à penser, au contraire, que Lou Reed refuse, dans ces années-là (75-78), de jouer un quelconque rôle dans la mafia du punk.

    D’abord il suffit de se rappeler qu’il déclare, alors, détester, à peu de chose près, le monde entier (sauf lui), surtout si ce monde est localisé aux Royaume Unis et, pis, sur la côte ouest des USA. Il n’est donc pas nécessaire d’essayer de chercher des déclarations explicites sur le web pour savoir s’il conchie ou non le punk rock, en cette période de sa vie. Punk ou non, la règle générale pour M. Reed, c’est « Pas de quartier ! », comme l’a si bien titré le hors-série de Rock& Folk – Uncut (sorti, il y a quelques années) qui lui est consacré.

    Ensuite, il ne faut pas oublier que Lou Reed était, à ce moment-là, en permanence dans le jeu, la simulation et le mensonge. D‘ailleurs, il ne s’en cachait pas : mieux valait ne jamais prendre pour argent comptant tout ce que le personnage incarné par Lou Reed racontait aux journalistes.

    Lorsqu’il « se shootait avec une seringue » sur scène en interprétant Heroin, ce n’était rien d’autre que du grand cirque. Une mise en scène, en tout point comparable à la pendaison kitsch d’Alice Cooper, même si la comparaison insupporte au plus haut point les puristes du Velvet Underground.

    C’est ce qu’avait très bien compris Johnny Rotten qui, contrairement à Sid Vicious, n’est pas tombé dans l’addiction. Le pauvre Sid s’avérait être dans l’incapacité de prendre la moindre distance avec toutes ces images de débile qu’on lui demandait d’interpréter pour se transformer en nouveaux archétypes de l’industrie du rock ‘n’ roll. Il s’est laissé enfermer par toutes les instances destructrices de son personnage, à commencer par la pire de toutes, celle du rocker junkie qui lui a été fatale. ( Sex Pistols – Rotten by Lydon p.224)

    L’explication générationnelle, souvent évoquée, selon laquelle la « new wave » aurait menacé la vieille garde rock des 60’s - début 70’s, est plausible pour les Stones, Led Zeppelin, The Who, David Bowie, etc. mais elle ne tient pas vraiment la route avec Lou Reed ni, d’ailleurs, avec l’autre « parrain du punk », Iggy Pop.

    Le punk – anglais, notamment – s’impose à la fois comme une surenchère du Rock des 70’s et comme son dépassement. En l’occurrence, il s’agit de dépasser, sur son propre terrain, la mode précédente, à savoir le « glam rock » (ou « rock décadent », selon l’expression en usage à l’époque, tout du moins, en France), tout en empruntant un retour formel aux fondamentaux du rock ‘n’ roll des 60’s.

    Lou Reed et Iggy Pop, étaient les inspirateurs directs de cette nouvelle vague qui, à partir de 1975, s’est mise à dépasser brutalement le glam rock (et les autre genres moins populaires, comme le rock progressif). Ces deux rockers n’appartenaient pas à l’univers musical en train d’être dépassé.

    Bien que n’étant pas exactement de la même génération et ne se rattachant pas à la même origine musicale – l’un ayant créé de toute pièce un genre typiquement new-yorkais, avec le Velvet Underground, et l’autre étant associé avec les Stooges, à la scène « brut de décoffrage » de Detroit, celle du MC5 – Lou et Iggy ne pouvaient pas être associés à la scène « glam rock », si ce n’est de façon superficielle, par leur relation avec David Bowie.

    Pour toutes ces raisons, un « Lou Reed punk » semblait à l’époque - et s’impose encore aujourd’hui - comme l’évidence même. Pour autant, tout porte à penser, comme je l’ai déjà évoqué, que cette filiation stylistique tient du plus grand des malentendus et c’est ce que nous allons voir à présent (pour Iggy, c’est une autre histoire).

    Le mythe du « Lou Reed punk » repose en grande partie sur une image correspondant à une période musicale qu’il a toujours décrite lui-même comme étant la pire de toutes. Celle du sale gamin blond, qu’on a vu sur l’une des vidéos, ci-dessus, dont le crâne est éventuellement orné d’une croix de fer.

    L’image de ce personnage juvénile (Lou Reed est alors âgé de 32 ans), qui prend la pose, jouant au gosse teigneux et mal élevé, vous regardant de travers derrière ses Ray-Ban, c’est celle de Sally Can’t Dance (1974), un disque truffé d’overdubs, dans lequel la rock star n’est réellement intervenue elle-même que 20 minutes, entourée de requins de studio et d’un producteur qui n’est autre que l’ancien guitariste de Blood Sweat & Tears. Dans le genre DIY, on fait mieux !

    De cette époque, ne reste, en fait, que l’image sulfureuse du provocateur, auxquelles s’ajoutent, certes, les riches évocations musicales et visuelles des périodes précédentes, du Velvet Underground, de Transformer et de Rock ‘n‘ Roll Animal (ce dernier étant la captation d’un concert de 73, publié en 74) mais, en cette année 74, précédant juste l’émergence du mouvement punk, on ne retient pas grand-chose de en terme de « punkitude », du côté de l’œuvre musicale de Lou Reed.

    On pourrait même dire que, d’un point de vue stylistique, la période de l’éclosion du punk s’avère être totalement à rebours de celle de Lou Reed.

    Au même moment, le musicien évoque souvent que, parmi ses propres disques, Berlin est le plus important. On ne peut pas vraiment décrire le genre musical de cet opus comme étant un must « d’esthétique punk », pas plus, d’ailleurs, que tous les autres disques studio qui suivront jusqu’en 77 : Sally Can’t Dance , Metal Machine Music, Coney Island Baby, Rock and Roll Heart.

    Il faudra attendre 1978, en pleine furie punk et new wave, pour que Lou Reed, avec Streeet Hassle, « remette les pendules à leur place » (comme dirait notre Johnny national). Il lâche alors un brûlot, ponctué toutefois de douces mélodies au violoncelle, qui renoue avec la réputation trash et provocante du musicien. Ce disque est reconnu, dès sa parution, comme une pièce maîtresse de Lou Reed. Il est beaucoup plus largement compatible avec l’air du temps que ceux qui l’ont précédé. Le beau ténébreux impose son ascendance sur le mouvement musical du moment. Néanmoins, le message ressemble plus à un bras d’honneur qu’à une marque de réciprocité affectueuse adressée à des admirateurs.

    Par sa production musicale de 75-78, Lou Reed s’adresse donc à son « public punk » - c’est à dire, à ceux qu’il considérait probablement comme étant des suiveurs - soit par une indifférence totale, soit par un dédaigneux Leave me alone.

    Le parrain refuse alors clairement de commander ses troupes. Non seulement, Lou Reed méprise profondément le punk rock et la new wave mais il estime qu’il n’a absolument rien à voir avec tout cela.

    En 1975, Lester Bang relate que Lou Reed réfutait déjà toute filiation avec le glam rock, auquel il alors était associé (Psychotic reactions & autres carburateurs flingués – p.266). Comme nous le verrons, il aura exactement le même comportement avec le punk rock en 1976. On se demande même s’il faisait réellement la différence entre ces deux genres musicaux.

    En fait, pour le Lou Reed de cette époque, toute comparaison avec lui est inutile, quel que soit le genre musical, puisqu’il se considère comme étant fondamentalement différent des autres. Il est à la fois rock ‘n’ roll et littéraire ; outrageux et cultivé.

    Pour terminer, j’aimerais évoquer en quelque sorte « l’ultime preuve » de mon propos ; plus exactement, la référence qui s’est imposée directement à moi quand j’ai envoyé mon commentaire au message de colporteur. Il s’agit d’un passage de Shot !, le documentaire consacré au célèbre photographe Mick Rock, à qui on doit, entre autres, le visuel de Transformer et celui de Raw Power.

    Dans cet extrait du documentaire on entend notamment une conversation entre le photographe et Lou Reed, concernant le punk rock. Le propos m’avait frappé quand je l’ai écouté la première fois parce que, précisément, il contredit complètement la thèse du Godfather of Punk .

    Ce passage du film fait partie d’un enregistrement sur K7, réalisé par Mick Rock en 1976. D’autres extraits de cet enregistrement sonore figurent dans le film.

    Je n’avais plus cette vidéo. Je l’ai donc récupérée. J’en gardais, me semblait-il, un souvenir suffisamment précis, pour que je puisse m’avancer sur le thread de colporteur sans même vérifier mes sources.

    En réalité, ma mémoire m’a trahi (même si, pour l’essentiel, je ne me suis pas planté en formulant mon commentaire).

    Tout d’abord, j’avais oublié que ce passage du film n’était qu’un enregistrement strictement sonore. Dans mon souvenir, je voyais même le visage de Lou Reed exprimant, par sa moue caractéristique, un jugement sans appel contre le punk rock, alors que pendant toute cette séquence, la vidéo ne présente aucune autre image que la photo d’une K7, accompagnée de temps à autre, d’un gros plan sur le profil de Mick Rock qui écoute la conversation. Comme quoi, il faut toujours se méfier de ses souvenirs !

    De façon plus importante, ma mémoire m’a joué des tours sur le contenu : je pensais que Lou Reed exprimait une critique, en ciblant plus particulièrement le punk anglais, d’où mon commentaire. En fait, c’est au genre « punk rock » dans sa globalité que Reed réserve ici ses injures ; car il s’agit bien d’injures, adressées, y compris aux Ramones dont il avait pourtant fait l’éloge, quelques mois plus tôt (comme nous l’avons vu). Ceci étant, dans un milieu où l’on s’adressait mutuellement des salutations en s’envoyant des crachats, l’injure reste probablement une aimable civilité.

    Le deux protagonistes étaient intimes. Cela signifie qu’il ne s’agit pas d’une interview classique où Reed s’amuse à déstabiliser le ou la journaliste en lui tendant des pièges. La conversation était au contraire, très apaisée. Tout porte à croire que le musicien exprimait réellement ce qu’il pensait.

    La retranscription de la bande son, proposée ci-dessous, est tirée directement du sous-titrage en VO du film.

    SHOT ! The Psycho-Spiritual Mantra Of Rock – 2016 – 58:17

    Mick : What about punk rock, thought ? ‘Cause you get balmed for that. But it’s getting to be a real number at the moment, isn’t it ? In England and in London and New Yok, too…
    Lou : Oh it’s absolute shit. It’s stupid.
    Mick : It’s just what ?
    Lou : It’s just stupid.
    Mick : What ? Punk rock ? Well, that may be true…
    Lou : I’d be too literary for punk rock.
    Mick : Oh yeah…
    Lou : I told people endlessly ; I… No I did not do doo-wop songs, uh, songs on street corners.
    Mick : You mean you don’t spiritualy feel akin to… some poeple like the Ramones… Stuff like that ?
    Lou : Oh please !
    Mick : [laughs]
    Lou : They’re so dirty.
    Mick : But you like that little single they did there… I thought that was quite cute « I Wanna Be Your Boyfriend ».
    Lou : It’s a heap of shit…
    Mick : Huh ? Yous say « It’s heap of shit ? »
    Lou : Uh-huh…

    • Der Musiker und die Stadt : Was Lou Reed über Berlin sagte
      https://www.tagesspiegel.de/gesellschaft/panorama/was-lou-reed-uber-berlin-sagte-3525565.html
      En 2013 un journaliste se rappelle d’une interview de 1973 avec Lou Reed

      Sein Album „Berlin“ entstand allerdings, bevor er die Stadt überhaupt persönlich kannte. Das düstere Werk, in dem es um gewalttätige Beziehungen, Drogenabhängigkeit und Prostitution geht, schockierte bei seinem Erscheinen Kritik und Öffentlichkeit. Heute gilt es als Klassiker der Rockmusik. Als Reed die Songs für das Album schrieb, war sein Berlin-Bild geprägt von Filmen und Büchern. „Ich dachte an Christopher Isherwood, der in seinen Romanen die 1920er Jahre beschrieben hat, an den Schauspieler Peter Lorre, den Regisseur und Schauspieler Erich von Stroheim oder an Marlene Dietrich.“ Auch Filme wie „Nosferatu“ und Stücke wie die „Dreigroschenoper“ hätten sein damaliges Bild von Deutschland und Berlin geprägt. Die Mauer tauchte in seinen Songs als Metapher für die Trennung der Geschlechter, für Gefühlskälte und Depression auf. „Berlin stand für mich damals als Metapher für Eifersucht, für Zorn und Sprachlosigkeit.“

  • RIP Mario Tronti
    https://www.repubblica.it/politica/2023/08/07/news/mario_tronti_morto_politico_92_anni-410335343

    È morto a 92 anni Mario Tronti, politico e filosofo, una vita a sinistra. Già militante del Partito comunista italiano, Tronti è stato anche parlamentare. Eletto la prima volta al Senato nel 1992 con il Pds e, successivamente, nel 2013 con il Partito democratico. È scomparso questa mattina intorno alle 10 e 30 a Ferentillo, in provincia di Terni, conferma il dem umbro Pierluigi Spinelli.

    Si definiva un “rivoluzionario conservatore”, ma da alcuni anni si era allontanato dai riflettori della politica: «Sono in ritiro spirituale, nel monastero di Poppi, nel Casentino, retto dalle monache camaldolesi. Mercoledì compio 90 anni e questo passaggio bisogna farlo bene, sentirlo interiormente», disse a Repubblica in occasione del suo novantesimo compleanno. “La morte? L’attendo con serenità”, aggiunse. “Ho vissuto abbastanza. Spero tuttavia che sia un passaggio facile. Per dirla con Montaigne confido che la fine mi colga mentre sto coltivando le mie rape nell’orto".

    • Connaît vraiment celui qui hait vraiment. L’usine et la société, Mario Tronti, 1962.

      Mario Tronti, Michel Valensi
      https://www.cairn.info/revue-lignes-2013-2-page-143.htm

      La question du « populisme » hante la politique italienne (et européenne) depuis – et c’est l’analyse de Mario Tronti – « qu’il n’y a plus de peuple ». À quel moment ce concept-réalité s’est-il désagrégé et se peut-il qu’il se réagrège dans une société où la classe est devenue une catégorie sociologique ? « Je n’ai jamais plus oublié la leçon de vie apprise aux grilles des usines, quand nous débarquions avec nos tracts prétentieux qui invitaient à la lutte générale anticapitaliste, et la réponse, toujours la même, des mains de ceux qui prenaient ces bouts de papier et disaient en riant : “c’est quoi ? c’est du pognon ?” Telle était la “rude race païenne” », écrit Mario Tronti dans Nous opéraïstes. Le “roman de formation” des années soixante en Italie, Paris, Éditions de l’éclat, 2013, p. 24. « Peuple », parce qu’il y eut un « peuple communiste », dont l’Italie a témoigné, peut-être plus durablement qu’ailleurs en Europe, et dont la voix de Mario Tronti témoigne à son tour. Issu des milieux populaires romains, il sera l’une des figures les plus importantes de l’opéraïsme italien, au sein duquel s’est forgé ce style « scandé, ciselé, combatif, constant, agressif et lucide » (ibid., p. 19) dont il est l’héritier et qui donne à ses écrits une dimension quasi unique dans la prose politique du xx-xxi e siècle. Ce texte est une contribution à une discussion sur la question du « populisme » organisée par le Centro per la Riforma dello Stato. L’original italien a été publié dans la revue Democrazia e diritto, n° 3-4/2010.

      #Mario_Tronti #operaïsme

    • L’AUTONOMIE DU POLITIQUE CHEZ TRONTI, Toni Negri
      http://www.euronomade.info/?p=11938

      C’est à cette figure-là de l’histoire moderne, bien différente de la sienne, que j’étais, moi, profondément lié ; et je l’avais précisément appris d’Ouvriers et capital : il fallait suivre « l’histoire interne de la classe ouvrière », c’est-à-dire l’histoire de sa subjectivation progressive. Ce que je tentais de mettre en pratique, c’était le développement de l’intuition trontienne qui insistait sur la nécessité d’évaluer le degré de maturité auquel était arrivée la subjectivation de la force de travail, au point de – je cite Ouvriers et capital« compter vraiment deux fois dans le système de capital : une fois comme force qui produit le capital, et une autre fois comme force qui refuse de le produire ; une fois dans le capital, une fois contre le capital ».

      Ouvriers et capital, Mario Tronti (pdf)
      https://entremonde.net/IMG/pdf/entremonde-ouvriers_et_capital-tronti-livre-2-2.pdf

      #refus_du_travail #subjectivation #classe_ouvrière

    • "History has become small"
      Mario Tronti: I am defeated
      https://cominsitu.wordpress.com/2015/03/08/mario-tronti-i-am-defeated

      Under the soles of his shoes, you can still recognise the dirt of history. “This is all that remains. A mix of straw and shit by which we delude ourselves into erecting cathedrals to the worker’s dream.” Here’s a man, I say to myself, imbued with a consistency that bursts through in a total melancholy. It’s Mario Tronti, the most celebrated of the theorists of Operaismo. He has only recently finished writing a book on this subject: the origins of his thought, how it has changed and what it is today. I don’t know who will publish it (I would guess a decent publisher). I read a profound sense of despair. Like a chronicle of defeat articulated through the long agony of a past that has not yet passed at all, that refuses to die, but is no longer wanted.

      [...]

      How did your interest in Tai Chi start?

      Thanks to my daughter who loves and practices oriental culture. She would have wanted to become a nun, so she chose the same profound consistency in this world that I’ve only touched.

      Is there an element of unpredictability with children?
      Always: with individuals, just like with history.

      Did you expect that the story – I mean yours – would end this way?
      I always expect the best. Then come the knocks. Coming up against facts without an airbag can do you damage. I was a communist, marxist, operaista. Some things end. Some things last. I have learnt and applied the lesson of political realism: you can’t ignore the facts.

      And the facts today are indicative of a great crisis?

      Great and long. It concerns all of us a little, at many diverse levels. It’s lasted at least seven years and still nobody is able to tell us how to get out of it. We’re living in a time without epoch.

      What does it mean?
      It is our time, however it lacks an epoch: this period that has arisen and will continue into the future. History has become small, the daily report has prevalence: gossip, complaints, platitudes.

      #défaite #mélancolie_théorique (≠rien) #histoire #communisme

    • Partialité, initiative, organisation : les usages de Lénine par Tronti
      https://www.contretemps.eu/lenine-tronti

      Dans cette intervention, nous voudrons tenter un examen critique des usages de Lénine dans l’œuvre de Mario Tronti, en nous focalisant essentiellement sur les textes réunis dans Ouvriers et capital (1966), ouvrage central de l’expérience opéraïste classique telle qu’elle a été définie et délimitée par Tronti lui-même. Nous partons de l’idée que l’un des aspects les plus intéressants, sinon l’originalité principale de ce marxisme, a consisté dans l’affirmation de la centralité politique du travail. Affirmation théorique, mais qui est ancrée dans une situation sociale concrète : c’est au contact des jeunes générations ouvrières des années 60 et de leurs pratiques spécifiques d’insubordination que la pensée opéraïste découvre une subjectivité politique radicale à même le rapport social de production.

    • Un aventurier révolutionnaire dans l’interrègne. Mario Tronti (1931-2023)
      https://legrandcontinent.eu/fr/2023/08/08/un-aventurier-revolutionnaire-dans-linterregne-mario-tronti-1931-20

      Il est difficile de penser à une autre intelligence européenne qui soit passée de la culture du parti communiste et de l’horizon de la politique révolutionnaire — il était le cofondateur de l’influente revue Classe Operaia — à la participation parlementaire — en tant que sénateur du Partito Democratico — pour finir par un engagement profond dans la grammaire théologico-politique du christianisme occidental — allant jusqu’à professer une admiration univoque pour le pontificat de Benoît XVI, attitude théologique d’une gauche qu’on a pu qualifier de « marxiste ratzingerienne ». La pensée et l’activité politique de Tronti pourraient très bien être placées sous le signe de la figure de l’aventurier, c’est-à-dire de quelqu’un qui s’engage à prendre des risques, envers et contre toutes les mains tendues par le sens commun. Tronti gravitait en fait à cheval entre l’ethos de deux figures distinctes : l’aventurier preneur de risques et l’homme politique par vocation. Mais au fond de lui-même, il était convaincu que seule la première pouvait permettre à un homme politique passionné de s’acquitter véritablement de sa tâche.

      « Chez le Tronti tardif, la passion révolutionnaire devient une révocation de la politique moderne, sans pour autant renoncer au schisme contre la vie sociale comme condition préalable à la sérénité existentielle. » Gerardo Muñoz

    • « L’histoire, c’est eux, nous, c’est la politique ». Entretien avec Mario Tronti

      Mario Tronti (1931-2023), figure centrale de la culture marxiste de la seconde moitié du 20e siècle, est décédé le 7 août dernier. Dans cet entretien de 2016, inédit en français, il revient sur sa trajectoire militante et intellectuelle 👇

      https://www.contretemps.eu/mario-tronti-marxisme-operaisme

      Cet entretien a été conduit par Martin Cortes à Rome en février 2016 et fait partie de l’édition espagnole de La autonomía de lo político [L’autonomie du politique] (Buenos Aires, Prometeo, 2018). Il a été repris dans Jacobin America Latina le 8 août 2023. La traduction et les intertitres sont de Contretemps.

      https://twitter.com/SRContretemps/status/1690273066092244992

    • Je retiens :
      – L’IA qui joue au GO consomme 400KW quand son adversaire humain consomme 20W. Cette IA ne peut que jouer au GO.
      – L’IA qui reconnait les chats a eu besoin de 200K images pour fonctionner, quand un enfant de 2 ans a besoin de 2 images. L’IA ne reconnait pas le chat dans la pénombre, l’enfant si. Cette IA ne peut que reconnaître des chats, et encore avec un taux de réussite imparfait.
      – L’IA Google de conduite automatique ne sait pas faire la différence entre un panneau stop brandi par un humain pour faire une blague, et un vrai panneau stop.
      – Une IA est un outil, comme le marteau pour enfoncer le clou, construit par l’humain pour résoudre un type de problème particulier. L’IA qui résout tous les problèmes n’existe pas, car l’IA telle qu’elle est construite actuellement se fonde sur des données existantes. L’IA ne crée rien, l’IA régurgite.

    • Ce qui manque ici, comme souvent quand il est question d’IA, c’est de savoir comment la problématique s’inscrit sur le long terme dans les processus de production industrielle ; en particulier pour optimiser la productivité dans l’industrie informatique .

      La question à été un peu traitée à la fin de la vidéo, mais de façon absolument non critique et en ne l’abordant pas du tout sous l’angle spécifique des métiers de la filière informatique, ce qui est quand même un comble devant un public d’étudiantEs du secteur (si j’ai bien compris).

      Je n’ai aucun domaine de compétence pour confirmer l’hypothèse mais je me demande quand même si, avec ces techniques, permettant d’automatiser certaines tâches spécialisées, les développeurs (et de façon générale, les « informaticiens ») n’ont pas du soucis à se faire.

      Un des passages les plus intéressants du Capital (Marx), de mon point de vue, explique comment on est passé de l’artisanat à la manufacture puis à la grande industrie, les ouvriers spécialisés, fabricant, dans un premier temps, à la main des pièces mécaniques destinées à être assemblées dans des machines, puis, les « progrès technologiques » aidant, il n’a plus été nécessaire d’avoir recours au savoir-faire manuel de l’artisan (des métiers de l’horlogerie, notamment) pour construire ces pièces mécaniques. Il était devenu plus rentable de construire ce pièces avec des machines car on y passait moins de temps et cela coûtait moins cher ; c’est ce qu’on appelle la productivité. La question du remplacement ne se posait essentiellement alors qu’en ces termes, de la même façon que la problématique essentielle se pose pour Bezos de savoir s’il est plus rentable de conserver des humains travaillant comme des robots dans ses entrepôts, plutôt que de tout automatiser.

      On gagnerait, il me semble, à ne pas oublier ces déterminants économiques dans l’observation du « progrès technologiques », même si la fiabilité, le respect des sources, la régulation, etc. de ChatGPT,évoquées ici ou là, sont des questions importantes.

      On a essayé de construire tout un tas de machines volantes plus délirantes les unes que les autres avant d’arriver à un produire un modèle d’avion opérationnel. On sait déjà, avec le peu de recul de l’ère internet, que tout le monde s’était emballé, il y a quelques années sur des soit-disant faits historiques qui n’étaient que des fétus de paille (les CD, le web 2.0, etc.). De ce point de vue la vidéo est très utile, en analysant de façon plus rationnelle ce qu’est l’IA (improprement nommée). Pour autant, si on comprend mieux ce qu’est l’IA, on en sait pas beaucoup plus sur les conditions réelles, d’un point de vue industriel, de sa mise en place est sur les raisons pour lesquelles ceux qui ont le pouvoir de décision industriel l’emploient aujourd’hui.

      Comme l’évoquait justement Bookchin, nous ne savons pas exactement à quelle étape de l’évolution capitaliste nous en sommes.Nous n’avons à notre disposition que la focale du réel (avec le recul de l’histoire). Mieux vaut éviter d’essayer de lire dans le marc de café avec des discours sensationnels et de nous en tenir qu’aux réalités tangibles : notamment l’incontournable présence des pouvoirs économiques sur le court des choses.

      Néanmoins, il existe peut-être dans le réel d’aujourd’hui des signes qui peuvent nous indiquer de quoi sera fait l’avenir immédiat.

      Ma question : ne risque pas t-on d’avoir un processus similaire, à celui évoqué ci-dessus par Marx (passage de la fabrication manuelle à une production mécanique), dans les métiers informatiques ? Les professionnels de l’informatique seront-ils pas obligés de passer prochainement par des processus entièrement automatisés pour produire plus ou moins de lignes de code, jusqu’à ce que le savoir-faire du développeur et sa présence ne soient plus nécessaire ?

      Il m’est arrivé de poser la question à des professionnels et j’ai été surpris de constater que la réponse s’imposait presque toujours par la négative (après quand même quelques moments d’hésitation). La question est à nouveau posée ici.

      (Merci de ne pas m’allumer si je raconte des conneries ou si la réponse vous semble évidente)

      Des métiers, des savoir-faire, des gestes techniques, des cultures professionnelles disparaissent, parfois très vite et cela prouve que « ce n’est pas nous qui décidons », contrairement à ce qui est énoncé avec beaucoup de naïveté dans la vidéo.

      Les professionnels qui se retrouvent sur le carreau parce que leur métier n’existe plus sont souvent pris de court car ils ont souvent eu tendance à se rassurer dans une attitude bravache en affirmant, devant les signes avant-coureurs de leur éjection du « marché du travail », que « tout cela ne les touchera pas ». Je peux en témoigner car j’ai travaillé comme photograveur dans les années 80.

    • @cabou je suis bien d’accord et il n’y a pas d’illusion à se faire sur la capacité critique et encore moins marxienne, d’un co créateur de Siri. La vidéo a l’avantage pour moi de dissiper les fantasmes de ce que la soi-disant « IA » est ou n’est pas. À partir de là, une fois les fantasmes voire délires mis de côté, on peut discuter de ce dont tu parles toi, et qui est bien évidemment largement plus central.

      À ce propos : https://seenthis.net/messages/1011672

      Comme pour les autres secteurs de l’économie angoissés par la diffusion des outils d’automatisation (c’est à dire à peu près tous, de la creative class aux artisans, ouvriers, médecins, profs, etc), la déclaration de Fran Drescher mérite d’être rectifiée : ce ne sont pas « les machines » qui vont remplacer « les humains » mais le patronat qui, depuis les premiers théorèmes d’Adam Smith, tente éternellement d’accaparer les nouveaux outils de production pour optimiser l’extraction de la force de travail des employé·es dans le but de maximiser les profits réalisés. De la machine à vapeur à l’IA générative, (presque) rien n’a changé sous le soleil rouge de la lutte des classes, excepté le degré d’efficacité et de violence du processus.

      Évidemment ça marche aussi pour les devs, en tout cas pour de nombreux cas, comme pour à peu près n’importe quel métier spécialisé quoi (plus c’est technique spécialisé, plus c’est facile à reproduire avec assez de data aspirée).

      Plus d’IA, ça veut dire toujours plus de surnuméraires, de gens qui ne créent plus de valeur au sens capitaliste, qui ne servent à rien pour cette organisation du monde.

      #valeur #capitalisme #technologie #surnuméraires

    • merci @rastapopoulos. Content de voir qu’il y a au moins un professionnel qui estime que mon hypothèse n’est pas complètement farfelue :-)

      J’avais zappé ce lien vers Arrêt sur images à cause du paywall et je n’y suis pas revenu après !

      La réinterprétation de la révolte luddite qui a lieu depuis une trentaine d’années me semble effectivement très intéressante. On n’y voit plus forcément une bande d’attardés rétrogrades (à peu de chose près ce qu’en disait Marx et ce qu’en disent encore certains marxistes) mais plutôt l’expression d’une résistance à un pouvoir économique, imposant en guise de « progrès technologique inéluctable », la mise en place directe d’un nouveau type de rapport social de production (eh oui !), une dégradation brutale des revenus et des conditions de vie, une remise en cause du mode vie communautaire (ou social), des savoir-faire de métiers et du rapport qualitatif à ce qui est produit (le « travail bien fait »).

      En clair, il s’avère que le luddisme, n’est ni plus ni moins le premier mouvement de lutte sociale contre l’émergence de la révolution industrielle, elle-même, décrite comme l’étape décisive de la mise en place de la société capitaliste dans laquelle nous sommes encore empêtréEs. Lire, notamment, à ce sujet, le livre de Kirkpatrick Sale La révolte des Luddite , récemment réédité.

      Voilà effectivement qui ne pourra qu’être indispensable à savoir aujourd’hui, à un moment où il est non seulement vital de remettre en cause radicalement ce progrès qui nous est imposé mais qu’en plus, comme tu le fais justement remarquer, c’est le travail en tant que tel, et de façon générale, qui demande à être critiqué et pas seulement le savoir-faire et le rapport qualitatif qui y sont incorporés (comme à l’époque luddite).

    • Je ne sais pas si les IA vont remplacer les développeurs mais penser qu’un développeur n’est qu’un pondeur de code qu’on pourrait automatiser en deux coups de cuillère à pot est une erreur. Je vois bien que la plus grosse difficulté aujourd’hui pour beaucoup de développeurs (notamment débutants), ce n’est pas vraiment coder mais plutôt comprendre et analyser les besoins. Cela fait d’ailleurs des années que les développeurs sont très assistés dans leur flux de travail, pour ce qui est de produire du code en tout cas. A la limite on peut se plaindre que le métier est devenu bien plus industriel et moins artisanal, si on veut faire un parallèle avec les luddites.

    • ravi que cela te rappelle visiblement de bons souvenir, @simplicissimus ;-) mais pour ce qui me concerne, justement, autant je porte grand intérêt à l’œuvre de Marx - avec toute la distance critique qui s’impose (et là, je n’évoque même pas sa pratique politique plus que contestable au moment de la première internationale) - autant je n’ai jamais pris cette affaire de « baisse tendancielle du taux de profit » pour quelque chose de bien utile à la théorie révolutionnaire ! Je garde, au contraire, les pires souvenirs de débats furieux sur ce thème de la part de militants empêtrés dans des logiques religieuses défendant des textes sacrés.

      Il n’en reste pas moins que la question du travail à l’heure d’une extrême numérisation et de l’automatisation des moyens de production, quel que soit le secteur d’activité, doit être interrogée aujourd’hui en terme de stratégie de résistance au capitalisme.

      Sans vouloir lancer un quelconque troll je pense que Marx s’est même fourvoyé sur nombre de prédictions globalisantes et autres « lois », sous couvert de scientificité, qui se sont avérées fausses avec le temps ; dont la fameuse baisse tendancielle du taux de profit et l’inéluctabilité de la faillite du capitalisme...

      Voir également à ce sujet, via @colporteur, ce que disait Tronti et qui me semble très pertinent à propos de la prédiction de Marx concernant la prolétarisation croissante et « le passage de l’ouvrier-masse au bourgeois-masse »

      https://seenthis.net/messages/1012626#message1012639

    • Mais pas confond’ le taux de profit, calculable par les prix, et pour des entreprises précises (qui peuvent gonfler ou crasher), et la baisse tendencielle de la valeur qui depuis des décennies est à l’échelle mondiale, globale. Peu importe que telle entreprise ou milliardaire gonfle irrationnellement, ça change rien que sur le système entier ya de moins en moins de valeur (et donc de plus en plus de surnuméraires, entre autre).
      http://www.palim-psao.fr/2015/07/critique-de-la-valeur-et-societe-globale-entretien-avec-anselm-jappe.html

      Cela démontre son caractère intrinsèquement irrationnel, destructeur et auto-destructeur. Le capitaliste particulier doit s’imposer dans la concurrence s’il ne veut pas être écrasé par elle. Il doit donc produire avec le moins de main d’œuvre possible pour vendre à meilleur marché. Cependant, cet intérêt du capitaliste particulier s’oppose absolument à l’intérêt du système capitaliste dans son ensemble, pour lequel la baisse du taux de plus-value, et finalement de la masse de plus-value, représente une menace mortelle, à la longue. Ce qui caractérise la société capitaliste est exactement cette absence d’une véritable instance qui assure l’intérêt général, ne fût-ce que l’intérêt capitaliste. Le capitalisme se base sur la concurrence et l’isolement des acteurs économiques. Là où règne le fétichisme de la marchandise, il ne peut pas exister de conscience au niveau collectif. Toutes les tentatives historiques de « régulation », que ce soit à travers l’État ou à travers des cartels, des accords entre capitalistes, etc., n’ont marché que temporairement. Pendant une longue période, entre les années 1930 et 1970, on parlait souvent de « capitalisme monopoliste » ou « régulé » : l’intérêt général du système capitaliste aurait triomphé sur les intérêts des capitaux particuliers, disait-on, à travers des États très forts et à travers la concentration du capital sous forme de monopoles. Beaucoup de théoriciens marxistes, même parmi les meilleurs, comme l’École de Francfort, Socialisme ou Barbarie ou les situationnistes, y ont vu un stade définitif du capitalisme, marqué par la stabilité. Ensuite, le triomphe du néo-libéralisme a démenti ces pronostics. La concurrence sauvage a fait son retour sur fond de crise, et la dérive autodestructrice du système est devenue visible. Dans l’économie comme dans l’écologie, comme dans le désordre social, chaque acteur contribue, pour assurer sa survie immédiate, à une catastrophe globale qui finalement le frappera avec certitude.