Bannon, le magnat chinois et le virus : comment ils créèrent une star des médias de droite

/bannon-chine-coronavirus-medias.html

  • Bannon, le magnat chinois et le virus : comment ils créèrent une star des médias de droite [novembre 2020]
    https://www.nytimes.com/fr/2020/11/27/business/media/bannon-chine-coronavirus-medias.html

    Au départ, la Dre Li-Meng Yan souhaitait garder l’anonymat. C’était la mi-janvier, et la jeune femme, chercheuse à Hong Kong, avait commencé à entendre des rumeurs au sujet de l’émergence en Chine continentale d’un virus nouveau et dangereux, dont le gouvernement minimisait l’importance. Craignant pour sa sécurité personnelle et sa carrière, elle contacta son animateur de chaîne YouTube préféré, connu pour ses critiques du régime chinois.

    Quelques jours plus tard, l’animateur en question [Wang Dinggang, alias Lu De] annonçait à ses 100 000 abonnés que le coronavirus avait été volontairement disséminé par le Parti communiste chinois. Il ne pouvait pas nommer le lanceur d’alerte, disait-il, parce que les autorités risquaient de faire “disparaître” cette personne.

    En septembre, la Dre Yan avait renoncé à toute prudence. Elle est apparue sur la chaîne américaine Fox News pour affirmer, sans preuve et devant des millions de téléspectateurs, que le coronavirus était une arme biologique développée par la Chine.

    Du jour au lendemain, elle devint la coqueluche des médias de droite. Les principaux conseillers du président américain Donald Trump et les experts conservateurs la qualifiaient d’héroïne. Presque aussi rapidement, son interview a été signalée sur les réseaux sociaux comme contenant des “fausses informations”. Des scientifiques ont par ailleurs rejeté les conclusions de ses recherches en disant qu’il s’agissait d’une polémique déguisée en pseudoscience.

    Son ascension est le produit de la collaboration entre deux groupes distincts, mais dont l’alliance ne cesse de se renforcer, et qui colportent la désinformation : un pan restreint mais actif de la diaspora chinoise, d’une part, et la très influente extrême droite américaine, de l’autre.

    Les deux groupes ont vu dans la pandémie l’occasion de promouvoir leurs objectifs. Pour ceux de la diaspora chinoise qui veulent faire tomber le régime chinois, les affirmations infondées de la Dre Yan étaient d’excellents leviers pour parvenir à leurs fins. Quant aux conservateurs américains, ils y ont vu le moyen d’exploiter un sentiment antichinois en pleine croissance et de détourner l’attention de la mauvaise gestion de la pandémie par l’administration Trump.

    [...] Le parcours de Li-Meng Yan a été soigneusement orchestré par Guo Wengui, un milliardaire chinois qui a fui son pays, et Stephen K. Bannon, un ancien conseiller de Donald Trump.

    Les deux hommes ont fait venir la jeune femme par avion aux États-Unis, lui ont fourni un logement sur place, l’ont formée à la prise de parole devant les caméras et aidée à obtenir des interviews avec des animateurs conservateurs populaires comme Tucker Carlson et Lou Dobbs, qui ont des émissions sur Fox News.

    [...] Dès l’arrivée de la Dre Yan aux États-Unis, M. Bannon, M. Guo et leurs alliés entreprirent de la relooker en une lanceuse d’alerte qui passerait bien auprès du public américain.

    Ils l’installèrent dans un “endroit sûr” à l’extérieur de la ville de New York et engagèrent des avocats, dit M. Bannon. L’anglais n’étant pas sa langue maternelle, ils ont recruté un coach média. Comme la Dr Yan l’a elle-même raconté plus tard, l’ancien conseiller de Donald Trump lui a également demandé d’écrire une série d’articles résumant ses prétendues preuves.

    “Assurez-vous de pouvoir démontrer tout cela logiquement”, se rappelle lui avoir dit M. Bannon.

    M. Bannon et M. Guo cherchent ouvertement, depuis des années, à provoquer la chute du Parti communiste chinois.

    Guo Wengui, qui est aussi connu sous le nom de Miles Kwok, était un magnat de l’immobilier en Chine, bien introduit auprès de hauts responsables du Parti, avant de fuir le pays il y a environ cinq ans à la suite d’allégations de corruption. Depuis, il se désigne lui-même comme un combattant de la liberté, mais beaucoup sont sceptiques quant à ses motivations réelles.

    Steve Bannon, qui a patrouillé sur la mer de Chine méridionale lorsqu’il était jeune officier de la marine, s’intéresse depuis longtemps à la Chine. Pendant son séjour à la Maison-Blanche, il a conseillé à M. Trump d’adopter une approche ferme envers le pays, qu’il décrit comme “la plus grande menace existentielle à laquelle les États-Unis ont jamais fait face”.

    [...] En la personne de Li-Meng Yan, les deux hommes ont trouvé pour leur campagne un visage idéal.

    Elle a révélé son identité pour la première fois le 10 juillet lors d’une interview de 13 minutes sur le site web de Fox News. Elle y affirmait que le gouvernement chinois avait dissimulé des preuves de la transmission du virus entre humains. Sans preuve aucune, elle accusait des professeurs de l’Université de Hong Kong d’avoir participé aux manœuvres visant à étouffer l’affaire. (L’établissement a rapidement démenti ses accusations, les qualifiant de “ouï-dire”.)

    “Si je suis venue aux États-Unis, c’est pour livrer la vérité sur la Covid-19”, disait-elle.

    À dessein, elle ne faisait aucune mention de M. Guo ou de M. Bannon.

    Dans sa propre émission, M. Guo raconte avoir dit à la Dre Yan : “Ne parle pas de Bannon, ne parle pas de Guo Wengui. Si tu parles de nous, les Américains d’extrême gauche t’attaqueront et diront que tu poursuis des objectifs politiques.”

    Après la première interview sur Fox News, la Dre Yan entrepris une vaste tournée des médias de droite où elle abordait les sujets chers aux conservateurs. Elle a affirmé qu’elle prenait de l’hydroxychloroquine pour se protéger du virus, même si la FDA, l’agence américaine chargée d’autoriser la vente de médicaments, avait averti que le médicament n’était pas efficace. Elle a laissé entendre que l’Organisation mondiale de la santé avait contribué à dissimuler l’ampleur de l’épidémie.