La répression syndicale contre Christian Porta, délégué CGT Neuhauser-InVivo, est emblématique de la radicalisation du patronat. A la manœuvre, Sébastien Graff, ancien DRH de PSA Aulnay, qui a fait de la lutte contre le syndicaliste une affaire personnelle.
DRH d’une société comptant plus de 14 000 salariés, Sébastien Graff s’est pourtant présenté en personne à l’audience du conseil des Prud’hommes qui se tenait le 10 mai dernier, et opposait Christian Porta, délégué CGT de Neuhauser, une filiale du groupe InVivo, à sa direction. Un dirigeant de multinationale pour participer au procès d’un syndicaliste ? Le symbole en dit long, surtout si on se rappelle que ce jour-là, c’est un licenciement totalement illégal, prononcé malgré le refus de l’inspection du travail, que le cadre supérieur était venu défendre.
Assumant un rôle de « DRH militant », Sébastien Graff aime exposer la façon dont il perçoit son rôle de DRH. Dans une interview vidéo pour le média Circuits culture, il se décrit comme un coach, expliquant avoir retranscrit chez InVivo les valeurs du sport que seraient « le goût de l’effort, la solidarité et la victoire et le gout de la victoire et la recherche de la performance permanente ». Mais derrière cette novlangue managériale, l’homme laisse transparaître un visage bien plus politique et brutal, n’hésitant pas à user des pires méthodes pour tenter d’éliminer un syndicat combatif et affichant haut et fort ses opinions anti-écolos.
Un DRH très politique
Depuis des mois, l’homme a fait de la lutte contre Christian Porta une affaire personnelle. Sur Twitter, le DRH se répand en calomnies contre le syndicaliste, l’accusant ouvertement d’être « un auteur de harcèlement moral » et allant jusqu’à soutenir que « des gens n’en dorment plus, des personnes […] n’osent à peine témoigner de de cauchemar ». Des accusations que l’entreprise a tenté de démontrer à partir d’une enquête interne très orientée, qui n’aura convaincu ni la justice ni l’inspection du travail.
Mais l’activisme du DRH sur les réseaux ne s’arrête pas là. Sur X, le quinquagénaire publie frénétiquement et fait part, sans ambages, de sa profonde détestation de la gauche. Ses tweets et retweets dessinent le monde de Sébastien Graff, où Envoyé spécial est une officine d’ultra-gauche, les parlementaires du groupe LFI sont assimilés à des « gréviste d’étudiants en sociologie à Tolbiac » et « la gauche qui défend la présence des drag-queens et des ateliers de sensibilisation à la cause trans » à des fous.
Son hostilité s’étend également aux syndicats, particulièrement la CGT, s’en prenant à Sophie Binet la « rouge ». Outre les « gauchistes », Sébastien Graff s’emploie également à dénoncer avec une extrême virulence l’autre « peste » (selon ses termes) que sont les écologistes. Il fait preuve d’une véritable obsession pour les parlementaires du groupe EELV et tout particulièrement pour ses membres féminins. Répondant régulièrement à leurs publications, il n’hésite pas à traiter Marine Tondelier de « clown » ou à s’insurger contre Sandrine Rousseau lorsque celle-ci ose dénoncer les politiques natalistes. Cette campagne contre l’écologie politique menée par celui qui est également en charge de la communication de la multinationale s’inscrit pleinement dans une stratégie de discrédit des voix qui s’élèvent contre le modèle productiviste et destructeur poursuivi par le géant de l’agrobusiness qu’est Invivo, qui compte à son actif deux procès (et deux défaites) contre des organisations écologistes : Greenpeace et Extinction Rebellion.
Entre deux invectives envers les militants écologistes et la gauche, Sébastien Graff ne manque pas de relayer les discours de journalistes connus pour leurs positions très favorables à l’industrie agroalimentaire et leur négation des dangers des pesticides comme Emmanuelle Ducros, mise en cause pour avoir été rémunérée par des lobbys de l’agroalimentaire ou Géraldine Woessner, journaliste épinglée par deux fois par le Conseil de déontologie des journalistes pour ces articles sur les pesticides et sur la manifestation brutalement réprimée de Sainte-Soline. Alors que ces derniers jours cette dernière a choqué largement en expliquant à Rima Hassan dans un tweet « il n’y a pas de journaliste palestinien. Vous collez un concept occidental sur une entité qui n’existe pas », Sébastien Graff lui envoyait ce dimanche son soutien.
Pas étonnant lorsque l’on sait que son hostilité envers la gauche le pousse même à retweeter les propos d’une figure de l’extrême-droite comme Charles Gave, économiste ultra-libéral, violemment hostile à la sécurité sociale, et financeur en 2021 de la campagne présidentielle de Éric Zemmour... Une attitude « sans limite », qui témoigne de l’impunité dont jouit le DRH, que ni la décence ni la loi ne semblent arrêter.
La mise en œuvre de la stratégie d’un patronat radicalisé
Sébastien Graff doit avant tout sa place au sein de la multinationale à la solide expérience de répression et de déstabilisation des mobilisations des travailleurs et des syndicats. Avant même la fin de ses études, il décide de se faire la main auprès du directeur général des mines de potasse d’Alsace alors en charge de les fermer. Ce processus aboutira à mettre plus de 1 000 mineurs au chômage. Lui, dans le portrait que lui dédie la revue Personnel en février 2018, se souvient avoir « beaucoup appris sur la négociation salariale et la gestion des conflits ».
Après être passé par l’industrie pharmaceutique, il rejoint en 2001 le groupe PSA en tant que responsable des relations sociales de l’usine d’Aulnay-sous-Bois. En charge de l’unité de montage de l’usine, il a déjà en ligne de mire les syndicats et en particulier la CGT. Comme se souvient Jean-Pierre Mercier, salarié et délégué syndical CGT de l’usine, « six mois, un an avant les élections professionnelles, Sébastien Graff s’appliquait à faire le vide autour de la CGT. Toute personne qui s’en rapprochait pouvait se voir convoquer, mettre au placard, imposer des conditions de travail plus dures, refuser des augmentations de salaire, etc. »
Le groupe PSA est aussi un lieu d’apprentissage de la « gestion de crise » pour Sébastien Graff. En 2007, alors que des centaines de salariés font grève pour obtenir des augmentations de salaire, Sébastien Graff participe avec la direction du site au remplacement des grévistes par des intérimaires. PSA est alors condamné en justice pour cette pratique parfaitement illégale.
Après 7 années de bons et loyaux services, son action au sein du groupe PSA sera récompensée par une promotion qu’il refusera cependant pour rejoindre le groupe InVivo en 2008. En qualité de DRH monde, il s’illustre rapidement pour son action contre les syndicats. « Faut-il rappeler que vous avez, à votre toute première réunion en tant que nouveau dirigeant, tenté de licencier notre représentant Cédric Grangeot, et que l’inspection du travail a démonté vos mensonges grâce à l’enregistrement audio, menant ainsi également à sa réintégration ? » rappelait récemment sur les réseaux sociaux le syndicat SUD Commerce Ile-de-France à Sébastien Graff.
Une référence à un cas de répression syndicale typique du DRH, en de nombreux point similaire à l’offensive contre Christian Porta. « Pendant la crise Covid, ce syndicaliste qui reprochait notamment à la direction de faire travailler les salariés dans des conditions sanitaires inacceptables, avait été licencié sur la base d’accusations de propos agressifs en réunion » raconte un syndicaliste de la CGT InVivo ayant suivi l’affaire. Un cas de répression syndicale qui vaudra à la multinationale d’être épinglée par l’inspection du travail et condamnée par le Conseil des prud’hommes de Créteil.
Répression syndicale : des méthodes brutales et hors-la-loi contre la CGT
C’est avec les mêmes méthodes patronales bien rodées au cours de sa carrière que Sébastien Graff mène désormais son offensive contre la CGT Neuhauser en ciblant Christian Porta. Pour évincer le syndicaliste, l’entreprise n’hésite pas à monter un dossier pour « harcèlement » contre ce dernier, tout en intimidant par un courrier les salariés qui seraient solidaires du délégué CGT, dont l’organisation a rassemblé 74% des voix aux dernières élections professionnelles.
Pour s’assurer d’écraser toute solidarité, la direction d’InVivo a mis son personnel sur le pied de guerre. « Dès le lendemain de ma mise à pied, deux responsables RH de InVivo ont débarqué soi-disant pour "apaiser le dialogue social". En réalité, ils sont les yeux et les oreilles de Sébastien Graff, et participent à créer un climat de peur, en évoquant auprès des salariés la menace de potentielles convocations » explique Christian Porta. Récemment, 4 salariés proches de la CGT ont d’ailleurs été mis à pied pour des faits dérisoires.
Contrainte de laisser Christian Porta accéder à l’usine par une décision de justice, la direction d’InVivo a dans le même temps décidé de le fliquer. « Ils ont embauché un huissier à 500€ de l’heure pour être sur le site quasiment 24h/24 et me surveiller. Ça crée un climat anxiogène, dans la salle de pause l’huissier me suit, l’objectif c’est de m’empêcher de parler avec mes collègues et surtout de s’organiser » raconte le délégué CGT de Neuhauser. De quoi créer un climat désastreux dans l’entreprise. « De nombreux salariés dénoncent un climat anxiogène qui rappelle les moments de licenciement économique que nous avons connu dans l’entreprise » raconte un militant de la CGT Neuhauser. Une pression qui s’accompagne de menaces ouvertes de « fermeture de l’usine », là encore totalement illégales.
Des tentatives d’intimidations qui n’ont pas empêché une large solidarité de s’exprimer avec le délégué CGT, avec des journées de grève dès le mois de février dernier et, récemment, des débrayages et grèves importantes contre l’offensive de l’entreprise. Pour Christian Porta, il s’agit d’une belle revanche. « Sébastien Graff ne respecte rien. Pendant les NAO, il ne fournit aucun document, et fait tout pour avoir le contrôle sur tout. Il m’a déjà coupé le micro en réunion. Il a également limité la possibilité d’utiliser l’intranet pour communiquer avec les salariés dès qu’on a commencé à diffuser des articles dénonçant la répression syndicale. Malgré cela, les travailleurs restent unis et se mobilisent massivement » conclut le syndicaliste.
Depuis le 7 février, les condamnations se multiplient face aux pratiques de InVivo : Neuhauser a été épinglé deux fois par le Tribunal judiciaire de Sarreguemines, une fois par le Conseil des Prud’hommes de Forbach, sans compter le refus de licenciement de l’Inspection du travail. Le 30 mai dernier, fait rarissime, le Tribunal judiciaire de Sarreguemines a même fait le choix de saisir le Procureur de la République après avoir constaté l’existence de multiples infractions pénales.
Alors que Sébastien Graff s’affranchit ouvertement des quelques principes qui protègent encore le droit du travail malgré les rappels à l’ordre répétés des juridictions et de l’administration, son hyperactivité pour obtenir le licenciement de Christian Porta est révélatrice de la détermination d’InVivo à éradiquer une section syndicale combative. Une offensive qui vise à mettre au pas les travailleurs, à laquelle ils ont opposé une réponse ferme, en se mettant cette semaine en grève pour la réintégration de Christian Porta.
Une mobilisation exemplaire, avec laquelle la solidarité doit être la plus large, dans la continuité des nombreuses marques de soutien exprimées ces derniers mois devant le siège de InVivo, devant le siège de Neuhauser, au Port de Metz mais aussi dans les tribunes publiées par Basta ou Mediapart.
Pour soutenir Chritian Porta et les Neuhauser, donnez à la caisse de grève !