• Protection de l’enfance : mouvement d’inquiétude dans le Nord - Libération
    https://www.liberation.fr/france/2018/11/06/protection-de-l-enfance-mouvement-d-inquietude-dans-le-nord_1690263

    Mardi après-midi, quelque 650 agents de l’Aide sociale à l’enfance ont manifesté devant l’hôtel du département, à Lille. Ils s’alarment d’un manque de moyens qui aboutit à la mise en danger de ceux qu’ils sont censés protéger.

    A chaque fois qu’elle parle de lui, Luisa (1) a l’estomac noué, et la mine légèrement déconfite, rongée par l’angoisse et la culpabilité. Son propos est grave : « Tous les matins je me réveille en pensant à lui et je me demande si aucun drame n’est arrivé dans la nuit. » Luisa, 48 ans, est assistante socioéducative à l’Aide sociale à l’enfance (ASE) de Roubaix. Depuis quatre mois, elle tâche désespérément de trouver une place en foyer pour Malo, 14 ans, en « danger immédiat » dans son milieu familial. Cet été, le tribunal pour enfants de Lille a ordonné son placement dans un lieu sûr : « Malo vit seul avec sa mère suicidaire. Elle n’est malheureusement plus en mesure de prendre soin de lui, détaille Luisa. Son fils est livré à lui-même dans une maison mortifère. La situation est devenue trop dangereuse pour lui. » Problème : malgré la décision judiciaire de placement, Malo habite toujours chez sa mère car il ne reste plus aucune place de disponible pour lui en structure d’accueil. « La faute au département du Nord et à son président Jean-René Lecerf [divers droite] », selon Luisa, auquel elle reproche d’avoir « fait le choix » de supprimer 700 lits de foyers sur les 5 000 existants sur la période 2015-2018 (un lit coûte en moyenne 55 000 euros par an et par enfant). Une politique d’économies budgétaires lourde de conséquences pour les agents de l’ASE chargés de l’exécution des placements : aujourd’hui, un enfant peut attendre des jours, des semaines voire de mois dans sa famille avant qu’on ne lui trouve une solution. « Si la mère de Malo se suicide dans la semaine avec son gamin à la maison, qui est responsable ? » s’alarme-t-elle.

    Ce mardi après-midi, cette agente de l’ASE a manifesté aux côtés de 650 collègues devant les fenêtres de l’hôtel du département, à Lille, afin d’obtenir des « moyens concrets » pour pouvoir assurer la protection de « l’ensemble des enfants du territoire en péril dans leur environnement familial ». Des collègues venus des Unités territoriales de prévention et d’action sociale de Lille, Tourcoing, Wasquehal, Mouvaux, Haubourdin, Lambersart, Anzin, Saint-Amand-les-Eaux, Gravelines. Ils ont démarré le mouvement de protestation début octobre par une grève de dix jours, accusant le département de « non-assistance à enfants en danger ».

    Record de placements

    Car l’histoire de Malo n’est plus exceptionnelle. Dans l’agglomération lilloise, les situations dramatiques se sont accumulées. A Lille-Moulins, un nouveau-né a été « maintenu » quasiment deux mois à la maternité car aucune famille d’accueil n’est disponible dans le secteur, et reste pour l’heure en pouponnière. Faute de places définitives, Tom et Marine, frère et sœur de six et neuf ans, se font ballotter de foyer en foyer et rejoindront la semaine prochaine leur quatrième structure en l’espace de six mois. Martin, huit ans, vit pour sa part toujours chez ses parents malgré la décision de placement pour « négligences et maltraitances psychologiques » prise il y a quatre semaines. Même situation alarmante du côté d’Alice, seize ans, victime de violences physiques épisodiques par son père mais toujours logée sous son toit. Sans compter ces adolescents fugueurs qui décident un matin de frapper à la porte de l’ASE mais qui disparaissent dans la nature le soir venu, démoralisés de constater qu’aucune solution n’a pu leur être proposée. Ils ne reviennent jamais le lendemain.

    Selon les derniers chiffres officiels, le Nord est le département français qui enregistre le plus de mesures de placement (10 400 en 2015), bien loin devant le Pas-de-Calais (6 400) et la Seine-Saint-Denis (4 600). Sandrine, une collègue de Luisa : « Malheureusement, sur notre territoire, tous les signaux sociaux sont au rouge et nous conduisent inévitablement à un nombre très élevé de placements judiciaires. Beaucoup de familles sont en grosse difficulté économique. Certains quartiers détiennent des records en matière de taux de pauvreté et de taux de chômage. Des parents accablés sombrent dans la dépression, l’alcool, la drogue, et négligent leurs mômes sans vraiment s’en rendre compte, ou les maltraitent dans les pires cas. C’est justement à l’Aide sociale à l’enfance de proposer à ces enfants un avenir plus lumineux. On ne peut pas les abandonner à leur sort. Ou les balader de foyer en famille d’accueil alors qu’ils ont besoin de sécurité et de stabilité. Parfois, il m’arrive de me dire que nous sommes devenus plus maltraitants que ce qui se passe dans ces familles. »

    Rien que pour le secteur de Roubaix-Ville, 22 enfants sont actuellement en attente de placement. Pour la ville de Wasquehal, les agents de l’ASE en évoquent au moins dix. A Tourcoing-Mouvaux, le chiffre monte à 24 pour le mois d’octobre. Et le phénomène risque d’empirer : « Lors de la fermeture des 700 lits, on a essayé de replacer le plus d’enfants dans des familles d’accueil. Sauf que ces familles d’accueil ne se démultiplient pas à l’infini. Aujourd’hui, plus aucun assistant familial n’est disponible non plus, alerte Marie, assistante socioéducative de 28 ans. Certains ont le profil pour être épanouis en famille d’accueil, d’autres sont plus heureux en foyer. Il y a encore quelques années, on cherchait une place adaptée pour chaque gamin. Aujourd’hui, on cherche juste une place. Il n’y a plus de projet de fond, on ne fait plus que de la mise à l’abri », résume Rose, travailleuse sociale depuis dix ans.

    L’offre et la demande

    La mission est loin d’être évidente. D’après les travailleurs sociaux, l’ASE du Nord fonctionne désormais sur le modèle de l’offre et de la demande : les foyers, en position de force, peuvent se permettre de « choisir » les enfants qu’ils accueilleront. Les jeunes aux profils les plus complexes (problèmes psychologiques ou psychiatriques graves) deviennent des « incasables ». Et les lieux de placement ne se gênent plus pour procéder à des « fins de prise en charge » entraînant le retour immédiat de l’enfant dans son environnement familial, sans information ni autorisation préalable du juge pour enfants. « Chaque unité territoriale de prévention et d’action sociale en vient à se concurrencer et à devoir vendre la détresse de l’enfant dont il est référent pour obtenir la place en foyer, déplore Rose. On doit limite montrer le CV du môme et justifier pourquoi il mérite plus la place qu’un autre, pourquoi il ne décevra pas les éducateurs et se comportera de manière respectueuse etc. Nous sommes le service public, c’est ubuesque ! »

    D’un point de vue juridique, le département du Nord se trouve de fait dans une situation strictement illégale. « Lorsqu’on ordonne le placement d’un mineur, celui-ci doit être exécuté immédiatement. Si le département n’applique nos décisions que des mois plus tard, il est dans l’illégalité la plus totale », pointe Judith Haziza, juge pour enfants à Lille et déléguée régionale du Syndicat de la magistrature. Par voie de communiqué, le Syndicat a apporté son soutien officiel au mouvement social, « considérant que le manque de moyens matériels et humains alloués par le département à la protection de l’enfance a une incidence directe sur l’exécution des décisions de justice. » « Ce n’est pas à la justice d’adapter ses jugements en fonction du nombre de places disponibles en structures d’accueil. C’est à la politique départementale de s’adapter à la réalité du territoire et à nos décisions », souligne Judith Haziza.

    Désarroi

    Fin octobre, lors d’une conférence de presse, Jean-René Lecerf s’était défendu en expliquant qu’il n’avait pas supprimé mais « transformé » ces 700 lits en « 350 places pour les mineurs non accompagnés et 350 places en soutien éducatif à domicile ». Doriane Bécue, vice-présidente chargée de l’enfance du département avait pour sa part confirmé vouloir « réformer le système en privilégiant le préventif plutôt que le curatif ». Contacté par Libération, le département du Nord a simplement ajouté qu’il « souhaitait éviter la séparation par un placement et inverser la tendance en "réparant" les familles ». Judith Haziza : « Concrètement, depuis trois ans, qu’est-ce qui a été mis en place pour augmenter les moyens de la prévention ? On n’en voit aucun résultat. A l’heure actuelle, le nombre de saisines judiciaires dans notre tribunal ne diminue toujours pas. »

    Tout le désarroi des agents de l’ASE du Nord se trouve là : ils sont asphyxiés, coincés entre l’impossibilité de placer les enfants et l’incapacité d’intervenir correctement en « prévention éducative ». L’argent n’est nulle part, la bricole, quotidienne. Et les répercussions sur les enfants plus que préoccupantes. « Aujourd’hui, le département nous dit qu’on sauvera les jeunes par la prévention. C’est bien joli, mais on n’a aucun gros moyen pour le faire, donc on ne le fait pas, ou mal, explique Hélène, assistance sociale. Il faut détecter au plus tôt les négligences en famille. Le manque de stimulation pour la tranche d’âge 0-3 ans peut être irrévocable à vie. De même, un enfant victime de maltraitance risque de reproduire le même schéma une fois adulte. Plus on tarde à les placer, plus on les récupère profondément abîmés. » Et de conclure, en forme d’avertissement : « Si ces enfants ne sont pas protégés, ils n’arriveront pas à s’insérer dans la société. Ils auront besoin d’aides financières, de suivi médical et psychologique à vie. Tout cela coûte cher. Le département veut faire des économies ? Il fait un très mauvais calcul. »

    (1) A la demande des intéressés, tous les noms ont été modifiés.

    Les juges de Bobigny aussi

    Tandis que la colère gronde dans le Nord contre le manque de moyens humains et matériels affectés à l’Aide sociale à l’enfance pour exécuter les décisions de justice, la sonnette d’alarme a également été tirée en Seine-Saint-Denis. Dans une tribune publiée ce lundi par le Monde et France Inter, les quinze juges des enfants du tribunal de grande instance de Bobigny ont lancé un « appel au secours » et dénoncé « la forte dégradation » des dispositifs de protection de l’enfance. « Des mineurs en détresse ne peuvent ainsi plus recevoir l’aide dont ils ont besoin, faute de moyens financiers alloués à la protection de l’enfance par le conseil départemental, tributaire en partie des dotations de l’Etat », ont-ils écrit. Ce à quoi la ministre de la Justice, Nicole #Belloubet, a répondu : « Je ne nie pas la responsabilité de l’Etat, mais je dis que la mise en œuvre des décisions de nature civile comme celles dont vous me parlez qui concernent les enfants, cela appartient aux départements. » Retour à l’envoyeur, en somme.
    Anaïs Moran envoyée spéciale à Roubaix, Photos Antoine Bruy. Tendance Floue

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  • Abusée durant son enfance, elle attaque l’Etat pour faute lourde
    https://www.bfmtv.com/police-justice/maltraitee-durant-son-enfance-elle-attaque-l-etat-pour-faute-lourde-1481863.h

    Karine, désormais âgée de 20 ans, accuse la justice d’être restée sourde à son martyre, malgré des signalements répétés.

    Karine a vécu une enfance martyre. Délaissée par ses parents avant d’être violée par l’homme qu’ils hébergeaient, la jeune femme aujourd’hui âgée de 20 ans attaque l’État pour faute lourde, selon une information d’Europe 1. Son cas avait en effet été signalé une quinzaine de fois à la justice, tour à tour par les services sociaux, les médecins ou l’entourage de la famille, sans que ses parents soient jamais inquiétés.

    Une mère infanticide

    Karine naît en 1997 dans un climat déjà délétère : sa mère a été condamnée par le passé à huit ans de prison pour le meurtre de sa première fille. Eu égard à ce contexte difficile, les services sociaux se relaient régulièrement auprès de la famille, sans pour autant conclure à une nécessité de placement de la petite fille.

    Pourtant, selon sa tante, qui a vu l’enfant grandir dans un environnement d’abus et a été l’auteure elle-même de plusieurs signalements aux services compétents, « plus elle grandissait, plus elle avait des stigmates d’enfant maltraitée ». Elle confie notamment avoir alerté la justice après avoir constaté « une très grosse infection urinaire » chez la fillette. Au médecin, Karine explique alors que « son papa l’allong[e] souvent dans la baignoire » et « la touch[e] beaucoup ». La tante écrit au juge des enfants mais son courrier reste lettre morte.

    "Quand on ne veut pas voir, on ne voit pas"
    « Quand on ne veut pas voir, on ne voit pas. Pourtant, tout le monde remarque que monsieur a la main légère, que le comportement de madame est sexualisé avec son enfant, que Karine n’a pas de câlin (...) Personne ne s’inquiète de ça », déplore-t-elle, toujours au micro d’Europe 1.

    Une enquête, ouverte après un dîner de famille au cours de laquelle la petite fille de 6 ans se masturbe sous la table, est classée sans suite en 2004.

    En 2005, la situation gagne encore en sordide, puisque les parents de Karine hébergent occasionnellement un homme déjà condamné pour des faits de nature pédophile. Là encore, malgré un signalement, aucune décision de justice n’est prise. « Parce que les parents sont arrivés avec un certificat médical, qu’ils avaient fait faire la veille chez le médecin traitant, il n’y a pas eu d’investigation plus poussée », déplore la tante de Karine. Comble de l’absurde, cette dernière est poursuivie pour dénonciation calomnieuse et contrainte d’écrire une lettre d’excuses aux parents...

    "Oubliée"

    Ce n’est qu’en 2009, après douze ans de sévices, que la justice ouvre enfin les yeux. Une expertise médicale vient notamment appuyer les allégations de la petite fille. « J’aimerais qu’on lui demande pardon de l’avoir oubliée », confie sa tante aujourd’hui, alors que le procès du violeur de Karine s’ouvre cette semaine devant la cour d’assises de Rennes. Malgré le témoignage accablant de leur fille, les parents ne sont pas poursuivis pour complicité.

    Selon Europe 1, la plainte parallèle qui vise l’Etat et concerne des faits vieux de plus de dix ans risque, elle, d’être prescrite.

    Ah la prescription, comme c’est pratique !
    Et la lettre d’excuses aux parents, incroyable ! Et en même temps très cohérent vu qu’ils ne sont même pas poursuivis pour complicité. C’est scandaleux ! Il y a vraiment un truc à l’ASE concernant les liens avec les parents maltraitants qu’il faudrait ne pas rompre voire protéger. Lamentable.

    #viol #enfance #violence #maltraitance #protection_de_l_enfance #procès #pédophilie