Le hip-hop est donc bientôt quadragénaire. Pourtant, c’est encore un genre neuf. Cette jeunesse se mesure à l’ignorance du grand public à son égard, plus manifeste que pour cette musique déjà instituée qu’est le rock. Malgré sa visibilité, en dépit d’un statut de musique dominante acquis dans les années quatre-vingt-dix, la confusion règne encore, et en France tout particulièrement, sur ce que le rap recouvre. Parlez indifféremment de « rap » et de « hiphop » à l’homme de la rue, et il s’étonnera que, à quelques nuances près, les deux termes désignent la même musique. Très souvent, il
pensera aussi rap français, oubliant que le hip-hop est avant tout un genre américain, ignorant que sa version locale n’est, à son échelle, qu’un épiphénomène.
À ces malentendus, s’en ajoute un autre. Même si le hip-hop n’exclut pas les mélodies et les harmonies, loin de là, celles-ci ont longtemps semblé s’effacer derrière les motifs rythmiques, souvent prépondérants, tant dans les beats que dans le phrasé des rappeurs. Pour des oreilles blanches et âgées, il est désavantagé par ses atours souvent austères, rêches et répétitifs. Dans un Occident où musique est encore souvent synonyme de mélodie, il semble être avant tout verbiage, discours.
Bavard, loquace et volubile, ancré dans le réalisme social, chroniqueur des rues, raconteur d’histoires, glorifiant une image effrayante des ghettos afro-américains (misogynie, homophobie, violence, drogue et délinquance) ou ayant l’insolence du nouveau riche, il porterait avant tout un message. Chez les néophytes, chez ceux qui sont imperméables au genre, mais aussi, parfois, chez les fans eux-mêmes, domine le sentiment qu’il faut comprendre les paroles pour apprécier le rap. Ce qui est vrai, en partie, mais pas infiniment plus que pour le rock, ou toute autre musique chantée.
En France, ce préjugé en faveur des mots, est renforcé par l’héritage de la chanson réaliste. Dans notre pays, et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons si mal pris le virage de la pop anglo-saxonne, les textes continuent à être survalorisés, pour le rap comme pour d’autres genres. Aussi, certains s’offusquent-ils de messages qu’ils jugent dangereux, scandaleux ou marqués par l’inculture, pendant que d’autres se trompent tout autant en le qualifiant de poésie de rue, en invoquant François Villon et en lui réservant les honneurs d’une anthologie
Les rappeurs français ont eux-mêmes intégré cette vision restrictive de leur musique, proclamant à qui mieux mieux leur amour pour Aznavour, Brel ou Renaud. Et se contentant, dans le même temps, de beats souvent pauvres, ttransposition médiocre de recettes américaines mal assimilées.