• Notes anthropologiques (LXII)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-LXII

    « La violence sacrificielle manipulée par les seigneurs a servi à renforcer les inégalités sociales, en concentrant et en centralisant le pouvoir. Maurice Godelier rappelle justement que, dans la théorisation du don, Mauss ajoute une quatrième obligation, souvent oubliée, aux trois étapes classiques de la réciprocité : donner, recevoir, rendre. Il s’agit de l’obligation de faire des dons aux dieux et aux hommes qui les représentent. Les offrandes et les sacrifices auraient la capacité de “contraindre” les divinités à continuer à dispenser aux humains les biens dont ils sont les maîtres (pluie, nourriture, plantes, richesses diverses). Dans ces rapports, les dieux et les esprits sont toujours supérieurs aux hommes, qui restent perpétuellement les débiteurs. La formation de classes sociales et la divinisation des seigneurs (rois, souverains) qui manipulent ces croyances sont corrélatives de cet “endettement”. C’est la dette de la vie (de l’énergie qui anime les hommes, de leur sang) que les hommes doivent payer régulièrement aux divinités par le truchement de ceux qui les représentent, voire de ceux qui les incarnent. Le sacrifice humain est donc une prédation et il n’est pas étonnant que les félins, les plus grands prédateurs du règne animal, apparaissent constamment dans l’iconographie des peuples américains. »

    Dans un premier temps, Je me propose de commenter ce passage de Carmen Bernand tiré de son livre Histoire des peuples d’Amérique.

    La première remarque concerne le don aux dieux, qui serait selon l’opinion de Maurice Godelier une quatrième obligation, le plus souvent oubliée, dans les étapes concernant le don : le don aux dieux viendrait donc couronner les différents moments qui définissent d’un point de vue théorique la pratique du don : donner, obligation de recevoir, obligation de rendre et, enfin obligation de faire des dons aux dieux. Dans cette affaire, Maurice Godelier et à sa suite Carmen Bernand confondent, volontairement ou non, deux circonstances différentes qui peuvent se présenter en fonction du donneur : il s’agit de rendre à qui donne. (...)

    #anthropologie #Carmen_Bernand #Maurice_Godelier #Marshall_Sahlins #Luc_de_Heusch #don #dette #dieux #assujettissement #aliénation #banques #insoumission #zapatistes

  • Notes anthropologiques (LXI)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-LXI

    Signe des temps, les historiens s’intéressent désormais à l’activité des échanges qu’ils tentent de saisir sous le concept, légèrement éculé, d’économie, obéissant en cela à l’idéologie ambiante. Ils ouvrent ainsi tout un pan de notre histoire qui était jusqu’à maintenant mal connu : l’activité des échanges aux époques reculées. Afin d’appréhender les différentes formes prises par les échanges et d’en marquer l’évolution, ils se réfèrent volontiers à Karl Polanyi qui, dans ses livres comme La Grande Transformation ou La Subsistance de l’homme, a distingué trois formes d’échange, les échanges fondés sur la réciprocité, ceux qui reposent sur la répartition-distribution et enfin les échanges marchands liés à la politique. Dans son dernier livre intitulé Histoire des peuples d’Amérique, Carmen Bernand évoque, elle aussi, Polanyi avant de faire une synthèse heureuse de nos connaissances concernant l’échange, en convoquant des anthropologues comme Marcel Mauss ou Maurice Godelier :

    « Les principes qui fondent ce qu’on appelle des “économies primitives”, à savoir la réciprocité, la redistribution et la circulation des biens, obéissent à des règles particulières. Certains aspects nous sont connus parce que nous disposons de documents écrits et d’une bonne ethnographie de terrain qui nous aide à saisir la dimension symbolique des choses. La réciprocité se fonde sur une obligation (morale, religieuse, statutaire) alors que, dans l’économie de marché, le paiement selon des règles fixées déchargerait l’acquéreur de toute obligation (Polanyi, 1965, p. 243-270). Les descriptions regorgent d’exemples de cette “obligation” faite au partenaire de recevoir et de rendre. Toute rupture de cette règle entraîne une succession d’infortunes. D’une façon générale, les choses ne sont pas inertes ; une fois “données”, elles gardent quelque chose du donateur. Précisons encore qu’il y a des objets qui ne sont jamais donnés parce qu’ils sont “incomparables” » (p. 68).

    Dans les notes anthropologiques, je me suis intéressé, de mon côté, aux échanges et aux différents modes pris par cette activité, j’ai tenté, pour ma part, de faire ressortir le lien qui unit le pouvoir à l’activité marchande (et, inversement, l’activité marchande au pouvoir). (...)

    #anthropologie #histoire #échanges #argent #aliénation #État #Karl_Polanyi #Carmen_Bernand #Pierre_Clastres #Jean-Paul_Demoule