#assujettissement

  • Notes anthropologiques (LXII)

    Georges Lapierre

    https://lavoiedujaguar.net/Notes-anthropologiques-LXII

    « La violence sacrificielle manipulée par les seigneurs a servi à renforcer les inégalités sociales, en concentrant et en centralisant le pouvoir. Maurice Godelier rappelle justement que, dans la théorisation du don, Mauss ajoute une quatrième obligation, souvent oubliée, aux trois étapes classiques de la réciprocité : donner, recevoir, rendre. Il s’agit de l’obligation de faire des dons aux dieux et aux hommes qui les représentent. Les offrandes et les sacrifices auraient la capacité de “contraindre” les divinités à continuer à dispenser aux humains les biens dont ils sont les maîtres (pluie, nourriture, plantes, richesses diverses). Dans ces rapports, les dieux et les esprits sont toujours supérieurs aux hommes, qui restent perpétuellement les débiteurs. La formation de classes sociales et la divinisation des seigneurs (rois, souverains) qui manipulent ces croyances sont corrélatives de cet “endettement”. C’est la dette de la vie (de l’énergie qui anime les hommes, de leur sang) que les hommes doivent payer régulièrement aux divinités par le truchement de ceux qui les représentent, voire de ceux qui les incarnent. Le sacrifice humain est donc une prédation et il n’est pas étonnant que les félins, les plus grands prédateurs du règne animal, apparaissent constamment dans l’iconographie des peuples américains. »

    Dans un premier temps, Je me propose de commenter ce passage de Carmen Bernand tiré de son livre Histoire des peuples d’Amérique.

    La première remarque concerne le don aux dieux, qui serait selon l’opinion de Maurice Godelier une quatrième obligation, le plus souvent oubliée, dans les étapes concernant le don : le don aux dieux viendrait donc couronner les différents moments qui définissent d’un point de vue théorique la pratique du don : donner, obligation de recevoir, obligation de rendre et, enfin obligation de faire des dons aux dieux. Dans cette affaire, Maurice Godelier et à sa suite Carmen Bernand confondent, volontairement ou non, deux circonstances différentes qui peuvent se présenter en fonction du donneur : il s’agit de rendre à qui donne. (...)

    #anthropologie #Carmen_Bernand #Maurice_Godelier #Marshall_Sahlins #Luc_de_Heusch #don #dette #dieux #assujettissement #aliénation #banques #insoumission #zapatistes

  • La domination comme pratique sociale | Alf Lüdtke
    https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2015-3-page-17.htm

    Pratique sociale et « champs de forces »

    La domination comme pratique sociale (Herrschaft als soziale Praxis) : cette formule renvoie à un « champ de forces » (Thompson, 1978, p. 151)  dans lequel des acteurs sont en relation ou engagent des relations par diverses interactions, y compris quand ils tentent de s’éviter ou de s’ignorer. Ce « champ » n’est pas une donnée statique ; son étendue et ses contours évoluent à mesure que les acteurs agissent ou restent inactifs. En même temps, ces acteurs ne sont pas des sujets autonomes qui entrent de l’extérieur dans ce champ. Leurs capacités à réaliser ou refuser des incitations ou des exigences inacceptables se développent dans l’interaction avec d’autres, qui agissent à leur tour à l’intérieur de ce champ. Voici un exemple concret : le bureaucrate d’un guichet d’une administration publique sous l’Empire allemand peut à la fois parler rudement à ses requérants et ramper devant son chef de service. Mais, parallèlement, il pouvait être membre d’une organisation social-démocrate : pour les uns, c’est un « ennemi de l’Empire », pour les autres, un défenseur obtus d’une « discipline révolutionnaire ».

    La figure du « #champ_de_forces », dans lequel un pouvoir (Macht) est imposé, une #domination est justifiée ou mise en cause, évite une représentation polarisée et trop simple de ce type de relations. En face des dominants il y a en effet des dominés ­ les dominants se constituent en définissant les dominés et en disposant d’eux. Néanmoins, les dominants peuvent être pris dans des relations de dépendance. Et les dominés, de leur côté, ne sont pas seulement les destinataires passifs des mouvements des dominants. Ce qui saute aux yeux, ce sont surtout les inégalités et les contradictions entre dominants ainsi qu’entre dominés.

    Les colons blancs dans des colonies européennes peuvent ici servir d’exemple : d’un côté, ils appartenaient à la race et à la classe « dominantes  » (herrschend) ; ils étaient donc des supérieurs hiérarchiques et se sentaient supérieurs. En même temps, ils étaient ou ils devenaient dépendants des pouvoirs locaux mais aussi des gouvernements centraux ou coloniaux ou bien de leurs bureaucraties. Les Zoulous de l’Afrique du Sud nous fournissent un autre exemple, complémentaire du premier, qui montre les significations multiples que peut prendre le fait d’être dominé. Ces dépositaires traditionnels de la puissance (herkömmlich Mächtigen) se préservaient et s’assuraient une position dominante face à d’autres peuples noirs. Ce faisant, ils étaient intégrés à l’administration de la puissance coloniale anglaise ­ de laquelle ils parvenaient à conserver une quantité importante de formes « propres » de formalisation et de règlement des conflits. Coopération en même temps que différence et confrontation : dans le cas esquissé, la domination s’éprouve moins dans la résistance ouverte que dans l’acceptation, l’évitement et l’exploitation.

    La contrainte n’exclut pas des moments de consentement ­ la stabilité intègre des débuts de transformation (et vice versa). On voit ainsi les significations multiples (Mehrdeutigkeiten) [9] menées par les personnes concernées. Au-delà des contraintes, et du caractère vexatoire et indigne du « pouvoir de commandement » (Befehlsgewalt) (Weber), la violence qui est créée sur les marchés par les incitations d’une « puissance monopolistique », si elle se distingue clairement du pouvoir de commandement, ne devient, elle aussi, « réalité » que par les formes par lesquelles les destinataires la comprennent, et la transforment en pratiques. Avec des marques d’attention ou d’indifférence aussi inévitables qu’indispensables, les « subordonnés » (Dienstpflichtigen), les « policés » (Polizierten)  ou les « salariés » (Arbeitnehmer) s’approprient comme des cadres d’action (handlungsanforderungen) les directives données ; qu’il s’agisse de celles délivrées par des inspecteurs sur les horaires du travail, des lois sur l’inaliénabilité de la propriété d’un tiers, des ordonnances de la police contre les batailles de boules de neige ou de la réglementation sur les cadences au travail. Les ordres n’ont de conséquences que lorsqu’ils sont suivis. Ce n’est que lorsque ces ordres sont interprétés convenablement qu’ils peuvent s’adapter aux exigences et contraintes que les réalités locales imposent. Ceci est également vrai pour les destinataires de ces directives. Suivre mécaniquement un ordre (ou une interdiction) est en effet impossible. Seule l’interprétation voire la transformation de l’ordre permettent de s’en sortir sur le lieu de travail et sauvent l’honneur auprès des collèges et voisins. Dans la Prusse wilhelmienne, par exemple, beaucoup étaient conscients qu’il fallait « ignorer » la puissance étatique d’un policier. À l’usine, l’expérience des « taquineries » brutales amenait les travailleurs à ne pas risquer l’estime des collègues sur un simple moment d’inadvertance. Dans les situations extrêmes de l’extermination physique, en tout cas dans les « institutions totales  », de telles opportunités ou bien de telles nécessités étaient réduites au minimum. Et même le plus grand « contre-pouvoir » (Gegenmacht), celui qui pouvait consister à « se-laisser-tuer » (Popitz 1986 : 86) ostensiblement, était en définitive miné par la machinerie de la mise à mort sous le national-socialisme.

    Les appropriations des manifestations de la domination s’orientent aussi toujours par rapport à des symboles qu’elles contribuent en retour à former. L’image et le lieu commun du « thaumaturge » (Bloch, 1983) dans la France et l’Angleterre à la fin du moyen âge et au début des temps modernes étaient interprétés, notamment par les dominés (Schramm, 1981), comme un signe et un renforcement de la domination du roi. Il faudrait examiner comment ces images ont marqué, jusqu’à l’époque contemporaine, les attentes et les revendications de ces mêmes dominés et plus généralement la domination. Ainsi, les sociaux-démocrates ont façonné autour de 1900 les utopies de l’État révolutionnaire à partir des images de l’État militaire et policier qu’ils critiquaient et qu’ils attaquaient en même temps (Köhler, 1891 ; Stephan, 1977, p. 123 et suiv., p. 161 et suiv.). Les symboles du quasi-absolutisme germano-prussien produisaient des effets jusqu’au sein de l’étiquette militaire, si bien que la « marche des masses » (Massentritt) emmenée par les sociaux-démocrates pendant les manifestations s’opposait explicitement à la « marche au pas » militaire (Marschtritt) (Warneken, 1986). Pour autant, la marche pendant les manifestations continuait fatalement à ressembler à la marche militaire. Autre exemple : les « images » présentes dans les têtes et à partir desquelles on mesurait l’accomplissement idéal du travail industriel montraient des métallurgistes expérimentés et sûrs d’eux (Lüdtke, 1989 et 1991). Or c’est aussi depuis une telle représentation de la masculinité que se sont formés, pendant le fascisme allemand, les processus d’exclusion de celles et ceux tenus pour « étrangers à la communauté » (Gemeinschaftsfremde) (Peukert, 1982, p. 219 et suiv., p. 246 et suiv.).

    L’importance des socialisations culturelles pour l’analyse de la domination dans les « sociétés bourgeoises » a été analysée par Antonio Gramsci. « L’hégémonie » d’une classe repose selon lui sur la direction (« direzione ») des comportements et des interprétations imposés dans une société. Gramsci, bien sûr, donne beaucoup de poids à l’impulsion initiale de l’endoctrinement explicite ; dans ses textes majeurs, les formes calculées de production de la culture prédominent (Gramsci, 1977, p. 1638 et suiv. et p. 2010 et suiv. ; Anderson, 1976). Point décisif : la violence directe n’est qu’une exception, le dernier recours. Elle apparaît ainsi très peu comme une force systématiquement dotée d’effet dans ce qu’on peut appeler les ensembles d’assujettissement.

    De plus, l’interprétation des symboles est toujours liée aux situations, tout en les dépassant. Leur étonnant pouvoir d’attraction et la force d’influence (Wirkungsmacht) qui leur est liée résident dans le fait que ces symboles autorisent simultanément des lectures en apparence contraires et même qu’ils suscitent et affûtent ces lectures. Les symboles reposent sur ­ et renvoient à ­ des significations multiples. Ainsi, toutes sortes d’espoirs, mais aussi de peurs, deviennent concrets, c’est-à-dire réels, à travers et dans les pratiques symboliques, en tout cas l’espace d’un instant. Victor Turner a souligné que les symboles relient un « pôle normatif » à un « pôle émotionnel » (Turner, 1973, p. 27 et suiv. et p. 48 ; Turner, 1977 ; Firth, 1973) . Ce dernier serait en particulier défini par ses qualités « sensorielles ». Il parle directement aux sens à partir des bruits, des images et des odeurs, par exemple. Que l’on songe aux icônes ou aux mises en scène du prince (Herrscher), aux parades de ses troupes mais aussi aux « défilés » démonstratifs de ses opposants. Le souverain comme ses opposants faisaient toujours appel, et même parfois prioritairement, à l’ouïe et à la vue. Des symboles majestueux participent ainsi à la représentation d’un sujet « loyal » que l’on retrouve dans la figure du « citoyen » ; quant aux images rebelles ou oppositionnelles, elles montraient le héros combattant ou patriotique de la révolution auquel rêvaient les « camarades » (Agulhon, 1979 ; Lüsebrink, Reinhardt, 1990 ; Hardtwig, 1990).

    On se rappelle ou on oublie l’#assujettissement de diverses manières en particulier l’assujettissement conquis par la violence de la domination (Herrschaftsgewalt) ou la menace d’y recourir. Ici aussi chacun et chacune fait ses propres expériences et utilise des symboles spécifiques. L’interprétation, le langage non verbal et le langage verbal participent à la perception de ces symboles sans pour autant se confondre avec les perceptions elles-mêmes. La domination désigne en outre une pratique sociale qui inclut de manière particulièrement palpable des réalités qui ne se réduisent pas au langage : Heinrich Popitz a souligné que le « pouvoir de blesser » ne peut être distingué du « pouvoir de tuer » (Popitz, 1986, p. 69 et suiv.). La domination ne peut donc être détachée de l’expérience de douleurs et de souffrances physiques, de l’angoisse de la mort et du deuil des morts. L’expérience et l’action sont plus qu’un texte. Elles comprennent singulièrement des expériences sensibles que les mots ne peuvent tout à fait exprimer .

    C’est seulement au moment précis où elles se lient les unes aux autres qu’émerge l’appropriation (Aneignung). Dans ces liaisons par appropriation se développent ces potentialités qui seules rendent des dynamiques historiques possibles. Plus concrètement, même s’il est important de rappeler l’importance de la signification prise par toute imposition par la violence, la question reste entière de savoir si, au-delà des configurations bi-polaires, il n’existe pas aussi des simultanéités ambigües : docilité et insubordination, accord ou acceptation et distance. Cette perspective permet de voir de drôles « d’enchevêtrements ». Elle rend réels au quotidien les peines et efforts de la multitude (die Vielen) 

    #histoire #sciences_sociales

  • Que risque-t-on à retirer soi-même son stérilet ? | Slate.fr
    https://m.slate.fr/story/156853/gynecologie-retirer-diu-sterilet-toute-seule-pas-dangereux

    « Quand une femme enlève son DIU seule pour changer de contraception ou avoir un enfant, elle reprend du pouvoir face à l’#assujettissement social et médical ; c’est ça qui terrifie la société et le masculin en particulier », analyse Maï Le Dû, qui est également docteure en sociologie.

    Non seulement c’est sortir cet acte du pré-carré des soignants –et on sait à quel point certains médecins tiennent à leur situation de monopole, ne souhaitant pas que certains actes soient réalisés par les sages-femmes–, mais c’est aussi une remise en cause des pratiques de certains d’entre eux. Car quelles sont les raisons qui peuvent faire que des femmes vont éviter de passer par la case « consultation » pour retirer leur #DIU ? « Énormément de facteurs peuvent mener à ce geste, notamment la façon dont les #femmes sont traitées dans un cabinet médical », observe la sociologue Lucile Ruault.

  • S’il existe quelque chose comme le « # féminisme blanc », l’#idéologie de l’#identité de #genre en est vraiment l’incarnation parfaite. | TRADFEM
    https://tradfem.wordpress.com/2017/08/01/sil-existe-quelque-chose-comme-le-%E2%80%89feminisme-blanc%E2%80%

    « Le sexe et le genre sont beaucoup plus complexes et nuancés que les gens l’ont longtemps cru. Définir le sexe comme une réalité binaire invite à y voir un simple commutateur électrique : allumé ou éteint. Mais en fait, le sexe ressemble beaucoup plus à un interrupteur-gradateur, avec beaucoup de gens assis quelque part entre les catégories d’homme et de femme, aux plans génétique, physiologique et/ou mental. Pour refléter cette gradation, les scientifiques décrivent maintenant le sexe comme un spectre.

    Malgré ces éléments probants, les gens s’accrochent à l’idée que le sexe est binaire parce que c’est l’explication la plus simple à croire. Elle est conforme aux messages que nous voyons dans les publicités, les films, les livres, la musique — essentiellement partout. Les gens aiment les choses familières, et la structure binaire est familière (surtout si vous êtes une personne cisgenre qui n’a jamais eu à faire face à des problèmes d’identité sexuelle). »

    Mais les féministes ne soutiennent pas que le sexe est réel parce que c’est « l’explication la plus simple à croire », ou en raison de ce que les médias nous disent. Nous soutenons que le sexe est réel, car dès le moment où une échographie révèle qu’un bébé est de sexe féminin, son #assujettissement commence. Et bien que « l’identité de genre » soit présentée comme un enjeu dont le féminisme doit s’occuper, elle est, comme l’explique Rebecca Reilly-Cooper, en contradiction absolue de l’analyse féministe du sexe biologique comme axe d’#oppression :

    « La sujétion historique et continue des femmes n’est pas apparue parce que certains membres de notre espèce choisissent de s’identifier à un rôle social inférieur. (Laisser entendre que c’est le cas serait un acte flagrant de blâme des victimes.) Elle est apparue comme un moyen pour les hommes de dominer la moitié de l’espèce qui peut porter des enfants et d’exploiter son travail sexuel et reproductif.

    • tout cela est très très complexe. Effectivement l’idée qu’il y ait une identité (individuelle) de genre et pas une construction (sociale) du genre sur la base de critère physique peut conduire à nier la spécificité de l’oppression sexiste.

      Mais pour fréquenter des femmes et des hommes trans, n’est ce pas aussi nier leur vécu, et donc créer une oppression, que de dire qu’il n’y pas d’identité de genre subjective et individuelle ?

  • Vers l’#autoritarisme ? Crise de la #démocratie libérale et #politique d’#émancipation – CONTRETEMPS
    http://www.contretemps.eu/autoritarisme-democratie-palheta

    Le #capitalisme n’a jamais été démocratique en lui-même, même au sens – tronqué et hypocrite – de la démocratie libérale ou parlementaire. Rien dans ses structures fondamentales n’impose l’existence d’un #gouvernement représentatif, du #suffrage universel, des libertés civiques, et encore moins de #droits sociaux limitant un tant soit peu l’#exploitation, sans même parler d’une démocratie conçue selon son étymologie comme #pouvoir populaire[1].

    Au contraire, le capitalisme n’a jamais cessé d’être profondément autoritaire et anti-démocratique. Ce qui a pu varier au cours de son histoire, ce ne fut jamais la présence ou non de l’#arbitraire et de la #violence – logés au cœur même du mode de #production capitaliste sous la forme de ce que Marx nommait le « #despotisme d’usine », ou plus largement de la #subordination des travailleurs aux propriétaires capitalistes –, mais le degré d’arbitraire du Capital et le niveau de violence de l’État capitaliste vis-à-vis des salariés mais aussi des petits paysans, dont on sait avec quelle brutalité ils furent (et sont) expropriés. Qu’on relise s’il est besoin les pages consacrées à l’#accumulation primitive dans le livre 1 du Capital.

    Il faut ajouter à cela que la construction de la démocratie libérale, en France particulièrement, s’est payée de l’#assujettissement colonial et s’est fondée sur un pacte national/racial, vouant les peuples #colonisés à l’exclusion de tout droit politique et à un traitement d’exception qui persiste en partie, sous des formes certes moins visibles, pour leurs descendants vivant en France, dont il s’agit d’écraser en permanence la capacité politique autonome[2].

    On ne saurait donc craindre que le capitalisme devienne autoritaire, car il l’a toujours été.

    #racisme

  • CIP-IDF > Nous avons lu le néolibéralisme ou Foucault chez les patrons - Université ouverte
    http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=3271

    Pour que ce travail soit un travail de coproduction il ne s’agirait pas tant de mettre au centre de cette rencontre la question de ce qu’est le libéralisme mais plutôt de ce qu’est un #conflit dans le libéralisme, c’est à dire le conflit des #intermittents, comment il a été mené et pourquoi.

    Pour moi, le conflit des intermittents est exemplaire et il faudrait articuler autour des dynamiques du conflit les interrogations qu’on se pose pour élucider certains aspects. Je suis convaincu que le conflit est production de savoir, production de problèmes et de dispositifs pour essayer de résoudre les problèmes. Pour nous aider à penser on peut convoquer #Foucault mais pas seulement, je tiens à ce que ce ne soit pas un séminaire sur Foucault. Cependant Foucault est intéressant mais pourquoi ? Pourquoi peut-on partir de Foucault ? D’abord pour une raison très simple, pour ce livre notamment « Naissance de la #biopolitique » qui est un cours qu’il a donné au collège de France. Ce livre est au cœur du conflit des intermittents très simplement parce que le conflit des intermittents est le dernier volet du premier chantier de la refondation sociale. La refondation sociale est le programme politique du #Medef, qui a entre autres été rédigé par un élève de Foucault, François #Ewald, et c’est ce dernier qui a récemment édité le livre de Foucault. Par ailleurs beaucoup de concepts de la refondation sociale sortent de ce livre, notamment le concept de « #social » et il est effectivement étonnant qu’un programme patronal s’appelle « refondation sociale » [7]. Alors pourquoi ? En trois mots très simplement.

    Foucault l’explique très bien. Le gouvernement néolibéral c’est un gouvernement de la société. Il l’explique ainsi : dès que l’économie politique est née, et s’est développée, elle est rentrée en antagonisme avec la politique. Ce sont deux façons dit Foucault, de constituer des rapports sociaux complètement différentes. La politique fonctionne sur la base des droits, des droits naturels qu’on transfère à quelqu’un d’autre, tandis que l’économie fonctionne sur des intérêts. Les deux modes de socialisation sont incompatibles, il faut donc un troisième élément qui permette d’articuler ces deux niveaux. Ce troisième niveau c’est le social, la société civile.

    Ainsi Foucault dit que le gouvernement néolibéral est un gouvernement qui doit partir de la maîtrise du social qui lui permet d’articuler économie et politique . Il aurait donc différents dispositifs hétérogènes et la possibilité d’articuler ces dispositifs passe par le social. C’est pour ça, je pense, qu’effectivement, la refondation du Medef s’appelle la refondation sociale, c’est une façon de pouvoir réarticuler ce qui normalement est hétérogène. Le problème du rapport entre économie et politique est au centre de tous les problèmes politiques depuis la naissance du capitalisme. Prenez Hobbes, Marx, Adam Smith, Anna Harendt, Carl Schmidt …tout se noue autour de cette question et cette façon de penser le rapport entre économie et politique médiatisé par le social est très originale.

    On comprend ainsi la centralité d’agir sur les dépenses sociales par exemple, pourquoi on doit passer par là. Voilà la première chose et tout ça Foucault l’explique très bien. On pourra revenir dessus, c’est fondamental. Si vous lisez ce texte, on comprend que les idées développées à propos du néolibéralisme comme gouvernement de la société sont passées dans le projet de refondation sociale du Medef à travers je pense, François Ewald ex-élève de Foucault. Indirectement ce livre est donc au cœur du mouvement des intermittents.

    L’autre question qui a à voir avec le conflit c’est que Foucault nous fait comprendre que nous avons encore une vision très XIXe siècle du capitalisme, c’est-à-dire une vision du capitalisme comme capitalisme disciplinaire. Foucault dit que nous sommes dans une autre dimension où il y a un changement des formes de contrôle d’organisation de la société et un changement des formes d’#assujettissement, de #subjectivation de la société. Ces questions-là se trouvent aussi au cœur du conflit des intermittents. Nous y reviendrons lorsqu’on parlera de façon plus approfondie de la différence entre discipline et sécurité.
    Ce sujet est d’ailleurs au cœur d’un autre livre de Foucault très important qui explique que nous sommes passés d’un capitalisme centré fondamentalement sur la discipline à un capitalisme où le contrôle passe par ce qu’il appelle une action sur une action, un capitalisme qui utilise la liberté comme forme d’organisation des rapports de pouvoir . C’est un autre aspect très important, d’ailleurs le libéralisme se définit comme gestion de la liberté. Le libéralisme c’est la production et la consommation de la liberté. Il faut donc voir ce qu’est cette liberté, c’est un autre problème important. Ce qui nous concerne en revanche directement c’est que la forme de l’assujettissement qui met en place cette nouvelle forme de capitalisme que Foucault appelle dispositifs de sécurité n’est plus tellement la subordination et l’obéissance qui étaient des caractéristiques du capitalisme disciplinaire lequel avait son expression la plus aboutie dans la subordination salariale, mais que cette forme d’assujettissement passe par ce que Foucault appelle le #capital_humain dont nous parlait Antonella ou le devenir entrepreneur de soi-même.

    L’objectif du néolibéralisme est de transformer le travailleur en individu subordonné qui obéit qui est à l’intérieur d’une organisation du travail où tout est déjà déterminé et décidé, il doit par contre transformer ce travailleur en entrepreneur de soi-même [8]. Entrepreneur de soi-même évidemment cela veut dire que l’individu est responsable et qu’il doit garantir par lui-même tous les investissements qui sont nécessaires à la production de sa force de travail. Mon hypothèse sur la puissance et la continuité du conflit des intermittents est que ce conflit s’est installé dans un endroit qui est à mon avis stratégique.

    Le capitalisme contemporain du point de vue de ces dispositifs de subjectivation ou d’assujettissement est une coopération entre deux formes d’assujettissement, l’ assujettissement salarial et l’assujettissement entrepreneurial . À travers la lutte on l’a vu très clairement, on est assigné à être des salariés ou bien on est assigné à être entrepreneurs, il y a deux logiques différentes qui sont portées l’une par les syndicats l’autre par le Medef. L’assujettissement salarial est fondé sur la subordination, sur l’obéissance et l’assujettissement entrepreneurial sur l’autonomie et la capacité à être entrepreneur de soi-même. Je pense que la force du mouvement des intermittents est donc qu’il essaye de s’échapper entre ces deux formes d’assujettissement.