• Tsunami en Indonésie : « Les ONG étrangères peuvent être un fardeau » - Libération
    https://www.liberation.fr/planete/2018/10/11/tsunami-en-indonesie-les-ong-etrangeres-peuvent-etre-un-fardeau_1684725

    Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières, justifie la décision de Jakarta de privilégier l’aide locale. Selon lui, l’arrivée de milliers de secouristes internationaux peut mener à une « catastrophe dans la catastrophe ».

    Dix jours après le tremblement de terre suivi d’un tsunami survenu sur l’île des Célèbes en #Indonésie, le bilan continue de s’alourdir, avec plus de 2 000 morts, 80 000 sans-abri et 5 000 disparus, nombre d’entre eux ayant été ensevelis par le phénomène de liquéfaction des sols qui a englouti un pan entier de la ville de #Palu. Après avoir déclaré la semaine dernière qu’elles acceptaient de l’aide venue de l’étranger, les autorités indonésiennes ont finalement annoncé jeudi compter 10 000 secouristes sur le terrain et ne pas avoir besoin d’assistance extérieure, à part pour les quatre priorités qu’elles ont identifiées, soit des tentes, des appareils de traitement d’eau, des générateurs et des véhicules. Depuis quelques jours, la presse se fait l’écho du désarroi des petites associations de pompiers ou de médecins qui avaient fait le voyage. Comme d’autres équipes venues d’Europe, elles se sont retrouvées bloquées par les autorités, leurs chiens de recherches mis en quarantaine, leurs dons de médicaments refusés, et ont dû revenir en France sans avoir pu accéder à la zone sinistrée. Seuls des Pompiers de l’urgence internationale, qui collaboraient depuis dix ans avec l’organisation locale Jakarta Rescue, semblent avoir pu travailler sur place, recherchant en vain des survivants dans les décombres de l’hôtel Mercure. Rony #Brauman, un des pionniers de l’humanitaire, président de Médecins sans frontières France de 1982 à 1994 et désormais directeur d’études à la fondation #MSF, défend la position de #Jakarta.

    Que pensez-vous du choix indonésien de limiter l’aide internationale ?

    Les autorités ont raison de filtrer l’arrivée des #ONG étrangères, qui peuvent être plus un fardeau qu’une aide. Lors du tsunami de 2004, le débarquement de milliers de secouristes inexpérimentés et désordonnés avait été une catastrophe dans la catastrophe. Les administrations locales ont déjà fort à faire, elles doivent s’occuper des routes encombrées, de la sécurité, du manque d’eau, d’essence, de logements. Il leur est impossible de gérer des centaines d’ONG qui vont peser sur les ressources locales et qui n’ont souvent pour elles que leur bonne volonté, le besoin de s’assurer un crédit en termes d’image ou, plus rarement, des motivations crapuleuses [se rendre sur les lieux d’une catastrophe permet de faire un appel aux dons, ndlr]. D’où l’importance d’une autorité locale qui organise, cadre, dirige. Ce n’est pas agréable de se faire imposer un lieu et une forme d’action, mais c’est indispensable.

    MSF n’a pas envoyé d’aide aux Célèbes, à part une mission d’évaluation des besoins. Est-ce par choix ou parce que l’Indonésie refuse ?

    Un peu des deux. Nous avons une très longue expérience des catastrophes naturelles et nous savons que, sauf exception notable, les premiers secours d’urgence sont assurés par les forces locales et par les structures politiques, religieuses ou militaires. La solidarité collective s’organise spontanément. Plus tard, les ONG peuvent prendre le relais, pallier la fatigue et l’épuisement. Mais la coordination avec le pouvoir local et les Nations unies est indispensable. Même si la société est bouleversée par un événement inattendu, on ne peut pas débarquer comme ça au bout du monde.

    Que pensez-vous des critiques émises contre le pouvoir indonésien, accusé à mots couverts de laisser mourir sa population ?

    Elles tiennent de l’arrogance et de la présomption, lesquelles peuvent prendre des proportions effarantes. Il y a dix ans, lors du cyclone en Birmanie, certaines ONG avaient publié des bilans cataclysmiques. Des éditos assassins accusaient le pouvoir birman de mettre en danger un million de personnes. Il y a même eu des menaces d’intervention par la force de la part des Etats-Unis, du Royaume-Uni ou de la France. Or le risque de famine et d’épidémie était nul, et la société et l’armée avaient pris en main la distribution d’eau potable et de nourriture. Même si les chiffres sont forcément très imprécis, c’est immoral d’exagérer sciemment les besoins pour mieux se mettre en valeur.

    Lors de ces catastrophes, a-t-on tendance à mettre en lumière l’aide occidentale ?

    L’aide locale ne se voit pas sur les images, les gens sont habillés comme les autres, ont la même allure. L’information est souvent centrée sur les équipes venues de l’étranger. En #Haïti, une seule personne désincarcérée par des pompiers occidentaux avait accaparé les médias, qui semblaient ignorer que 1 500 autres survivants avaient été sortis à mains nues par les habitants. Au Sri Lanka, en 2004, une bande de terre de 50 à 200 mètres avait été touchée par le tsunami. Dès les premières 24 heures, le pays avait mobilisé un millier de médecins et d’infirmiers qui connaissaient la langue, l’organisation de soins et la pharmacopée locales. Malgré cette réponse forte, on continuait d’envoyer depuis l’étranger des équipes médicales inutiles.

    Mais n’y avait-il pas urgence à soigner les blessés à Palu ?

    Contrairement à un mythe infondé, même si les besoins médicaux ont un aspect spectaculaire, ce n’est pas le problème fondamental. Haïti a été une exception en 2010, puisqu’il y a eu un très grand nombre de blessés en quelques minutes à Port-au-Prince à cause de l’habitat construit en dur avec de mauvais scellements. Les structures locales n’étaient pas capables de répondre à des attentes aussi spécifiques que des interventions chirurgicales orthopédiques. Nous avions donc effectué 15 000 procédures chirurgicales d’urgence pour environ 10 000 blessés [les patients peuvent avoir plusieurs blessures]. A Palu, la plupart des victimes sont mortes écrasées dans l’effondrement des immeubles ou noyées par le tsunami. Les autres ne sont en général que légèrement blessées ou ont perdu leur logement. La question des abris est un enjeu primordial. Le manque de sommeil est rarement évoqué, pourtant, si les gens ne peuvent pas dormir à cause de la pluie ou du vent, ils vont tomber malades, devenir agressifs…

    Sur place, des journalistes racontent que les habitants, affamés et assoiffés, espéraient pourtant de l’aide étrangère…

    A l’évidence, le gouvernement indonésien n’a pas mis en place un dispositif d’information à destination de la population de Palu. Les délais d’arrivée des vivres, de l’eau potable, des générateurs sont difficiles à juger faute de connaissance des réalités de terrain. La mobilisation et le transport de grandes quantités de matériels et de biens de survie prennent toujours du temps, en fonction de la localisation des dégâts, de l’état des ports et des aéroports, de l’isolement des villages gravement touchés… Et seules les armées disposent des moyens logistiques nécessaires.

    La menace du choléra est souvent agitée pour justifier une intervention extérieure. Est-ce un mythe ?

    En tant que médecin, j’ai été frappé de voir les Indonésiens regrouper les corps et les enterrer rapidement après les avoir recouverts de chaux, comme si on croyait encore à la génération spontanée de micro-organismes meurtriers. Les cadavres en grand nombre sont une source d’anxiété, dégagent une odeur intenable mais ils ne génèrent pas de risque épidémique. Certes, une canalisation peut se rompre, entrer en contact avec des corps en décomposition, ce qui créera des foyers de gastro-entérites très désagréables et des problèmes sérieux pour les bébés et les personnes fragiles. Et s’il y avait déjà du #choléra sur place, le séisme ne va pas arranger les choses. Mais c’est tout. Cette croyance qui date de l’Antiquité a des conséquences juridiques, financières et psychologiques importantes : sans les rites funéraires, la sublimation de la mort n’aura pas lieu ; si le décès de leurs proches n’est pas déclaré, les survivants vont se trouver face à des casse-tête juridiques, etc. On pourrait attendre des autorités sanitaires qu’elles rétablissent la vérité. Or les ONG et les agences des Nations unies contribuent à partager et diffuser un mythe potentiellement problématique.

    De crise en crise, le secteur de l’humanitaire apprend-il de ses erreurs ?

    Depuis une vingtaine d’années, les choses ont tendance à s’améliorer, grâce à des dispositifs d’information et aux critiques. Il ne faut pas tout jeter par-dessus bord. Comme les ressources locales ne sont pas inépuisables, une assistance internationale bien organisée peut se révéler extrêmement utile dans un deuxième temps, en amenant par exemple des moyens de télécommunication, du matériel de construction ou de l’aide alimentaire si les récoltes sont détruites. Je pense qu’il faudrait créer un système d’accréditation des organisations non gouvernementales pour les situations d’urgence, qui serait basée sur des critères d’expérience, de logistique et d’autonomie matérielle totale.
    Laurence Defranoux

    #humanitaire #rapport_colonial

  • Pourquoi il faut en finir avec le « sorcier blanc » - Libération
    http://www.liberation.fr/sports/2018/06/20/pourquoi-il-faut-en-finir-avec-le-sorcier-blanc_1660493

    En fin de thèse à l’université Paris-Descartes, où il travaille sur le thème de la vulnérabilité sociale des athlètes, Seghir #Lazri passera pendant le Mondial quelques clichés du foot au tamis des sciences sociales.

    Après une défaite lors de la première journée contre l’Iran, le Maroc se doit de gagner contre le Portugal et l’Espagne pour espérer atteindre les huitièmes. Tous les regards sont donc portés sur son entraîneur français, Hervé Renard à qui l’on attribue tous les mérites de la qualification pour cette phase finale. Il devra donc redoubler de génie pour que « la magie » opère.

    « Magie », en effet, puisque Hervé Renard, qui est fait ses classes sur le continent africain, est l’héritier légitime de Claude Le Roy, ancien coach du Sénégal et du Cameroun (entre autres), et avec qui il partage le surnom de « Sorcier blanc » (comme Alain #Giresse, ou le défunt Henri Michel). Que faut-il donc entendre par cette formule ? Et surtout à quelle réalité sociologique renvoie-t-elle ?

    D’un point de vue organisationnel, tout d’abord, les #entraîneurs comme Hervé Renard s’inscrivent dans une logique de #globalisation mondiale du football. Si on les perçoit comme les figures de proue de la diffusion du coaching à la française en Afrique, ils ne sont, en réalité, que la partie émergée de l’iceberg. Et pour cause, certains territoires africains, notamment francophones sont depuis la fin des années 90, des hauts lieux de production de footballeurs à destination du marché européen. Les nombreux travaux du géographe Bertrand #Piraudeau, nous montrent que par la mise en place de centres de formation, mais aussi d’académies privées, le modèle de formation européen et notamment français est devenu la norme standard de toutes les écoles de football. Cela ayant pour conséquences de produire des joueurs répondant au critère du jeu européen (normalisation du style de jeu), mais aussi de légitimer la place des intervenants et entraîneurs en provenance des pays occidentaux. Aux premiers abords, Hervé Renard apparaît donc, comme un technicien du football dans un milieu social et géographique, déjà dominé par les injonctions du foot européen.

    Que faut-il entendre par « Sorcier » ?

    Par ailleurs, à ce statut de technicien, vient s’adosser cette expression de « sorcier ». Et si le terme s’invite dans les représentations collectives, c’est qu’il renvoie à deux domaines précis. D’une part, il fait écho au monde de l’élite sportive, s’apparentant à un univers sacré, selon les écrits de la psychologue du sport Claire Carrier où l’entraîneur transmet un savoir particulier, incompris des profanes. Et d’autre part, il fait allusion à une image « positiviste » des populations africaines. Autrement dit, à une représentation colonialiste circulant autour de ces populations, les réduisant à un imaginaire mystique et superstitieux. Ces individus interpréteraient la science footballistique comme une magie. Si le terme « sorcier » met en lumière une vision dévalorisante des populations africaines. La connotation « blanche » invite à questionner plus profondément ces représentations.

    Blanc, avez-vous dit ?

    En prenant en compte ce terme de « blanc » associé à « sorcier », on s’aperçoit que ce surnom renvoie d’autant plus à une dimension raciale que sociale. Pour exemple, le sélectionneur sénégalais du #Sénégal, Aliou Cissé, arrivé en France à 16 ans et ayant fait toute sa carrière en Europe, ne se voit pas assigner ce titre. Au contraire, il apparaît comme un entraîneur local, bien qu’il ait sans doute développé ses compétences en Europe. A ce propos, la chercheuse Claire Cosquer, dans un article sur ce même sujet, montre que le terme sociologique de « blanchité » accentue la fable colonialiste. Pour Claire Cosquer (en s’appuyant sur les analyses de Claude Boli), la notion même de « sorcier blanc » fait référence à une figure particulière de l’époque coloniale, qui est celle du #missionnaire. Cette effigie, à la fois paternaliste et directive, assigne les populations noires africaines à un imaginaire sauvage et enfantin. Et c’est aujourd’hui, encore par ce prisme, que le joueur africain est présenté comme puissant athlétiquement, aussi bien qu’immature intellectuellement. D’ailleurs, de Claude Le Roy à Willy Sagnol, de nombreux entraîneurs européens ne manquent pas de souligner leur manque de rigueur ou encore leur absence de sens tactique.

    Et c’est cette « altérité noire », véhiculée par le monde l’élite sportive qui consolide le terme de « Sorcier blanc », afin notamment, de légitimer la suprématie d’un capital technique sur un autre (Football européen vs football africain). Résultat d’une historicité des rapports coloniaux, la notion de « Sorcier blanc », se présentant comme passionnelle, montre que si le sport peut être un outil de déconstruction des représentations sociales, il est aussi un instrument pour les fortifier.
    Seghir Lazri

    Passionnant. Ça donne envie d’en savoir plus sur les travaux de Seghir Lazri.

    #football #Afrique #hervé_renard #entraîneur #sport #rapport_colonial #sorcier_blanc #représentations_colonialistes #aliou_cissé #noirs #paternalisme #blancs