Moi, c’est venu sans crier gare un lundi soir sur la ligne 9 du métro.
« J’ai écrit un livre sur le Moyen Âge africain. »
On était lundi, il faisait nuit, il faisait froid mais la phrase a allumé une ampoule dans ma tête. J’allais prendre le métro avec un historien que j’avais rencontré à un dîner. Je lui demandais quels livres il avait écrits et donc il m’a répondu ça. « J’ai écrit un livre sur le Moyen Âge africain. »
Moyen Âge + Afrique. Je crois bien que jamais de ma vie je n’avais entendu ces deux termes côte à côte. Évidemment, comme à peu près tout le monde, j’avais été mortifiée quand Nicolas Sarkozy avait déclaré dans un discours officiel que l’homme africain n’était pas encore entré dans l’histoire. Je veux dire, on sait bien que c’est faux. Conceptuellement.
Mais entre la préhistoire et la colonisation, j’étais bien incapable de vous citer des faits de l’histoire du continent africain. C’étaient pas des tribus plus ou moins nomades qui avaient su préserver l’authenticité de leurs croyances primitives ?
Un continent très dynamique
On a pris le métro et mon interlocuteur m’a raconté qu’il y avait des rois, des châteaux, des cours royales, des protocoles, des alliances. Qu’il y avait du commerce avec la Chine et l’Inde, que les commerçants musulmans étaient une des sources de connaissance de cette période. L’Afrique n’était pas coupée du reste du monde. Le continent était dynamique, en échange avec les autres régions. Le Moyen Âge africain, du VIIIe siècle au XVe siècle. Une immense période historique qui reste à découvrir, sur laquelle ils sont encore peu nombreux à travailler. Une période qui va sans doute modifier notre vision de l’histoire mondiale et donc également de l’histoire occidentale. Il m’a dit un truc comme : « Il faut arrêter de former autant de spécialistes du XIXe siècle français et aller voir en Afrique. »
Ce n’est pas seulement une étendue historique qui reste à explorer mais de véritables territoires. « On a à peine commencé à fouiller, faute de moyens et de spécialistes. » Les stations éclairées au néon défilaient et il a rassemblé ses mains vers le bas avant de les écarter lentement pour m’expliquer qu’il y avait des palais, des villes entières à découvrir sous le sable, qui allaient surgir. Il était 23 heures, on était dans le métro de la ligne 9 et on aurait dit qu’il mimait l’éclosion d’une fleur. « En Ethiopie, j’ai découvert trois villes ! Avec les habitations, les rues, les mosquées. Trois villes ! » (Je suis allée vérifier et c’est vrai. Il y a dix ans, avec son équipe, il a découvert trois cités médiévales musulmanes qui pourraient être les vestiges du royaume de Shoa qu’on connaissait par des textes mais qu’on n’avait jamais situé géographiquement.)
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Ça m’a rappelé de vieilles discussions avec des potes. On se demandait à quoi ressemblaient la vie et l’art quand l’humain n’avait pas encore exploré toute la Terre. Quand on imaginait des ailleurs, des terres inconnues, des monstres fabuleux. Alors certes, je savais qu’il restait le fond des océans à découvrir. Mais là, j’avais face à moi un archéologue dont les yeux brillaient en évoquant des royaumes entiers qui sortiraient du sable, de la végétation et de l’oubli.
Avant, je ne savais même pas que je ne savais rien. Maintenant, je sais qu’on ne sait rien. Et c’est assez excitant. Ce chercheur s’appelle François-Xavier Fauvelle, son livre sur le Moyen Âge africain s’intitule Le Rhinocéros d’or (il est sorti en 2013 et ça a été un gros succès). Il vient de publier un essai À la recherche du sauvage idéal qui a l’air tout aussi passionnant.