Au Snipat, Guillaume Groult estime que « prétendre que le gaz lacrymogène est sans risque est un mensonge ». Dans une note interne, consultée par Libé, la doctrine d’organisation tactique des CRS précise tout de même que « lors de l’interpellation d’un individu ayant subi les effets lacrymogènes, […] il convient de s’assurer aussitôt de l’état de santé de la personne et de la garder sous surveillance permanente ». « Au besoin, un examen médical doit être pratiqué dans les meilleurs délais et un certificat médical descriptif doit être sollicité, est-il ajouté. Le commandant d’unité doit être en mesure de remettre au médecin, qui reçoit la personne incommodée, la composition chimique de la grenade lacrymogène employée. » Des consignes qui laissent penser que la police nationale ne considère pas le gaz lacrymogène comme un produit anodin.
En interne, la question se pose effectivement. Sous couvert d’anonymat, un CRS regrette qu’« aucune sensibilisation sur le gaz ou quelconque problème de santé possible » ne soit faite auprès des agents. Un autre, moins sensible au sujet a priori, concède qu’il serait « effectivement intéressant d’avoir plus de recul ».
Libé s’était déjà penché sur la question de la dangerosité des gaz lacrymogènes. C’était en 2019, le mouvement des gilets jaunes battait son plein et Alexander Samuel, un professeur de mathématiques au collège et docteur en microbiologie, analysait le sang de manifestants. Il avait alors conclu que le gaz CS contenu dans les grenades de la police était transformé en cyanure dans le corps humain, sans pour autant parvenir à prouver une intoxication au cyanure.
Aujourd’hui, l’ancien gilet jaune, distingue deux toxicités : l’une aiguë, « rarement étudiée », qui peut aussi bien être due au « fait de brûler totalement les poumons » qu’à « la dose de cyanure » libérée par la CS dans le corps. L’autre toxicité est chronique. « Là, il n’y a que le cyanure, à mon avis, qui pose problème. Il est rapidement éliminé dans les urines mais a le temps de causer des dégâts dans l’organisme, documentés dans mon dossier. » Son dossier, c’est un document de 127 pages corédigé en 2020 avec André Picot, directeur de recherche honoraire au CNRS et fondateur de l’association Toxicologie-Chimie de Paris, depuis décédé. Une figure scientifique qui donne suffisamment de poids à ces travaux pour qu’ils soient lus par la police scientifique française, notamment par Guillaume Groult.
Les rares études internationales existant sur le sujet restent parcellaires mais donnent quelques pistes. La transformation du gaz CS en cyanure est démontrée chez les animaux en cas de forte exposition. Les effets sur la peau, le système respiratoire et les yeux sont aussi pointés par trois articles scientifiques de 2014, 2015 et 2017, qui regrettent tous les limites des données existantes sur les effets des gaz lacrymogènes et appellent à davantage de recherches.
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« On utilise les gaz lacrymogènes sans connaître réellement leurs effets sur la santé et l’environnement. C’est alarmant », s’anime Lola Conte (Forensic Architecture). Idem pour Alexander Samuel, pour qui « il y a un vide juridique. On a une agence pour s’assurer de la sécurité sanitaire de l’alimentation, une pour les médicaments, mais, à ma connaissance, aucune n’a en charge la sûreté des produits chimiques utilisés pour le maintien de l’ordre ». Il a fait remonter l’affaire à la commission nationale de déontologie et d’alerte en santé publique en 2019. Celle-ci, après un bref échange avec le ministère de l’Intérieur en 2020, affirme à Libération avoir recommandé « que soit réalisée et rendue publique une expertise scientifique par une agence indépendante sur les conséquences possibles d’une exposition répétée des agents des forces de l’ordre aux gaz lacrymogènes, ainsi que des participants aux défilés et manifestations présentant des facteurs de vulnérabilité ». Une demande restée lettre morte depuis le 16 octobre 2020. Sollicité par Libé, le ministère de l’Intérieur n’a pas répondu.