Comment la boue devient claire
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Il était donc permis de se demander si l’État bourgeois, confronté à un conflit encore supérieur, assumerait à nouveau de tuer pour remplir sa tâche. Toute observation lucide de l’époque, et par suite toute théorie un tant soit peu conséquente, mène depuis quelques années au moins à ce constat : le triomphe incontesté du néolibéralisme est terminé et une nouvelle phase historique s’est ouverte, qui implique sa fuite en avant et son raidissement autoritaire. Ces points de tension extrême vont se multiplier — ils se multiplient déjà. Mais le même État a aussi bâti sa légitimité sur la pacification de la société qui, bien que toute relative, a rendu inacceptable le tir au fusil dans la foule, encore si courant au début du vingtième siècle. Que ferait-il alors au pied du mur ? Autrement dit : face à la réintensification du conflit de classe qu’implique la décomposition de la société marchande, l’État bourgeois serait-il de nouveau prêt à tuer s’il venait à être menacé, alors même qu’il mettrait ainsi en jeu l’un des piliers de sa stabilité ?
La manifestation du 24 mars 2023 à Sainte-Soline vient de donner la réponse : c’est oui.
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En vérité, cette réponse était déjà incluse dans la compréhension de ce qu’est l’État bourgeois. Rien de nouveau : elle n’est pas surprenante. Et pourtant, l’entendre n’a rien de plaisant. On peut être légitimement abasourdi devant le tableau grotesque de dirigeants si aveuglés par la tâche qui est la leur qu’ils y sacrifient tout le reste. Leur horizon est à ce point restreint au présent le plus immédiat qu’ils compromettent leur propre avenir : les réprimés d’aujourd’hui sont les révolutionnaires de demain. C’est l’unique sens de la posture choisie par le gouvernement actuel, composé de gestionnaires de choses incapables de connaître les individus : il ne comprend pas. Pas plus que tous les autres sujets de la société marchande, les dirigeants ne savent ce qu’ils font. Cette perte de contrôle est la condition de l’État dans la décomposition : lorsque même la fuite en avant échoue, il n’y a plus qu’à sauver les meubles.
Certes, l’État ne s’était jamais arrêté de tuer. Dans les cités ou dans le « maintien de l’ordre », il n’a jamais été gêné par quelques meurtres occasionnels pour préserver sa paix publique. Et la mémoire de ces morts résonne encore dans les cortèges. Mais contrairement à ceux de la Commune, du massacre de Fourmies ou de la répression des vignerons du Midi, l’État a pu les présenter comme des accidents ponctuels, de fait considérablement moins nombreux, des dommage collatéraux, « en marge » d’une stratégie qui n’aurait jamais accepté la possibilité de tuer, puisque ses victimes ne menaçaient pas directement le monde marchand.
La dernière manifestation à Sainte-Soline, à l’inverse, a démontré par les faits que l’État est prêt à repousser tout assaut contre les marchandises au prix potentiel de vies humaines. La forme qu’y a pris la répression n’est pas un accident mais une volonté planifiée, assurée et menée jusqu’à son terme. Voilà son importance historique. La puissance des images qui en sont issues n’est pas seulement symbolique : elles apportent également une clarification éloquente de ce qu’est réellement la société marchande.
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Il n’y a pas de radicalisation de l’État : seulement un retour à ses fondamentaux.