• écoute un technocrate — ou péquenocrate ? — causer dans le petit poste à transistor : le ceusse s’enthousiasme à grand renfort de novlangue au sujet du révolutionnaire « covoiturage » (sic) qui fait partie des « mobilités douces » (re-sic) et va dans le sens de la « transition écologique » (re-re-sic), évoque à ce propos la création d’infrastructures alambiquées, de « voies de circulation réservées » (avec système de vérification vidéo, sinon ce n’est pas drôle) et « d’applications » que les gens peuvent installer sur leur talkie-walkie pour réserver six mois à l’avance une place sur la banquette arrière d’une Simca 1000®. Eh, oh, les blaireaux ! Vous imaginez un peu les complications pour que dalle ? Afin d’obtenir un résultat identique du temps de la vieille Garreau il suffisait de se planter sur le bord de la route et de lever le pouce. Était-ce plus « dangereux » ? Bah non, aux dernières nouvelles il n’y a pas moins de crevures depuis que tout le monde ou presque est connecté à la World Company®.

    Tenez, c’est comme le train. Certes vous vous sentez taillé·e·s pour l’aventure mais avez-vous essayé de prendre le train maintenant ? Non parce que jadis il suffisait d’entrer dans une gare (il y en avait presque partout), si on avait de l’oseille on pouvait éventuellement y acheter un billet à la guichetière syndiquée ou au guichetier qui arborait crânement ses galons SNCF (1) — mais bon, il y avait toujours moyen de gruger et il aurait fallu être zinzin pour payer quoi que ce soit — et zou, on grimpait sans autre formalité dans le premier wagon qui passe, quitte à voyager sur un tas de charbon ou une botte de foin pour pouvoir pioncer sans risquer d’être contrôlé·e. Clair, pratique, quasi-gratos, accessible, sans complications inutiles. Mais aujourd’hui, hein, aujourd’hui ? Aujourd’hui il n’y a plus que des TGV qui font Paris-Marseille en douze secondes en ne s’arrêtant nulle part, on doit acheter des titres de transport virtuels aux tarifs fluctuants en guettant les mises aux enchères sur Internet, planifier son trajet des siècles à l’avance, scanner des codes-barres partout, passer des portiques, posséder un téléphone portatif avec des mots de passe et montrer patte blanche toutes les trente secondes ! Tout ça juste pour espérer pouvoir aller en train au village voisin après un détour de deux mille kilomètres par Saint-Germain-des-Fossés ! Ça relève de la psychiatrie ! Comme pour le « covoiturage » on ne peut pas inciter les gens sensés à choper le dur en imposant des conditions aussi ubuesques et kafkaïennes !

    Alors forcément pour échapper à tout ça les bourges s’achètent d’énormes bagnoles électriques aux allures de chars d’assaut — dans lesquelles iels ne feront jamais monter d’autostoppeureuses pour ne pas abîmer la moquette en poils de skaï. Et celleux qui n’ont pas de thunes ? Bah, celleux-là ne voyagent plus bien loin puisqu’il ne leur reste guère que leurs guibolles.

    De toute façon ce sont les seul·e·s à avoir compris que se déplacer ne sert à rien, puisque où que l’on aille on est toujours avec soi-même.

    #DéveloppementDurableMonCul.

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    (1) « Savoir Nager Comme Fernandel », on disait, à l’époque. Ah c’est que nous étions une génération désopilante.