Migrations : « L’UE multiplie les contournements ou les contraventions au droit européen »
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Migrations : « L’UE multiplie les contournements ou les contraventions au droit européen »
Hélène Thiollet Géographe et politiste
La diplomatie migratoire de l’Union européenne (UE) soulève des questions de légalité, de démocratie et d’efficacité. Elle vise en principe à gérer les migrations en empêchant les entrées irrégulières et en s’attaquant aux causes de la mobilité dans les pays d’origine.
A l’origine, cet effort d’externalisation avait pour objectif d’aligner les politiques migratoires des pays candidats à l’intégration sur celles de l’UE. Au fil du temps, il s’est élargi à des pays extérieurs, devenant ainsi un outil de gestion des frontières. Depuis le début des années 2000, les politiques se sont diversifiées, ajoutant aux mesures directes un large éventail d’instruments qui mêlent l’aide au développement, le traitement des demandes d’asile et la sécurité des frontières comme l’approche globale de la migration et de la mobilité (GAMM), lancée en 2005.
Ce changement d’orientation s’accompagne d’une tendance notable à privilégier les arrangements ad hoc par rapport aux accords formels. L’UE s’épargne ainsi les longs processus de ratification requis par les traités officiels. Mais elle rend ses choix difficilement contrôlables et peu évalués, ce qui suscite des inquiétudes quant à la transparence, à la responsabilité et à la protection des droits des exilés et des autres migrants. Ainsi la coopération de l’UE avec la Libye, lancée dans les années 2000, a conduit les Européens à fermer les yeux sur les abus et les mauvais traitements infligés aux migrants.
Alors que les accords ciblaient initialement les migrants en situation irrégulière, ce sont aujourd’hui prioritairement les demandeurs d’asile qui sont visés par la diplomatie européenne. La déclaration euro-turque de 2016 est emblématique de ce virage : au-delà de la migration clandestine, ce sont les flux d’exilés qu’elle vise à empêcher, sous couvert de marchandage habillé de discours humanitaire.
L’accord a été critiqué pour avoir transformé la gestion des migrations en une relation transactionnelle, où l’aide financière est échangée contre des contrôles frontaliers plus stricts, sans répondre de manière adéquate aux besoins humanitaires des réfugiés et des migrants. En Égypte, avec les accords signés en 2023 et 2024, ce sont des demandeurs d’asile reconnus comme tels – les Soudanais, Sud-Soudanais et peut-être les Gazaouis – qu’il s’agit de refouler, en contravention avec le droit international, la convention de 1951, les droits européens et nationaux.
L’UE multiplie les contournements ou les contraventions au droit européen, par exemple lorsqu’elle délocalise en Albanie les demandes d’asile des personnes secourues par les autorités italiennes (2023). Cette stratégie ne fait pas que menacer l’équilibre entre le besoin de contrôle et le respect des droits de l’homme et de l’état de droit. Elle est aussi inefficace et coûteuse. Si elle bloque les réfugiés dans leur pays d’origine ou les pays voisins, elle n’empêche pas d’autres migrants de changer de route et d’entrer en Europe. Elle implique des engagements financiers substantiels : 850 millions d’euros pour Frontex en 2021, 5 milliards pour le Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique…
Elle soulève aussi des questions sur les véritables bénéficiaires de ces accords et sur le rôle de l’UE dans le renforcement potentiel de structures de gouvernance autoritaires. C’est le cas dans la Corne de l’Afrique, avec l’initiative de Khartoum depuis 2014 et le Fonds fiduciaire d’urgence pour l’Afrique : les financements soutiennent essentiellement de grandes agences de développement occidentales et non des organisations locales. Les Etats autoritaires de la région en retirent parfois des bénéfices économiques qui leur permettent de financer leur appareil répressif. Ils en retirent surtout des bénéfices politiques, en devenant des partenaires incontournables de l’UE, comme Kadhafi en son temps.
En infusant de la migration dans sa diplomatie, l’UE se rend vulnérable à une double instrumentalisation : à l’extérieur, de la part de ses partenaires diplomatiques ou de pays tiers malintentionnés, comme la Russie, qui a organisé, en 2019 et en 2021, des mini-« crises » migratoires aux frontières orientales de l’UE ; mais aussi en interne, la question migratoire devenant le fonds de commerce de certains partis. La politique migratoire de l’UE exige donc plus que jamais un contrôle public vigilant et informé, afin de garantir que les accords signés respectent non seulement la sécurité et les intérêts de l’Union, mais aussi les droits fondamentaux et la dignité des personnes concernées.
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