François Héran : « Sur les réfugiés, l’Europe doit changer d’échelle et d’approche », Europe
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François Heran est démographe et l’ancien directeur de l’Ined.
Pensez-vous, comme Angela Merkel, que les blocages de certains pays européens sur les réfugiés remettent en question les fondements de l’Europe ?
Le courage de Mme Merkel impressionne et laisse François Hollande sur place. Mais sa prise de position mêle la prédication, la stratégie et le réalisme. Elle veut doubler la suprématie économique de l’Allemagne d’un magistère moral, car elle sait qu’elle en a les moyens. Si elle prévoit sans frémir d’accueillir 800.000 réfugiés en 2015, c’est que ce chiffre a déjà été atteint en 1992. Cette année-là, comme les années suivantes, l’Allemagne accueillait à la fois les migrants fuyant les guerres de l’ex-Yougoslavie et les Russes ou Kazakhs d’origine allemande (ou supposés tels), qui bénéficiaient d’un droit au retour. Un tel surcroît dans un pays de 80 millions d’habitants augmente la population de 1 %. Angela Merkel sait aussi que, depuis les années 1970, l’Allemagne compte plus de décès que de naissances. Les projections démographiques annoncent une baisse de 20 % de la population active d’ici à quarante ans. L’intérêt se joint à la morale. L’Allemagne peut jouer sur les deux tableaux.
Un tel afflux est-il soutenable dans une Europe en crise économique ?
« Soutenable » est une notion relative. Sur les 4,5 millions de personnes qui ont fui la Syrie, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés, 40 % sont en Turquie, dans des conditions déplorables, et beaucoup d’autres en Jordanie, au Liban, en Egypte. N’arrivent en Europe que les plus jeunes et les plus instruits. Dans une Grèce en grande difficulté économique, l’afflux de réfugiés pose un sérieux problème. Mais pour l’Union européenne, avec ses 510 millions d’habitants, accueillir un million d’exilés, c’est seulement croître de 1/500. Ce qui me frappe, c’est de voir à quel point les politiques redoutent les mouvements de population sans avoir la moindre idée des ordres de grandeur. Alain Peyrefitte a rapporté la réaction horrifiée du général de Gaulle apprenant qu’on allait peut-être devoir accueillir 10.000 rapatriés à la fin de la guerre d’Algérie. Or ils ont été près d’un million à gagner la métropole, qui comptait alors 47 millions d’habitants ! Les chiffres absolus impressionnent, mais, en démographie, il faut raisonner en proportions.