« Si les ados n’ont pas accès aux réseaux sociaux, on les prive d’une forme de sociabilité » – Libération
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Alors qu’une proposition de loi examinée ce jeudi vise à interdire l’accès aux réseaux sociaux avant 15 ans, la chercheuse Anne Cordier estime que ces plateformes restent un lieu de socialisation et d’éducation important.
"Alors qu’une proposition de loi
examinée ce jeudi vise à in-
terdire l’accès aux réseaux
sociaux avant 15 ans, la chercheuse
Anne Cordier estime que ces plate-
formes restent un lieu de socialisation et
d’éducation important.
Les réseaux sociaux, pas avant 15 ans
? La proposition de loi du député Lau-
rent Marcangeli (Horizons) visant à in-
staurer une majorité numérique à cet âge
sera examinée ce jeudi à l’Assemblée.
En dessous de 15 ans, les jeunes ne
pourraient pas s’inscrire sans accord
parental. Aujourd’hui, il n’est en théorie
pas possible de se créer un compte avant
13 ans mais, dans la pratique, la dé-
marche est facile, et les réseaux sociaux
restent très largement utilisés par les
plus jeunes. Notamment à l’école, où ils
peuvent être un outil de socialisation et
une source d’information, souligne Anne
Cordier, professeure en sciences de l’in-
formation et de la communication à
l’université de Lorraine.
Depuis 2018 , l’utilisation des porta-
bles, et donc l’accès aux réseaux soci-
aux, est interdite dans l’enceinte des
écoles et des collèges, en dehors d’une
utilisation pédagogique. Les élèves re-
spectent-ils cette règle ?
Non. Certains expliquent qu’ils coupent
le téléphone « au maximum », donc pas
totalement. Ils racontent que leurs par-
ents vérifient où ils sont, leur envoient
des messages la journée. Les téléphones
sont sur eux, donc il y a aussi beaucoup
de consultations sauvages, cachées. Les
équipes de vie scolaire évoquent sou-
vent cette difficulté de faire respecter la
règle. Beaucoup d’élèves profitent des
interstices du temps scolaire (cantine,
cour de récré, dans les couloirs) pour
jeter un coup d’oeil sur les réseaux soci-
aux.
Qu’est-ce qui a changé à l’école depuis
l’arrivée des réseaux sociaux ?
Avec l’arrivée d’Internet, il y a eu des
interrogations sur l’autorité de l’école,
questionnée par Wikipédia, les moteurs
de recherche. Les réseaux sociaux vi-
ennent ajouter une couche supplémen-
taire à ces interrogations et plus encore
sur la porosité des temps et des espaces
puisque, dans un établissement scolaire,
les jeunes sont aussi connectés à autre
chose que l’école elle-même. Ils ont
deux vies au sein de l’école : celle dans
l’établissement et celle sur les réseaux
sociaux. L’information circule rapide-
ment entre eux ce qui leur permet de
suivre le lien social. Parce que beaucoup
de sociabilités adolescentes passent par
les réseaux sociaux. Ils n’échangent plus
par SMS mais par WhatsApp pour se
donner rendez-vous d’une classe à
l’autre, parce que cela leur donne davan-
tage la sensation d’être en réseau. Si les
ados n’ont pas accès aux réseaux soci-
aux, on les prive d’un mode de sociabil-
ité.
Les jeunes sont inscrits de plus en
plus tôt sur ces plateformes mais est-
ce que cela concerne tous les milieux
sociaux ?
Il y aurait des distinctions sociales sur
cette question. Dans le cadre d’un projet
sur les enfants et les cultures
numériques, nous avons enquêté dans
des établissements très différents so-
cialement et il apparaît assez nettement
que les enfants scolarisés en éducation
prioritaire semblent avoir plus de
comptes sur les réseaux sociaux que les
autres. Ils accèdent à ces comptes plutôt mais ils ne publient pas pour autant.
Ils vont sur TikTok ou Snapchat mais ils
ne publient pas de photos ou de vidéos.
Les ados ont une grande conscience de
la question des données personnelles.
Des CE1 m’ont par exemple expliqué
qu’ils cachent leur visage, enregistrent
leurs photos en brouillon parce qu’ils
sont encore petits. Ils savent qu’ils n’ont
pas le droit d’y accéder totalement avant
13 ans. C’est une sorte d’antichambre à
une socialisation adolescente : ils se pré-
parent à ce qui les attend au collège.
Il n’y a pas de déficit dans l’accompag-
nement parental mais un choix éducatif
différent selon les milieux sociaux, très
probablement lié à la volonté d’être in-
clus socialement.
Les réseaux sociaux ont-ils empiré le
phénomène du harcèlement scolaire ?
On n’a jamais parlé autant du harcèle-
ment scolaire que depuis qu’il y a les
réseaux sociaux mais ça ne veut pas dire
que cela n’existait pas avant. Le véri-
table souci est cette continuité de l’es-
pace-temps du harcèlement scolaire ren-
du possible par les réseaux . Cela in-
terroge leur usage dans l’espace privé
domestique. Et une régulation parentale
nécessaire, notamment. Mais pas que.
Car cette violence n’est pas imputable
au dispositif technique en soi. Mais à la
conception de l’autre, à la capacité d’em-
pathie de chacun.
Les ados sont-ils plus informés ou
plus désinformés avec les réseaux so-
ciaux ?
Ils sont sans aucun doute davantage in-
formés mais forcément aussi davantage
soumis au risque de désinformation. Les
collégiens s’informent sur les matchs du
week-end, le dernier album de Beyon-
cé... Cela nourrit leur culture générale,
une culture adolescente, qui leur permet
d’échanger ensuite entre eux.
Est-ce que cela a changé quelque
chose dans leurs apprentissages ?
Pour un exposé, ils utilisent beaucoup
YouTube. Ils sont attirés par le format
vidéo et plus encore par la personnali-
sation de l’information. Le youtubeur est
proche d’eux dans sa façon de parler,
dans son look. Il les tutoie. En dehors
de YouTube, les ados ne font pas de for-
cément de recherche active d’informa-
tion par les réseaux sociaux mais ces
derniers constituent une sorte de canal
de transmission pratique parce que l’in-
formation leur arrive « sans le vouloir »,
comme ils le disent le plus souvent,
sachant qu’ils sont nombreux à suivre
des titres de presse en ligne, sans savoir
toujours bien identifier ce qu’est une
source d’information.
Est-ce qu’ils restent très perméables
aux fake news ?
Pour leurs travaux scolaires, les élèves
ont tendance à aller vérifier une infor-
mation auprès de l’autorité enseignante
ou parentale. Ils sont nombreux à parler
de la peur de prendre une fausse infor-
mation pour une vraie. Ils ont con-
science de ce problème. L’ éducation
aux médias et à l’information est dans
les programmes scolaires existe institu-
tionnellement depuis 2015. Mais il n’y
a pas d’heures dédiées. Elle reste mal-
heureusement une éducation de circon-
stance alors qu’elle devrait être quotidi-
enne et pas seulement traitée lorsqu’il y
a un problème, comme au moment des
attentats ou de la guerre en Ukraine. Ce
n’est jamais bon de traiter l’information
sur le coup de l’émotion.