LGBTQI contre la prison : entretien avec Gwenola Ricordeau ~ Friction Magazine
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L’école ne protégeant pas les adolescents LGBTQI, ça va s’inscrire dans un parcours d’exclusion. Si la famille s’y rajoute, cela peut être accompagné d’addictions, de travail du sexe, de formes de survivance qui vont aboutir à des actes criminalisés.
Sur-représenté.e.s parmi les personnes qui sont criminalisées et celles qui sont incarcérées, on observe que, pour une durée de peine égale pour un homme gay, une femme lesbienne ou une femme trans, le passage par la prison va avoir des conséquences sociales beaucoup plus importantes que pour les personnes heteros et/ou cisgenres. Notamment parce que, d’une manière générale, ielles tendent à bénéficier moins que le reste de la population des solidarités familiales. En raison des parcours d’exclusion sociale, lorsqu’ielles se trouvent en prison, ielles ne vont pas pouvoir compter sur la famille, qui est souvent le premier lieu de solidarité. En ce sens, c’est une question LGBTQI.
On arrive donc à l’argument central du livre : les recherches montrent que la prison ne nous protège pas, elle n’a rien fait pour diminuer la quantité de violence, soit envers les femmes, soit envers les populations LGBTQI. Qui plus est, elle est une étape dans le parcours de tou.te.s les exclu.e.s de la société, le symbole de la chaîne de carences, d’injustices sociales.
La victimation[1] des personnes LGBTQI, avec toutes les facettes qu’il peut y avoir d’homophobie, transphobie, lesbophobie, est aujourd’hui pensée au sein de ces luttes-là uniquement sous l’angle de l’impunité (de la non-pénalisation par le système pénal des auteur.e.s de violences) . Alors on sait que les personnes LGBTQI subissent des formes de victimation qui leur sont spécifiques et puis on sait aussi que le système pénal a des formes d’impunité, de non-gestion et de non-intérêt pour ces formes de victimation.
Il faut construire une société où il y a plus de justice sociale. Politiquement, je me situe plus du côté de la justice sociale que de la justice pénale et de la prison. Les parcours des personnes criminalisées montrent qu’elles ont souvent eu des besoins légitimes (de protection, d’accès à des ressources) qui ont été négligés. Paradoxalement, on y répond que quand les personnes sont criminalisées… C’est pour ça que je plaide en faveur de la justice transformative, pour développer des formes d’autonomie vis-à-vis de la justice pénale et sortir d’une justice essentiellement punitive.
Le recours au pénal permet parfois de répondre à certains besoins absolument légitimes des victimes, comme celui de la reconnaissance de leur victimation, d’être reconnu.e comme ayant subi du tort. Il essaie aussi de remplir le besoin de vérité. C’est extrêmement important pour une victime : vous savez bien que quand on est victime de quelque chose de grave, on se pose la question « est-ce que j’ai vraiment vécu ça ? ». C’est toujours bien d’avoir quelqu’un qui dit « si, c’est vrai ». En fait, l’abolitionnisme ne remet pas en cause les besoins des victimes (de vérité, de reconnaissance, et de sécurité notamment) qui sont censés être pris en charge par le système pénal, mais il dit simplement « on peut faire mieux ». On fait le pari qu’on peut faire mieux pour répondre à ces besoins de sécurité, de vérité, de reconnaissance, etc.
En tout cas, ce qu’on entend des courants dominants du féminisme, par exemple autour du Grenelle des violences conjugales, c’est principalement des appels à mettre fin à l’impunité, à automatiser les dépôts de plainte et les procédures judiciaires. Je pense que c’est forcément une impasse, parce qu’on a affaire à des crimes de masse, comme l’homophobie est un crime de masse. Il y a les acteurs de crimes homophobes, mais il y aussi toutes les formes de complicité. Là, on a affaire, en fait, à un crime structurel, on ne peut pas juste désigner des auteurs. Ce qui ne veut pas dire les excuser en disant qu’ils sont seulement des produits de la société, non. On est bien obligé.e.s de reconnaître que ça s’inscrit dans des structures de domination. En même temps, juste désigner des auteurs et espérer qu’ils changent par la magie de la punition, à mon sens, ne peut pas faire évoluer les structures sociales. Surtout qu’il y a une sorte d’implicite qui n’est jamais discuté. Si on punit une personne, ça va l’éduquer et la dissuader (mais aussi dissuader d’autres personnes) de commettre d’autres actes similaires. Or ce n’est pas parce qu’on met un homophobe en prison que les autres personnes se disent « ah, effectivement, l’homophobie, ce n’est pas bien ».
La confrontation à la prison, elle se fait aujourd’hui dans une société patriarcale. Les solidarités s’inscrivent dans les inégalités entre les hommes et les femmes. Lorsqu’une femme soutient un homme incarcéré, ce soutien implique des formes de travail du care et de travail domestique qui se fait en faveur d’un homme.
Dans certaines situations, si vous avez peu de ressources, si vous êtes isolé·e, et bien peut-être que votre seule solution va être d’appeler la police. Pourquoi Adèle serait la figure de l’abolitionnisme plutôt que Josiane, qui a cinq enfants, un mari qui la tape, pas de copine, et que du coup un soir, elle est obligée d’appeler les flics ?
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