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  • « Un écrivain passe l’essentiel de sa vie dans l’obscurité » : rencontre avec Zadie Smith - Culture / Next
    https://next.liberation.fr/livres/2018/09/21/un-ecrivain-passe-l-essentiel-de-sa-vie-dans-l-obscurite-rencontre-a

    C’est une belle soirée de juillet, tout Paris semble s’être précipité pour voir les joueurs de l’équipe de France descendre les Champs-Elysées. Mais une petite foule compacte et fébrile a fait le choix d’élire domicile à quelques kilomètres de là, devant la librairie Shakespeare and Company. Vu ce qu’a duré la parade triomphale des Champs, il semble qu’ils aient fait le bon choix, car l’écrivaine britannique Zadie Smith, attendue ce soir-là avec son mari, Nick Laird, pour une lecture publique, est restée bien plus que dix-sept minutes. La taille de l’attroupement, la présence en son sein de l’écrivain américain en vue Dave Eggers, tout cela disait quelque chose de la célébrité de l’écrivaine au turban. « Oh, il y a toujours du monde ici », nous confia-t-elle avec légèreté, sans que l’on sache si cela disait quelque chose de la France, ou de cette librairie en particulier. Mais depuis la parution en 2000 de son premier roman, Sourires de loup, lorsqu’elle avait 24 ans, et le succès retentissant de cette plongée dans le Londres multiculturel de l’époque, il n’est pas excessif de qualifier Zadie Smith de star.

    Depuis, l’écrivaine mi-anglaise mi-jamaïcaine a signé d’autres bons romans - Ceux du Nord-Ouest est à nos yeux le meilleur - et quantité d’essais. Le couple habite désormais New York, où Zadie Smith enseigne le creative writing à la New York University, et s’ils sont à Paris ce soir, c’est pour présenter deux recueils paraissant en anglais à ce moment-là - des essais pour elle, des poèmes pour lui -, dont la particularité est de porter le même nom, Feel Free (« sens-toi libre »). Cette homonymie leur a donné l’occasion de lever un voile pudique sur leurs relations de couple et de travail, avec le genre d’humour autodépréciatif que les écrivains de langue anglaise manient avec agilité. Et n’est-ce pas une chose passionnante, la petite fabrique du métier d’écrivain, sur quoi Zadie Smith disserte très généreusement lorsqu’on l’interviewe ? Il faut l’avouer, Swing Time n’est peut-être pas, d’elle, notre livre préféré, sa magistrale première partie, qui met en scène l’amitié fusionnelle de deux fillettes métisses dans le Londres des années 80, bourrée de détails ironiques et de commentaires sociaux fulgurant tous azimuts, faisant place à une deuxième partie un brin plus mécanique, affaiblie par l’entrée en scène d’une pop star ressemblant à Britney Spears. Mais quelle intelligence, toujours, chez cette écrivaine-là. Le matin même est parue une nouvelle signée de sa plume dans le New Yorker, charge déjantée contre la tentation de notre époque à vouloir « oblitérer » tel ou tel dès lors qu’ils font un faux pas, et il fut jouissif de l’entendre, elle, s’entretenir à bâtons rompus. « On n’est libre nulle part, nous confiera-t-elle, autant être libre sur la page. »

    Il y a dans Swing Time une célébrité qui a grandi dans l’œil du public. Un écrivain n’est pas une rock star, mais n’y a-t-il pas des résonances avec votre parcours ?

    J’ai 42 ans, mes 24 ans me semblent loin ! (Rires) Mais ma renommée n’a rien à voir avec le genre de célébrité que je décris dans le livre : un écrivain passe l’essentiel de sa vie dans l’obscurité, la plupart des gens ne lisent pas, personne ne nous agresse. A New York, il m’arrive de voir des gens constamment harcelés, jour et nuit, et cela me fascine. Pas la célébrité en soi, mais qu’elle puisse continuer à exercer ce pouvoir d’attraction, particulièrement sur les jeunes, alors que l’on constate tous les jours que c’est un enfer. Cette aspiration, à quoi tient-elle ? Qu’en attendent ces gens ? J’en suis venue à la conclusion que ce qu’ils souhaitent, c’est être libérés de l’énorme anxiété qui naît des rencontres. Débarrassés de toutes ces choses qu’induisent les rapports sociaux. La célébrité les annihile, puisque tout le monde vous connaît déjà. Visiblement, une part de nous-mêmes aspire à cela : n’avoir aucune intimité à partager avec quiconque.

    Il y a un autre élément qui semble autobiographique, c’est ce sentiment de loyauté coupable d’un enfant envers ses parents, exacerbé par la différence de leurs origines…

    Je ne peux parler de ce que je ne connais pas, et je ne peux imaginer avoir deux parents blancs ou deux parents noirs ou tout simplement deux parents à qui je ressemble. Je ne sais pas si les différences entre mes deux parents ont pu rendre plus aiguë cette interrogation éternelle : « De qui es-tu davantage l’enfant ? » Mais je suis convaincue qu’il y a une attente génétique de similarité. Si un enfant ressemble à ses parents, c’est le résultat d’un attendu très profond. Ce qui se passe quand cela n’arrive pas, par exemple lorsque la couleur de peau n’est pas la même, n’est pas un problème ni une tragédie, mais c’est différent. Et cette différence-là m’intéresse.

    Votre livre commence en 1982, il est truffé de références, notamment musicales, à cette époque et à sa pop culture. En avez-vous la nostalgie ?

    Enfant, j’en avais plutôt pour les années 30 et 40. Mais étant donné la personne que je suis, je passe mon temps à me corriger : « Euh, non, ça ne serait pas merveilleux de vivre à cette époque-là et de porter les vêtements magnifiques qu’on portait alors car j’aurais sans doute été servante, et peut-être même qu’on m’aurait lynchée. » Il est certain que j’aurais été pauvre, que je n’aurais pu aller à la fac ni choisir un travail. Est-ce que les filles blanches se disent ce genre de chose ? En Angleterre, je vois toutes ces bandes de filles qui s’habillent dans le style des années 20 ou 50, mais avec des yeux de Noire, chacune de ces époques m’offre un scénario de meurtre potentiel, d’oppression certaine. C’est tentant, la nostalgie, mais je n’y ai pas droit. Cela m’a rendue, je ne dirais pas optimiste, mais en tout cas certaine que ce monde-ci, qui n’a rien de parfait, est historiquement le meilleur des mondes pour moi, femme noire. Même s’il reste encore beaucoup de choses à améliorer.

    Une grande partie de Swing Time se déroule en Afrique, lorsque la narratrice doit suivre la pop star pour qui elle travaille dans un projet caritatif fumeux. On y trouve des échos à un reportage que vous aviez fait au Liberia en 2007, qui est dans votre recueil Changer d’avis. Pourquoi avoir fait ce reportage à l’époque ?

    Hmm… Je ne suis pas sûre. Les gens qui me l’ont commandé ont vraiment été très insistants ! Je ne suis pas une grande voyageuse, pas une aventurière, et je décline généralement les propositions de reportages intéressants. Mais je crois que j’étais fascinée par l’histoire des origines du #Liberia, cet aveuglement total du « premier monde » vis-à-vis du tiers-monde, cette création ex nihilo. Mais pour moi ce premier voyage était totalement sentimental. Je suis sûre que beaucoup de Noirs britanniques et d’Afro-Américains vous diraient la même chose : aller en Afrique, c’est comme rentrer à la maison. C’est comme cela que je l’envisageais, et comme cela que je l’ai vécu. Ce n’était pas un fantasme, mais un fait historique et génétique : voilà l’endroit d’où vient le peuple de ma mère.

    L’article et le livre sont assez critiques des bonnes intentions des pays du « premier monde ». Tout Swing Time ne parle finalement que de responsabilité sociale. Vous croyez à quel type d’action ?

    Je m’intéresse peu au travail individuel des ONG dès lors qu’il existe d’immenses inégalités structurelles. Quand les Panamá Papers sont sortis, on a pu constater l’étendue du blanchiment d’argent américain, anglais, français, italien ou allemand en Afrique. Il faut se rendre à l’évidence : on peut envoyer autant d’organismes caritatifs qu’on veut au Liberia, tant que ce système de pillage ne change pas, par des lois internationales - car le pillage des ressources économiques de l’Afrique ne s’arrêtera pas à moins -, le reste est un détail.

    La question de la responsabilité personnelle, de la culpabilité et du privilège se retrouve souvent dans vos livres…

    Hmmm… Je crois que le sens des responsabilités par quoi il faut être habité pour être un bon citoyen, français, new-yorkais ou anglais, est désormais hors de portée pour n’importe qui. Voilà le piège : être un bon citoyen aujourd’hui, c’est devoir transformer radicalement sa manière de vivre, voyager, manger, envoyer ses enfants à l’école, les habiller. Chaque aspect de notre vie occidentale revient grosso modo à exploiter quelqu’un. Qu’il soit quasiment impossible de changer les choses au niveau individuel fait partie du problème. Cela me rappelle le krach de 2008 - ces banquiers qui nous ont fichus dedans, qui étaient-ils ? Des gens de mon âge, qui avaient fréquenté ma fac. Je les connaissais, c’étaient des connards de base. Rien de spécial, des connards de base. Mais le système où ils évoluaient leur a permis d’accomplir une destruction globale sans précédent. On peut bien s’émouvoir de la vanité, l’égoïsme et l’avidité de cette génération de jeunes hommes (car c’étaient surtout des hommes), et certes ils étaient avides et prétentieux. Mais ne le sommes-nous pas tous ? La différence, c’est que la plupart d’entre nous n’auront jamais accès à des structures permettant de tels dégâts. Je pratique le réalisme moral, je ne m’attends pas à ce que les gens soient parfaits. Mais j’aimerais en revanche qu’ils existent au cœur d’un système où les dégâts qu’ils causent peuvent être limités. C’est sans doute là que je m’éloigne de certains activistes. Je ne suis pas catholique, mais la conception très catholique du péché me parle : nous sommes tous en position de pécher. Il faut en tenir compte lorsqu’on travaille sur la réalité sociale, les gens ne sont que ce qu’ils sont.

    Swing Time est le premier livre que vous avez écrit à la première personne. C’était libérateur ou contraignant ?

    Oh, très difficile ! Cela allait à l’encontre de tout ce que je fais lorsque j’écris de la fiction. Les histoires que j’écris, pour le meilleur et pour le pire, traitent de notre vie en société, s’intéressent à des tas de gens différents. Me limiter à une seule personne était incroyablement étrange, mais cela m’a permis d’explorer les modalités de la subjectivité. D’être injuste et jalouse et cruelle, toutes ces choses qu’on est dans la vie. Dans mes autres romans, je m’octroyais la voix de la justice. Mais ça n’existe pas, la voix de la justice ! Il n’y a que nous et notre expérience subjective. J’ai commencé en pensant que j’allais écrire un roman existentiel français, quelque chose de très ramassé, à la Camus, mais après vingt pages j’avais déjà quinze personnages (rires). On ne se refait pas. Je n’ai aucun mal à inventer des personnages, je pourrais écrire un roman avec sept cents personnes dedans. Mais je ne voulais pas écrire un livre comme ça, je crois qu’il faut se méfier de ce qui nous vient trop facilement. Je voulais m’essayer à quelque chose d’un peu plus difficile, d’un peu nouveau.

    Pensez-vous revenir un jour aux « gros romans » ?

    Oh, j’espère bien ! J’ai une immense tendresse pour ce genre d’épaisseur. Les livres avec lesquels j’ai grandi, George Eliot, Dickens, que vous, Français, trouvez un peu ringards, je les adore. Ils sont loin de l’existentialisme, ce ne sont pas des livres idéologiques, plutôt des romans qui décortiquent la société - mais précisément, c’est à cet endroit-là qu’on vit. Donc aussi banals et petits et ennuyeux et pragmatiques et anglais qu’ils puissent paraître, ils sont aussi notre lieu de vie, notre réalité sociale. Ces romans-là sont d’un sublime un peu différent, parce qu’ils sont prêts à descendre dans la boue, à se colleter avec les gens… Oui, j’espère sincèrement me remettre à écrire comme ça.

    Ringards, vous y allez fort ! Ceux qui les lisent les aiment beaucoup ! Mais Eliot souffre en effet d’être mal connue ici. Pourquoi pensez-vous qu’elle n’a jamais « pris » en France ?

    Parce que c’est tout le contraire de l’esthétique française ! Les romans d’Eliot sont trop hégéliens, thèse-antithèse-synthèse. Complètement programmatiques et sociaux, là où les romans français sont tout en subjectivité, la vie comme processus…

    Enfin il y a Balzac quand même…

    Mais même Balzac… Il n’a pas ce côté domestique qu’ont les Britanniques et qui exaspère les écrivains français. Ils n’ont peut-être pas tort, mais les Anglais ont aussi quelque chose de précieux.

    Dans votre écriture, vous êtes toujours plus « micromanagement » que « macroplanning », pour reprendre des termes que vous utilisiez dans Changer d’avis ?

    Je n’écris rien à la légère, je ne fais pas d’esquisse, pas plus que je n’avance en me disant « bon, ce truc, j’y reviendrai ». J’écris une phrase, je la réécris, je la réécris encore, et je passe à la suivante. Je ne changerai jamais.

    Pas de plan ?

    Pas vraiment. Une vague idée, oui, mais très vague. Je crois que cela traduit un mélange de besoin de tout contrôler et de ressentir l’horreur de ne pas savoir où je vais - enfin, j’imagine que ça ressemble à l’horreur aux yeux d’un écrivain d’un autre genre.

    Quel plaisir trouvez-vous à l’écriture d’essais ?

    Je ne suis pas sûre… J’essaie d’en écrire un en ce moment, et je ne trouve pas l’expérience très gratifiante. Généralement, ces textes tournent mal, ou deviennent une source d’embarras. Ou alors, et c’est le problème que je rencontre actuellement, on me demande sept pages mais j’en écris quinze. Alors ça devient de la torture, je m’énerve, je tente de me sortir de la commande, j’envoie des mails hystériques. Et puis je sors du lit à 10 heures du soir, je m’y remets, je tente un truc. Et parfois je me rends compte que je n’ai pas besoin de ces huit feuillets-là, que je peux condenser ceci, et petit à petit je resserre, et l’essai devient meilleur. Bien meilleur que ce que je pensais tenir au départ, bien plus intelligent et raisonné que je ne le suis. C’est ça, le cadeau que vous font les essais : en corrigeant, en enlevant, en éditant, tout s’améliore. La #fiction, ce n’est pas pareil, rien n’est aussi précis, alors que le but de l’essai est limpide : j’ai un argument, et je veux vous convaincre. Quel est le but de la fiction ? Qui peut le dire ? On ne le sait jamais vraiment.

    Vous lisez quoi ?

    Je sors d’une année sabbatique où j’ai eu le temps de lire toutes sortes de choses. Quel bonheur ! Plein de jeunes, j’ai l’air vieille en disant ça, mais je pense à des écrivains de l’ère Internet, qui n’ont pas 27 ans et écrivent une prose habitée par leur vie en ligne. Ce n’est pas mon monde, c’est une génération à qui les noms de Roth, DeLillo ou Pynchon ne disent rien du tout. Mais j’aime bien le fait qu’ils écrivent tout court, à leur place je serais sur mon téléphone jour et nuit… Le fait qu’ils arrivent à prendre du recul et à écrire m’impressionne, il y a tellement plus de tentations pour eux.

    Vous relisez des vieux livres ?

    Ouhlala non, je ne tiens vraiment pas à être le genre d’écrivain British qui passe ses étés à relire Middlemarch. Je veux savoir ce qu’il y a de neuf. Je fais un cours chaque année sur quatorze livres, les quatorze mêmes, voilà pour la relecture. Évidemment, si je tombe sur un Dostoïevski que je n’ai jamais lu, c’est merveilleux : on adore tous découvrir des choses qu’on a ratées à 15 ans. Mais sinon, du neuf !
    Elisabeth Franck-Dumas

    Très intéressant le passage sur la nostalgie.
    J’aurais bien aimé qu’elle cite des auteurs et autrices qu’elle lit, dommage !

    #zadie_smith #littérature #race #Afrique #écriture

  • Rencontre avec un hacker citoyen - YouTube
    https://www.youtube.com/watch?v=QB117KUG2lQ


    Mais, mais… ce mec est GÉNIAL !!!!
    J’adore trop comme il donne envie de bidouiller ! Il a trop la classe ! Il est dans l’action, il pointe les bons enjeux, il est sur le terrain, il parle bien (j’adore ses expressions). Ahhh trop envie de le croiser un jour pour échanger.
    #hacking #voiture #voiture_connectée #RatZillaS #Musquet #hermitagelab

  • « Un chômeur ne peut pas devenir chauffeur routier du jour au lendemain » - Libération
    https://www.liberation.fr/france/2018/09/19/un-chomeur-ne-peut-pas-devenir-chauffeur-routier-du-jour-au-lendemain_167

    Il suffirait donc de traverser la rue pour trouver un boulot ? Voilà donc un discours, du chef de l’Etat, proche de celui du patronat, qui depuis des mois, ressasse ses « difficultés à embaucher ». Tour d’horizon des métiers dits en tension, où l’offre ne rencontre pas toujours la demande.

    Depuis plusieurs années, le métier de chauffeur routier est considéré comme « en tension ». Comprenez : les entreprises peinent à recruter des conducteurs aptes à l’emploi. Selon Jean-Louis Delaunay, secrétaire fédéral Transports à la CGT, il en manquerait plus de 30 000 en France. Pour Florence Berthelot, déléguée générale de la Fédération nationale des transports routiers (FNTR), quelque 22 000 personnes manquent dans tout le secteur. « Mais il ne suffit pas pour autant de traverser la rue pour trouver des conducteurs », plaisante le responsable syndical CGT, faisant référence à l’échange du président de la République avec un chômeur ce week-end.

    « La profession a beaucoup évolué ces dernières années. Auparavant, on demandait en gros à un chauffeur d’avoir des gros bras et rien dans la tête. Aujourd’hui, pour conduire un camion il faut remplir des papiers, faire de la logistique… Puisque les expéditeurs souhaitent être de plus en plus informés de l’endroit où se trouvent leurs marchandises, il faut gérer l’informatique aussi, explique Jean-Louis Delaunay. Il y a donc des besoins de formation complémentaire dans le secteur. »

    Guillaume H., à la tête d’une petite entreprise florissante de transport dans le Morbihan, dresse le même constat : « Un chômeur ne peut pas devenir chauffeur routier du jour au lendemain. » Son arrière-grand-père a fondé la PME de travaux agricoles au siècle précédent, et lorsqu’il l’a reprise, le jeune entrepreneur a décidé en 2011 de développer des activités de transport routier, pour « palier aux difficultés du monde agricole ». Problème : il ne parvient pas à recruter de conducteurs. « Nous avions régulièrement deux ou trois camions arrêtés, faute de gars pour les conduire, alors que nous cherchions des CDI payés environ 2 500 ou 2 600 euros net », explique-t-il. Florence Berthelot, de la FNTR, abonde : « Durant l’été, on a été alerté par plusieurs entreprises qui ne pouvaient pas occuper certains marchés, faute de conducteurs. » Même lorsque Guillaume H. trouve des candidats, ceux-ci ne parviennent pas à obtenir les formations nécessaires, « faute de financement », explique-t-il.

    « Aucun camion sur le parking »

    Pour la première fois depuis des années néanmoins, il est au complet à cette rentrée. « Aucun camion ne reste sur le parking », se réjouit-il. Cela s’est fait au prix d’intenses recherches sur les réseaux sociaux et dans les agences d’intérim pendant deux mois. « Et pas par Pôle emploi, qui n’a pas de réelles solutions, notamment sur les budgets de formation », regrette-t-il.

    Si tous s’accordent à dire qu’il manque des conducteurs routiers en France, ils ne parviennent pas pour autant à s’entendre sur les raisons de ce désamour pour le métier. Pour Jean-Louis Delaunay de la CGT, c’est d’abord une question de rémunération. « Depuis le 1er avril, dans la convention collective, le coefficient le plus haut est à 10,21 euros brut de l’heure. Il est de 11,0268 euros après quinze ans d’ancienneté dans la même entreprise. Ce n’est pas assez pour attirer de nouveaux conducteurs, car les conducteurs peuvent aussi être amenés à travailler la nuit ou à ne pas rentrer chez eux. Nous, ce que l’on demande, ce sont des grilles complémentaires. A l’instant T, il manquerait 5% de rémunération », explique le délégué syndical. S’ajoute à cela le prix d’accès aux examens de conducteur routier qui ne facilite pas l’accès à l’emploi : « De 10 000 euros environ aujourd’hui avec les formations, contre 6 500 francs en 1985. »

    « Noircir le secteur avec le développement durable »

    Florence Berthelot, elle, estime l’argument salarial « inexact ». Selon la déléguée générale de la fédération patronale, les conducteurs souffriraient surtout d’une mauvaise image. « Quand on pense aux conducteurs, les gens ont en tête le Salaire de la peur. Les pouvoirs publics ont aussi tendance à noircir le secteur avec les questions du développement durable. C’est un métier qui est souvent vu plus pénible qu’il n’est en réalité », juge-t-elle. Si le métier est parvenu à se maintenir au cours de la crise de 2008, le ralentissement des embauches couplé au vieillissement de la population du secteur a également contribué à cette pénurie de chauffeurs.

    Reste que pour toutes ces raisons, Guillaume H. hésite encore aujourd’hui à développer son activité. « On ne sait plus trop s’il faut le faire. On n’a pas vraiment envie d’augmenter le nombre de camions si c’est pour qu’ils restent à l’arrêt dans le parc », conclut l’entrepreneur.
    Gurvan Kristanadjaja

    #travail #chômage #transport #routier #logistique #exploitation

  • Dans la restauration, le « tu marches ou tu te casses » ne séduit plus - Libération
    https://www.liberation.fr/france/2018/09/18/dans-la-restauration-le-tu-marches-ou-tu-te-casses-ne-seduit-plus_1679334

    Il suffirait donc de traverser la rue pour trouver un boulot ? Voilà donc un discours du chef de l’Etat, proche de celui du patronat, qui depuis des mois, ressasse ses « difficultés à embaucher ». Tour d’horizon des métiers dits en tension, où l’offre ne rencontre pas toujours la demande.

    Trouver un emploi dans la restauration ? Aussi simple que de traverser la rue, selon le président de la République, à en croire son petit échange avec un jeune chômeur, dimanche. Parmi les premiers à rebondir, Didier Chenet, le président du Groupement national des indépendants de l’hôtellerie-restauration (GNI-Synhorcat), a salué la sortie d’Emmanuel Macron : « Nous avons la diversité des métiers dans l’hôtellerie et la restauration qui fait que nous sommes capables d’accueillir les professionnels de tous les horizons. » Y compris, donc, les demandeurs d’emploi formés à l’horticulture, comme l’interlocuteur du chef de l’Etat.

    Avec un déficit de salariés estimé à 125 000, selon Didier Chenet, le secteur leur ouvre les bras. Tout comme, en juillet, il demandait à pouvoir embaucher plus aisément des migrants. Roland Heguy, de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie (Umih), lui, chiffre le nombre de postes non pourvus entre 50 000 et 100 000, évoquant « une pénurie historique de main-d’œuvre ». Pour Pôle emploi, d’ici 2022, 308 000 postes seront à pourvoir dans les deux secteurs. Bonne nouvelle pour endiguer le chômage, aujourd’hui à 9% ? Las, « l’offre et la demande ne se rencontrent pas », pointe le responsable de l’Umih. Ce que confirme Pôle emploi, notant que les employeurs des métiers de l’hôtellerie et de la restauration « rencontrent des difficultés de recrutement supérieures à la moyenne des métiers ».

    « Des insultes, un traitement inhumain »

    « Rien de nouveau », réagit Laurent Bigot, secrétaire national de la CFDT Services. Selon lui, ce « problème d’attractivité » est lié aux conditions de travail : « Il faut travailler le soir, les dimanche, certains salariés ont de longues coupures dans leur journée de travail, cela ne peut pas aller à tout le monde. » « On a des contraintes, mais pas plus qu’ailleurs, souligne Didier Chenot, côté patronal. La différence, c’est que nous sommes à contre-courant : plus c’est la fête, plus on bosse. » Et de pointer « la nouvelle génération » qui, selon lui, serait plus regardante sur les conditions de travail, avant d’accepter une offre. Un discours que l’on retrouve dans le message posté sur Facebook, fin août, par les gérants d’un restaurant audois. Expliquant devoir mettre la clé sous la porte pour cause de difficultés de recrutement, ils y dénoncent le turnover et le comportement d’employés : « Le déséquilibre entre l’offre et la demande fait qu’aujourd’hui les salariés se sentent libres de faire ce que bon leur semble. »

    « Serveur, c’est un métier très dur. A 45 ans, certains ne peuvent plus exercer. Ils ont mal au dos, à l’épaule, à force de marcher, de porter. C’est pareil pour les femmes de chambre dans l’hôtellerie, souligne de son côté Laurent Bigot. « On n’a aucun avantage, aucune considération, et beaucoup de pression », résume, en colère, une serveuse brestoise, la trentaine, qui vient de quitter un poste et d’en débuter un nouveau. Elle raconte son quotidien : « Des supérieurs odieux, des insultes, un traitement inhumain. » La faute, en partie, estime-t-elle, au stress de la profession, et au manque d’effectif qui fait que la tâche est encore plus dure pour ceux qui sont en poste. « Un chef cuisinier, il fait du 8 heures-minuit minimum. Certains prennent de la drogue pour tenir », raconte-t-elle. Si elle « aime son métier », elle « comprend donc que les gens n’aient pas envie d’y travailler ».

    « Coup de pied dans le cul »

    « Les choses changent un peu, nuance Laurent Bigot, de la CFDT. Mais dans certaines TPE, on est encore sur une gestion paternaliste, avec des exigences fortes. C’est la culture du coup de pied dans le cul, du "Tu marches ou tu te casses". Mais eux aussi voient la nécessité de changer cette image. » Reste une chose qui évolue, en revanche, peu : les salaires. « Dans la majorité des cas, les gens sont au smic », explique le cédétiste. C’est environ ce que gagne la serveuse brestoise, au bout de quinze ans d’expérience. Parmi les revendications de la CFDT, à défaut d’augmentation salariale : des contreparties au travail du dimanche, pour l’heure inexistantes, du fait de règles dérogatoires.

    « On est dans la moyenne basse, mais on n’est pas plus mauvais que d’autres », se défend Didier Chenet, du GNI-Synhorcat, arguant que le secteur offre les « derniers métiers où l’ascenseur social fonctionne, avec 80% des cadres passés par le premier échelon ». Sans convaincre le responsable de la CFDT : « Les employeurs ne se sont jamais penchés sur les parcours professionnels. Certains salariés se retrouvent sans perspectives d’évolution, alors ils vont voir ailleurs. » Autre argument du patronat pour séduire : la prépondérance des CDI. Avec un taux de CDI des salariés de l’hébergement et de la restauration (hors intérim) de 82,1%, le secteur est en effet à peu près dans les clous, par rapport à la moyenne nationale (88,2%). Mais aujourd’hui, 86% des embauches s’y font en CDD. Et 60% des projets de recrutement sont saisonniers. Ce qui fait du secteur un des plus coûteux pour le régime de l’assurance chômage. Et aussi un terreau potentiel à précarité.
    Amandine Cailhol

    Alors cette citation là elle va faire partie de mon best of je crois :

    ils y dénoncent le turnover et le comportement d’employés : « Le déséquilibre entre l’offre et la demande fait qu’aujourd’hui les salariés se sentent libres de faire ce que bon leur semble. »

    Quant à la drogue, pour avoir bossé un moment dans ce milieu, je confirme que ça consomme à fond dans les cuisines.

    #restauration #exploitation #chômage #pôle_emploi #travail #macron

    • Quant à la drogue, pour avoir bossé un moment dans ce milieu, je confirme que ça consomme à fond dans les cuisines.

      Dans le bâtiment aussi je suis tombé, une fois, sur une équipe qui tournait à la coke. Elle posait des ouvertures en PVC. 2 appart par jour, va suivre..

  • BENALLA : LE « BEST-OF SEMAINE 1 » DE LA COMMISSION D’ENQUÊTE PARLEMENTAIRE - YouTube
    https://www.youtube.com/watch?v=WYbHGLejY5k


    Super résumé qui date du 29 juillet par Taranis News. Très bon montage. Si vous n’avez pas le temps de vous taper les auditions des différentes personnes interrogées c’est la solution. J’en ai regardé quelques unes et faut réussir à se taper leur façon de parler, de détourner les questions embarrassantes, de noyer la vérité sous des détails sans intérêt… dans la durée même si c’est instructif.

    #Benalla #enquête_parlementaire

  • David Graeber : « De plus en plus de personnes estiment que leur boulot ne devrait pas exister » - Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2018/09/15/david-graeber-de-plus-en-plus-de-personnes-estiment-que-leur-boulot-ne-de

    L’anthropologue et économiste américain constate la prolifération de « bullshit jobs », des emplois très bien payés mais parfaitement inutiles. Pour changer le système, il invite à revoir le sens que nous donnons collectivement au travail.

    Être payé à ne rien faire, est-ce bien sérieux dans un monde capitaliste en quête infinie de profits  ? Oui, répond contre toute attente l’économiste et anthropologue américain David Græber. Anarchiste, prof à la London School of Economics, il fut une grande figure d’Occupy Wall Street après la crise économique de 2008, autour du slogan « Nous sommes les 99 % ».

    Dix ans plus tard, il poursuit le combat intellectuel contre le capitalisme. On le savait inégalitaire, aliénant, anti-écologie. Græber ajoute qu’il est aussi inefficace. La preuve, ce sont les « bullshit jobs », des emplois parfaitement inutiles et très coûteux qui prolifèrent dans tous les secteurs de notre économie. « Un job à la con est une forme d’emploi rémunéré qui est tellement inutile, superflue ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu’il se sente obligé, pour honorer les termes de son contrat de faire croire qu’il n’en est rien », explique David Græber dans l’essai Bullshit Jobs, dont la traduction française vient de sortir (Les liens qui libèrent, 25 euros).

    Plus que la rigueur de l’argumentation, fondée sur des témoignages de personnes déjà sensibles à ses thèses, c’est la puissance de l’intuition qui frappe, jusqu’à cette conclusion : le capitalisme n’a plus grand-chose qui permette de le justifier, il est temps d’inventer un autre modèle et une autre conception du travail.

    Vous avez été un leader d’Occupy Wall Street, qui fut pour vous une révolte de la « caring class », c’est-à-dire des travailleurs du « care » (1), après la crise financière de 2008. Quel lien faites-vous entre les bullshit jobs  et cette lutte ? A-t-elle porté ses fruits ?

    Il y a en ce moment une #grève des infirmières en Nouvelle-Zélande, l’an dernier c’était au Royaume-Uni ; les profs aussi ont fait grève aux Etats-Unis et dans les facs anglaises ; les auxiliaires de vie pour personnes âgées en France… Ces métiers très divers ont en commun d’être de plus en plus pollués par tout un tas de tâches administratives imposées par leurs hiérarchies et qui les détournent de leur fonction première de soigner, d’éduquer… Ma conviction est que ces mouvements vont bien au-delà de revendications sur les salaires.

    Est-ce tellement nouveau ?

    La #financiarisation du monde, devenue le principal moteur du capitalisme, s’étend désormais à tout. Avec ses objectifs chiffrés, ses tableaux de bord, cette vision comptable a déteint partout. La société numérique a encore accéléré le mouvement avec son obsession de la notation permanente et instantanée. Là où les naïfs croyaient qu’elle simplifierait les choses, réduirait les circuits de décision et les hiérarchies, c’est l’inverse qui se passe. Je le constate dans mon métier d’enseignant  : il faut en permanence remplir des formulaires pour débloquer la moindre décision, cocher des cases. C’est pour gérer toute cette masse d’informations que le personnel administratif a énormément augmenté. Le modèle du privé, avec son obsession du management, s’est imposé jusque dans le secteur public  : un président d’université veut ses conseillers, ses assistants, comme un patron du CAC 40. On embauche donc des gens inutiles payés pour organiser et contrôler des tâches qui ne servent à rien et emmerdent tout le monde.

    Pourquoi faites-vous un parallèle entre la prolétarisation de ces travailleurs du care et la sphère financière. En quoi sont-ils connectés ?

    Tout ou presque désormais est traduit en chiffres et aboutit à cette « bullshitisation » de pans entiers d’activités et de métiers dont les gens se sentent dépossédés. Là où l’on devrait se recentrer sur l’humain, on « procédurise », on comptabilise, on formate en permanence afin de nous faire rentrer dans des cases.

    Peut-on en dire autant des métiers industriels  ?

    Plus vous êtes dans la production, la matière, plus le recours aux technologies d’automatisation comme la robotique boostent la productivité et moins vous avez besoin de main-d’œuvre, surtout pour les tâches les moins qualifiées. A l’inverse, dans la santé, l’éducation, cette productivité décroît en dépit de cette profusion de bureautique et de logiciels. La technologie était censée réduire la bureaucratie et l’on voit au contraire qu’elle se nourrit de ce passage au numérique pour toujours s’étendre. Si tout doit être documenté, monitoré, tracé, vous avez besoin de toujours plus de petites mains pour traduire des expériences qualitatives en tableaux quantitatifs. L’intelligence artificielle est la nouvelle avant-garde de cette bureaucratie digitale. Comme la productivité ne progresse plus, les salaires stagnent ou baissent, les métiers sont de moins en moins valorisés. C’est un cercle vicieux, d’où ces grèves qui disent l’effondrement de l’estime de soi, comme une cicatrice balafrant notre âme collective.

    Puisque des métiers utiles ­connaissent une « bullshitisation », ne faudrait-il pas parler de « tâches à la con » plutôt que de « jobs à la con »  ?

    Évidemment, on peut encore aimer son boulot en cherchant à éviter des tâches inutiles qui le polluent. Mais j’ai choisi ce terme générique de « jobs à la con » parce que de plus en plus de gens disent que leur vie professionnelle est intégralement dédiée à ces tâches inutiles et que, si l’on supprimait leur emploi, cela ne changerait rien. Ce n’est donc pas seulement la manière d’exercer son travail qui est inutile, c’est souvent le boulot lui-même qui l’est, quand il n’est pas en plus nuisible, comme me l’ont dit nombre d’avocats d’affaires et de cadres intermédiaires qui passent leur vie à gratter du papier et bureaucratiser leurs équipes comme on l’exige d’eux. Le fait que de plus en plus de gens reconnaissent que leur boulot ne devrait tout simplement pas exister, ça, c’est nouveau  ! Quand j’ai écrit mon premier article sur ce sujet en 2013, un institut de sondage britannique a testé mon hypothèse. A la question « Votre travail apporte-t-il quoi que ce soit d’important au monde  ? », plus du tiers des personnes interrogées (37 %) ont dit être convaincues que ce n’était pas le cas, le double de ce à quoi je m’attendais. Le fait de poser la question a ouvert la boîte de Pandore.

    Politiquement, quel lien faites-vous entre les 40 % de personnes ayant un bullshit job, et le slogan d’Occupy, « Nous sommes les 99% »  ?

    La « bullshitisation » tient beaucoup à la mentalité de la classe dirigeante – les 1 % – qui a besoin de cette base de « larbins » pour se sentir importante, comme dans la féodalité médiévale. Leur motivation n’est pas économique. Cette classe a compris que pour préserver sa fortune et son pouvoir, une population heureuse, productive et jouissant de son temps libre constitue un danger mortel. Ces 1 % qui contrôlent le système sont ceux qui financent les campagnes politiques aux Etats-Unis  : 98 % des dons viennent de ces 1 %, la corruption du système politique est le moteur de leur accumulation de capital. C’est un résultat inévitable de l’économie du ruissellement. Comme il y a une pression du politique pour créer plus d’emplois, leur réponse est  : on va s’en occuper en multipliant les bullshit jobs. Plutôt que de redistribuer les richesses en stimulant la demande comme le défend la gauche depuis Keynes, on fait vivoter tous ces larbins en les maintenant dans la dépendance à ces jobs à la con.

    Tous vos livres sont basés sur des raisonnements contre-intuitifs, que ce soit pour expliquer le gonflement des dettes, la bureaucratisation du capitalisme ou ce « brejnevisme » des jobs de merde comme vous l’appelez dans un clin d’œil au socialisme soviétique finissant. N’est-ce pas là tout ce qu’abhorre le capitalisme, qui a toujours mis en avant son efficacité  ?

    Les défenseurs du #capitalisme disent que, certes, il crée des inégalités, de la misère et de l’aliénation mais qu’au moins, il est efficace. Les bullshit jobs montent que ce n’est pas le cas  ! Le problème pour ces 1 %, c’est qu’il faut bien occuper toutes ces masses et les bullshit jobs maintiennent la cohésion « brejnevienne », permettent de le faire perdurer sans remettre en cause leur pouvoir et leur accaparement des richesses. La financiarisation leur permet toujours de trouver de quoi s’enrichir comme lorsqu’il s’agit d’endetter des pauvres pour qu’ils se payent un logement dont on sait dès le départ qu’ils ne pourront jamais le rembourser. Cela n’a pas empêché les grandes banques d’affaires d’être renflouées après la crise financière alors que ces citoyens ordinaires ont été expropriés. Le capitalisme n’est pas ce que la plupart des gens croient, c’est un outil de domination qui vise avant tout à préserver le pouvoir de ces 1 %.

    Paradoxalement, vous semblez plus critique envers les démocrates, que vous accusez de collusion avec l’establishment financier, qu’envers les républicains…

    Je suis anarchiste, contre la classe politique en général. Mais je me dois d’essayer de comprendre ce qui se passe. Quand Trump a été élu, j’ai été tenté d’écrire une lettre ouverte aux leaders libéraux pour leur dire  : « Nous avons tenté de vous avertir avec Occupy  ! Nous savions que tout le monde pensait que vous étiez corrompus. Vous avez voulu croire que ce que vous faisiez était légal, que c’était bon, mais personne d’autre que vous ne pense cela  ! » Nous avons essayé d’orienter la rébellion dans un sens positif et ils ont envoyé la police. Je vois Occupy comme la première vague de négociation sur le démantèlement de l’empire américain. Et clairement, Trump est la deuxième, il le fait ! #Occupy était un moment initial lancé par le mouvement socialiste libertarien toujours présent. Mais regardez les sondages outre-Atlantique  : une majorité des 18-30 ans se considère anticapitalistes. Quand cela est-il arrivé auparavant  ? Jamais  ! Les gens ont dit qu’Occupy avait échoué… ­Allons…

    Ces bullshit jobs vont-ils disparaître grâce aux algorithmes et nous permettre de ne travailler que trois à quatre heures par jour comme vous dites que le progrès permettrait de le faire depuis longtemps ?

    Non, car les algorithmes créent des bullshit jobs ! Au XXe siècle, les gens se sont inquiétés d’un chômage de masse lié au progrès technique, y compris Keynes, qui parlait de chômage technologique. Je pense que c’est vrai, mais qu’on y a répondu par la création de jobs imaginaires pour garder les gens occupés. Dans la mesure où la technologie peut progresser et supprimer des emplois utiles, de deux choses, l’une : soit on crée des jobs à la con pour les occuper, soit on redistribue le travail nécessaire, celui du care, que nous ne voulons pas voir effectué par les machines, pour que les gens travaillent moins et profitent plus de la vie. C’est l’autre limite à la thèse de l’efficacité capitaliste : pendant des centaines d’années, les gens ont travaillé dur parce qu’ils imaginaient un monde où leurs descendants n’auraient pas besoin de faire comme eux. Et maintenant que nous arrivons au point où c’est possible, on entend : oh non, les robots vont nous prendre notre travail ! Ça n’a pas de sens.

    Pourquoi le care est-il si important pour changer le système  ?

    Dans le livre, je raconte la grève des employés du métro londonien, quand on se demandait si ce n’était pas un bullshit job qui pourrait être remplacé par des machines. Ils ont répondu avec un texte qui disait en substance  : « Remplacez-nous par des machines, mais nous espérons que votre enfant ne se perdra pas, qu’aucun passager saoul ne vous importunera, que vous n’aurez pas besoin d’information, etc. » Qui veut d’un robot pour prendre soin de son enfant égaré  ? Personne  !

    Comment faire  ?

    L’analyse du travail à l’ère industrielle s’est trop concentrée sur l’usine, alors que beaucoup de travailleurs exerçaient un travail en lien avec le care. Je pense qu’il faut d’abord prendre le care comme paradigme, lire l’ensemble du travail à travers cette question. Car même lorsque vous fabriquez une voiture, c’est parce que vous voulez aider les gens, leur permettre de se déplacer. Plutôt que de se concentrer sur la production de biens et leur ­consommation, qui suggèrent que le vrai travail est productif, il faut partir du principe que l’essentiel de ce à quoi nous nous consacrons est l’entretien des choses  : on fabrique une seule fois une tasse, mais nous la lavons des milliers de fois.

    Qu’en est-il des enjeux écologiques  ?

    Ils sont plus faciles à intégrer dans cette logique du care. On prend soin les uns des autres, mais aussi de la nature, des animaux. Je n’aime pas la notion de décroissance, qui est négative, mais en un sens, cela y correspond, car il faut sortir de cette conception d’une valeur qui devrait toujours croître. C’est drôle, car l’idée de la croissance est inspirée de la nature, mais en réalité ce qui grandit finit par mourir. C’est une métaphore bizarre pour défendre l’idée d’une croissance infinie.

    La mobilisation pour le climat est-elle pour vous le commencement d’une lutte anticapitaliste  ?

    Ce qui me dérange, c’est qu’au moment où le capitalisme semble vraiment vulnérable pour la première fois depuis une éternité, des intellectuels de gauche essaient de le sauver. Quelqu’un comme Thomas Piketty dit aujourd’hui en substance  : « Je ne veux pas abolir le capitalisme, je veux l’améliorer. » Pourtant, s’il avait été là dans les années 60, à l’époque où le système n’était aucunement menacé et où il n’y avait rien à faire, il se serait forcément dit anticapitaliste.

    Contre les bullshit jobs, vous expliquez votre intérêt pour le revenu universel. L’Etat-providence a-t-il donc un nouveau rôle à jouer  ?

    Je suis anarchiste et contre l’Etat, mais sans rejeter l’ensemble de ses services comme la sécurité sociale. Mais on pourrait imaginer que ces fonctions utiles soient assurées par d’autres entités. Je suis en revanche contre la bureaucratie en tant que forme de violence coercitive. Le revenu universel est un moyen pour créer un revenu inconditionnel, qui réduira l’Etat et notamment ces services détestables qui décident si vous élevez vos enfants correctement, si vous cherchez assez activement du travail… Tout ce qui crée de la souffrance et n’apporte pas grand-chose à ceux qui se comportent comme on leur ­demande.

    D’où provient notre conception du travail comme un élément central de l’existence, une souffrance nécessaire  ?

    Dans l’Antiquité, il y a l’idée que le travail est mauvais, que c’est pour les femmes et les esclaves. Mais les « anciens » n’aimaient pas l’oisiveté non plus, au sens où l’homme doit être occupé. Je suis un élève de Marshall Sahlins, qui a produit une critique de l’économie en mettant en évidence ses racines théologiques. Si vous regardez le mythe de Prométhée, la Bible et le récit de la chute du paradis, il apparaît que le travail est l’imitation de Dieu, à la fois en tant que créateur, et en tant que l’on subit la punition pour lui avoir désobéi. Il y a donc la double idée que le travail est productif, créatif et en même temps misérable. Je pense que cette conception du travail s’est imposée à l’époque médiévale, lorsque le travail rémunéré était un passage obligé vers l’âge adulte. Tout le monde, y compris les nobles, devait jusqu’à son mariage travailler pour quelqu’un d’autre. Les gens attendaient pour prendre leur place dans la société. Cette idée de travailler sous l’autorité d’un autre pour devenir un adulte se jouait à l’échelle de la vie, de serviteur à maître. Aujourd’hui, cela se joue entre le lieu de travail et le lieu privé. Vous faites la même transition chaque jour, vous vous placez sous l’autorité de quelqu’un toute votre vie, pour pouvoir être libre chaque soir et chaque week-end.
    (1) L’éthique du care consiste à donner de l’importance à la relation à l’autre, au soin apporté à autrui.

    Cinq nuances de « bullshit jobs »

    David Græber a forgé le concept de bullshit jobs dans un article écrit en 2013 pour la revue britannique Strike  ! Le texte a suscité des milliers de réactions, que Græber analyse dans son livre  : il a sélectionné 124 discussions trouvées sur des sites qui avaient diffusé son article et 250 témoignages reçus par mail. Il en a tiré cinq catégories de jobs à la con.

    Le larbin a pour rôle de donner à quelqu’un l’impression d’être important, comme un poste de secrétaire dans une entreprise qui ne reçoit que deux coups de fil par jour mais qui ne serait pas sérieuse si elle n’avait pas de secrétaire. Si vous êtes porte-flingue, vous poussez les gens à acheter des choses dont ils n’ont pas besoin  : vous êtes donc publicitaire ou télévendeur. Tout aussi inutile, le rafistoleur règle des problèmes (toujours les mêmes), qui ne se poseraient pas si l’on se contentait de changer un peu l’organisation de l’entreprise. A ne pas confondre avec le cocheur de cases, qui mesure, évalue, enquête pour aboutir à des analyses que personne n’utilisera jamais, comme lorsque vous remplissez des formulaires pour dire à votre boss que vous avez rempli vos objectifs. Enfin, les petits chefs donnent des ordres et font des plannings, mais n’en foutent pas une.
    Christophe Alix , Thibaut Sardier

    #graeber #care #travail #économie #Etat #bullshit_jobs

  • « Je n’ai aucun respect pour eux » : la violente charge d’Alexandre Benalla contre les sénateurs de la commission d’enquête
    https://www.francetvinfo.fr/politique/emmanuel-macron/agression-d-un-manifestant-par-un-collaborateur-de-l-elysee/je-n-ai-aucun-respect-pour-eux-la-violente-charge-d-alexandre-benalla-c

    Après avoir refusé dans un premier temps, Alexandre Benalla a fini par accepter de répondre à la convocation de la commission d’enquête du Sénat. Joint par France Inter, l’ex-chargé de mission de l’Élysée s’explique.

    Mais pour qui il se prend ce bouffon ?

    « Aujourd’hui, on me contraint, envers et contre tous les principes de la démocratie française. (...) Parce qu’on m’explique qu’on va m’envoyer des gendarmes et des policiers. (...) Je vais venir, à la convocation. Parce qu’on me menace. On me menace vraiment d’une manière directe. »

    Ça s’appelle pas une menace ça s’appelle la loi mais il a l’air de pas avoir l’habitude d’être obligé de la respecter le Benalla

    #Benalla #commission_sénatoriale #barbouze

  • « En tant que bibliothécaire, on n’a pas un rapport administratif aux gens » - Libération
    http://www.liberation.fr/france/2018/09/13/en-tant-que-bibliothecaire-on-n-a-pas-un-rapport-administratif-aux-gens_1

    Laurène Pain-Prado est responsable du numérique dans une bibliothèque de Bobigny. Elle raconte à « Libération » comment son service devient peu à peu le dernier recours pour des usagers démunis face au tout-informatique.

    Laurène Pain-Prado est bibliothécaire, responsable du numérique à la bibliothèque Elsa-Triolet de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Elle est notamment en charge des dix ordinateurs en libre-service au premier étage du bâtiment. Un équipement qui constitue le seul point d’accès gratuit à l’informatique et Internet dans cette ville de 51 000 habitants. Mais le travail de Laurène Pain-Prado, 31 ans, va bien au-delà. Tous les jours, elle aide des usagers, souvent démunis, à remplir des demandes de prestations sociales. CAF, #CMU, #RSA, autant de sigles qui n’ont (presque) plus de secrets pour elle. Car si la dématérialisation des procédures s’accélère, la fracture numérique, elle, demeure. Tout autant #bibliothécaire qu’assistante sociale, la jeune femme raconte à Libération ce bricolage permanent pour faire subsister un semblant de service public.

    Est-ce que le développement du numérique complique l’accès aux droits sociaux ?

    Dès que je suis arrivée à ce poste, il y a six ans et demi, j’ai compris qu’il y avait un problème. On fait face à des demandes qui nous dépassent complètement : écriture de CV, inscription à la caisse d’allocations familiales (CAF), actualisation sur le site de Pôle Emploi. Et cela s’accélère avec la dématérialisation des procédures. Par exemple, il y a deux ans, quand les caisses de retraite sont passées au tout-numérique, on a eu la visite d’une cinquantaine de personnes âgées dans les semaines qui ont suivi. Elles ne maîtrisaient pas du tout l’outil informatique, et il a fallu leur ouvrir des adresses mail. Et comme elles n’avaient pas de numéro de mobile non plus, je donnais donc le mien. On a vraiment l’impression d’être le dernier maillon de la chaîne. Si on n’était pas là, plein de gens ne feraient pas les démarches pour accéder à des prestations auxquelles ils ont droit. On voit aussi souvent des enfants de 10 ou 12 ans faire les démarches de couverture maladie universelle (CMU) ou de RSA de leurs parents, c’est assez incroyable.

    Qui sont les gens qui viennent vous demander de l’aide ?

    Il s’agit souvent d’un public cumulant les difficultés : des gens à la rue, des handicapés mentaux… On se retrouve aussi à faire des demandes de revenu de solidarité active (RSA) avec des gens qui ne parlent pas bien le français, voire pas du tout. Un exemple : une femme devenue veuve, qui ne sortait jamais de chez elle, et qui a besoin de faire les démarches administratives après le décès de son mari. Le premier endroit où elle va, c’est la bibliothèque. Ou encore un monsieur qui me ramène toutes ses fiches de paie pour monter un dossier de demande de CMU. Évidemment, je l’ai rempli parce que, sinon, il ne pourrait pas se faire soigner.

    Pourquoi se tournent-ils vers vous ?

    Quand les usagers parlent un peu français et que leur situation n’est pas trop compliquée, la CAF ou Pôle Emploi les aident. Sinon… Souvent, les gens nous disent eux-mêmes qu’ils ont été orientés vers nous par les services sociaux, les conseillers CAF ou Pôle Emploi. J’ai coutume de dire qu’on est des Bisounours en bibliothèque. On n’a pas un rapport administratif aux gens et c’est souvent dans cette brèche qu’ils s’engouffrent. On est victimes de notre succès parce qu’on a dix ordinateurs en accès libre et qu’on est plutôt sympathiques.

    Quelle est la nature de vos échanges avec Pôle Emploi ou la CAF ?

    On a tenté de monter des partenariats avec eux, mais c’est très compliqué. On a l’impression que les conseillers sont débordés, ils nous donnent rarement de leurs nouvelles. Ce n’est pas un problème de responsabilité individuelle, mais bien plus structurel. Ils ont des portefeuilles de demandeurs d’emploi trop fournis. La CAF vient de nous proposer de former dix bibliothécaires à faire des demandes sur leur site. Je ne pense pas qu’on devrait accepter.

    Jusqu’où aidez-vous les gens qui viennent vous voir ?

    J’en suis à créer des mots de passe pour les adresses mail des gens, que je leur recopie sur un petit bout de papier pour qu’ils s’en souviennent. Par ailleurs, ma boîte mail est l’adresse de secours de pas mal de personnes. J’ai déjà pris des rendez-vous en ligne à la préfecture sur mon temps personnel, parce que la bibliothèque est fermée le lundi, mais que les créneaux s’ouvrent en début de semaine. Pour les impôts, les gens viennent à la bibliothèque avec leurs bulletins de paie et font leurs déclarations de revenus sur place. Ils n’ont aucun problème avec ça ! Lors d’un atelier de formation au numérique, je me suis déjà retrouvée à faire des simulations du site des impôts sur un vidéoprojecteur avec mon propre numéro fiscal.

    Cette fracture numérique peut-elle être accentuée par les sites des administrations eux-mêmes ?

    C’est sûr. Certains sites sont de telles usines à gaz que même quand on maîtrise l’informatique, c’est compliqué, sans parler des bugs. A cet égard, le site de la préfecture est le pire. Les télédéclarations de revenus peuvent aussi s’avérer délicates. Par exemple, quand on clique sur « Je déclare », ça ouvre une nouvelle fenêtre. Les gens éloignés du numérique ne captent pas et cliquent plusieurs fois, sans comprendre ce qui se passe.

    Votre formation vous a-t-elle préparée au travail que vous effectuez réellement ?

    Absolument pas. La situation est insatisfaisante, car ce n’est pas dans nos missions. On n’est ni chargés d’insertion ni travailleurs sociaux. On bricole, et parfois on fait des bêtises. A mes débuts, par exemple, j’ai déclaré des revenus de gens qui avaient bossé au noir, parce que je n’avais pas le réflexe de leur demander si le boulot était déclaré ou non. Et puis ça nous empêche aussi de faire le boulot pour lequel on est formés. Un bibliothécaire fournit un service culturel, pas un service social.
    Sylvain Mouillard

    Il y a des situation décrites qui sont complètement dingues. Et le coup de la Caf qui bien gentiment propose de les former WTF !! Évidemment qu’ils ne doivent pas accepter. C’est scandaleux ! Ça me révolte au plus haut point cette organisation faite pour que les gens ne bénéficient pas de leurs droits les plus élémentaires en terme d’aide sociale. D’autant plus que le taux de non recours est clairement prévu pour que le budget destiné à ces aides soit minoré.
    Et on parle d’assistés ! Ce sont des délaissés !

    #aides_sociales #pauvreté #fracture_numérique #CAF #bibliothèque #culture

  • Compteurs Linky : les propriétaires auront le droit de refuser l’accès à leur logement

    https://www.lemonde.fr/energies/article/2018/09/12/compteurs-linky-la-justice-confirme-le-droit-des-usagers-de-refuser-l-acces-

    Le tribunal administratif de Toulouse a tranché en faveur de la commune de Blagnac, qui a publié un arrêté interdisant à Enedis de changer un compteur sans l’accord du propriétaire.

    C’est une première. Mardi 11 septembre, le tribunal administratif de Toulouse a confirmé le droit des habitants de Blagnac de refuser l’accès à leur logement pour la pose d’un compteur Linky, ainsi que la transmission des données collectées par le compteur, selon France 3 Occitanie.

    Le maire de cette commune, Joseph Carles, avait en effet pris un arrêté, le 16 mai, réglementant la pose des compteurs Linky par Enedis. Il voulait garantir à ses habitants la liberté d’accepter ou de refuser, sans pression, l’accès à leur logement ou à leur propriété, ainsi que la transmission des données collectées.

    Comme plus de 600 autres communes, d’après un décompte réalisé par un site anti-Linky, le maire de Blagnac s’était appuyé sur les directives de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) relatives au traitement des données de consommation détaillée pour justifier cet arrêté. Il permettait aussi à l’usager de stipuler son refus par lettre simple à Enedis.

  • Education : « Un des éléments statistiques que je préfère, c’est la dépense publique par élève » - Libération
    http://www.liberation.fr/france/2018/09/11/education-un-des-elements-statistiques-que-je-prefere-c-est-la-depense-pu

    Eric Charbonnier, expert des questions d’éducation à l’OCDE, livre son analyse sur le dernier rapport « Regards sur l’éducation ».

    Voilà de quoi alimenter les débats (très vite enflammés) sur notre système éducatif. L’OCDE publie la 27e édition de son pavé annuel, Regards sur l’éducation, comparant tout ce qu’il est possible de comparer entre les systèmes éducatifs de ses 36 pays membres mais aussi de l’Afrique du Sud, de l’Arabie saoudite, de l’Argentine, du Brésil, de la Chine, de la Colombie, du Costa Rica, de la Fédération de Russie, de l’Inde et de l’Indonésie. Au total, 486 pages de tableaux et de graphes, où il est question de dépenses publiques, scolarisation des tout-petits, rémunération des enseignants, statut des chefs d’établissement… Le point de vue d’Eric Charbonnier, analyste français, à la direction de l’éducation de l’OCDE.

    Vos publications, à commencer par l’enquête #Pisa publiée tous les trois ans, ont à chaque fois un fort retentissement médiatique, et donc politique. Comment l’expliquer ?

    Les comparaisons internationales ont pris de l’importance dans tous les pays, ce n’est pas propre à la France. C’est relativement nouveau. Il y a trente ans, les pays se comparaient beaucoup moins. Les choses ont commencé à changer avec la première enquête Pisa, au début des années 2000. Elle a cassé des idées reçues. Jusqu’ici, on avait coutume de vanter les systèmes éducatifs français et allemands. Pisa est venu montrer que c’étaient en fait des systèmes très inégalitaires, et qu’il existait de bonnes pratiques ailleurs : en Finlande par exemple, au Royaume-Uni ou encore en Estonie. L’Allemagne a réagi rapidement, prenant en compte nos travaux et nos recommandations. Cela a mis plus de temps en France où on a d’abord commencé par critiquer notre méthodologie, avant de commencer à bouger il y a dix ans.

    Quelles informations apporte ce nouveau tome de Regards sur l’éducation sur notre système éducatif ?

    Un des éléments statistiques que je préfère observer, c’est la dépense publique par élève. La France dépense en moyenne 15% de moins pour les élèves en élémentaire que dans les autres pays de l’OCDE. En revanche, l’enveloppe dévolue au secondaire est 35% plus élevée en moyenne que les autres pays de l’OCDE. Les chiffres parlent d’eux-mêmes.

    Ces chiffres par exemple, sont les mêmes depuis des années, alors que les gouvernements successifs répètent qu’ils mettent le paquet sur le primaire…

    C’est vrai. Les données étaient les mêmes en 2012. En partie, parce que pendant ce temps-là, les autres pays continuent d’investir plus dans le primaire, vu que toutes les études montrent que c’est en agissant dès les premières années de scolarité que l’on peut combattre les inégalités.

    Dans votre note sur la France, vous évoquez la scolarisation des enfants de trois ans, où la France est là bien classée.

    La France est en tête : quasiment tous les enfants vont à l’école dès trois ans, contre une moyenne de 76% dans l’OCDE. Annoncer la scolarisation obligatoire c’est bien, mais dans les faits cela ne change rien. Il y a en revanche de gros progrès à faire pour améliorer la qualité de l’enseignement en maternelle, notamment le taux d’encadrement. En maternelle, on a un professeur pour 23 élèves, soit 8 de plus que la moyenne des pays de l’OCDE. Dans nos travaux, on insiste beaucoup sur la qualité de l’enseignement, c’est une donnée très importante pour lutter contre les inégalités. Les politiques publiques ne doivent pas se contenter d’être axé sur la quantité. C’est la même chose pour l’enseignement professionnel.

    C’est-à-dire ?

    La France investit plus d’argent que les autres pays de l’OCDE dans la filière professionnelle. En revanche, elle reste encore beaucoup trop une voie de garage pour ceux qui décrochent. Là encore, les statistiques sont éloquentes : 87% des élèves en filière professionnelle ont des parents qui n’ont pas de diplôme de l’enseignement supérieur, contre 51% dans les filières générales. Il faut déplacer le débat et avoir aujourd’hui une vraie réflexion sur la qualité de la voie professionnelle.

    Vous pointez aussi la faible reconnaissance du travail de directeur ou directrice d’école, ce qui fait d’ailleurs écho à un débat actuel en France.

    Nos indicateurs sont préparés longtemps en avance, bien en dehors du temps politique. Certains résonnent avec les débats en cours, comme celui des directeurs d’école. C’est une bonne chose, mais ceci dit, on soulève le problème depuis dix ans. En France, un directeur d’école en France gagne à peine 7% de plus que ses collègues enseignants en élémentaire. Ils sont fatalement moins payés chez nous qu’ailleurs. Dans les autres pays de l’OCDE, l’écart de salaire entre enseignant et directeur est en moyenne de 40%. Au-delà de la rémunération, la question de leur rôle et donc de leur statut se pose. Même chose pour les chefs d’établissement au collège et lycée. En France, leurs missions se résument à des questions de disciplines et de budget.

    Vous êtes en train de dire qu’il faudrait laisser plus d’autonomie aux établissements, une idée que défend le ministre Blanquer ?

    Il faut être prudent avec ce mot « autonomie » qui suscite toujours de vives réactions, surtout en France. Je pense qu’il serait intéressant de réfléchir au rôle des chefs d’établissement à l’égard des équipes. Il y a une réflexion à engager. Sur ce sujet comme sur d’autres, l’idée n’est pas de reproduire à l’identique ce qui se fait ailleurs, mais d’avoir une idée précise des politiques qui sont menées et de la façon dont les pays réagissent à des difficultés semblables aux nôtres. Ces comparaisons permettent d’avoir des éléments de réponse sur les façons d’intervenir.
    Marie Piquemal

    Tableau de données chiffrées dans l’article même.

    #école #OCDE #éducation #

  • Karim : ouvrier, lanceur d’alerte, viré
    https://reporterre.net/Karim-ouvrier-lanceur-d-alerte-vire

    En juin 2017 éclatait le scandale des supposés déversements illégaux d’acide d’ArcelorMittal à Florange. Dans une vallée où plane l’ombre du géant de l’acier, où en est l’enquête ? Comment réagissent les élus ? et, surtout, comment évolue la situation de Karim Ben Ali, le lanceur d’alerte licencié après ses révélations ?

  • Androcur : « Ce médicament a chamboulé ma vie » - Libération
    http://www.liberation.fr/france/2018/09/11/androcur-ce-medicament-a-chamboule-ma-vie_1677804

    Quatre femmes témoignent des conséquences qu’elles subissent après avoir pris ce médicament prescrit en cas de maladies hormonales.

    Sommes-nous à l’aube d’un nouveau scandale sanitaire ? Sur la sellette, un médicament : l’Androcur. Prescrit depuis les années 80 à des patientes atteintes de maladies hormonales comme l’hyperpilosité ou l’#acné, et à des hommes pour atténuer les effets secondaires du cancer de la prostate, ce dérivé de la progestérone est sur la selette depuis deux semaines et la parution d’une étude alarmante menée par l’Agence nationale de sécurité du médicament (#ANSM) et l’Assurance maladie. Les résultats ont de quoi fortement inquiéter : l’Androcur multiplierait chez la femme le risque de méningiomes, des tumeurs bénignes du cerveau.

    Quatre femmes sous traitement ces dernières années, parfois atteintes de #méningiome, témoignent de leur parcours de soins et évoquent la perte de confiance dans le corps médical.

    « Ce médicament a chamboulé ma vie »
    Géraldine Godard, 49 ans, Saint-Dié-des-Vosges

    En août 2016, Géraldine Godard, 47 ans, se rend en voiture de Metz à Bruxelles pour aider sa fille à déménager. Dans la nuit, elle est prise de maux de têtes violents, de vomissements et d’hallucinations, croit à une méningite. Mais aux urgences, on lui détecte quatre méningiomes, dont un saignant, de la taille d’une clémentine. « Les médecins m’ont demandé si je prenais de l’Androcur, alors que je n’avais rien dit », se souvient-elle. L’équipe médicale vise juste : depuis douze ans, Géraldine Godard prend 21 jours sur 28 un comprimé de 50 mg, comme on prend une pilule contraceptive. Un traitement prescrit par sa gynécologue en 2004 pour diminuer son hirsutisme, une pilosité excessive sur le visage. « C’est inouï de risquer sa vie pour des poils », s’emporte-t-elle.

    Elle est opérée deux semaines plus tard. Elle est alors débarrassée de sa tumeur saignante mais elle garde de graves séquelles de ses méningiomes : pertes de mémoires, grosses fatigues, quelques crises d’épilepsie pour lesquelles elle suit un traitement. Elle parle aussi des conséquences psychologiques auxquelles elle doit faire face : « J’ai arrêté de travailler, explique cette ancienne propriétaire d’un dépôt-vente de prêt-à-porter. Je me suis isolée, j’ai perdu beaucoup d’amis, ce médicament a chamboulé ma vie. » Désormais elle a la volonté de se battre « pour les autres ». « Je n’ai eu aucun suivi durant mon traitement. Pas d’IRM avant ou pendant, je n’ai pas été prévenue des risques. Aujourd’hui, on me considère miraculée… Avant mon opération, on m’avait dit que je ne pourrais plus marcher, que je risquais d’être être aveugle. Les chirurgiens n’en reviennent pas que je me sois si bien remise. »

    « C’est comme de la drogue »
    Coline Le Meler, 26 ans, Melun

    Coline Le Meler a vu sa vie basculer en 2017 lorsqu’on lui a diagnostiqué un gros méningiome de stade 2. Elle est alors prise de maux de têtes violents et voit double. Elle détaille : « ma tumeur appuyait sur le nerf optique ». Le lien est rapidement fait par son neurochirurgien avec l’Androcur qu’elle prend depuis sept ans pour régler ses problèmes hormonaux. Depuis sa puberté, elle souffre de règles irrégulières, d’acné, a de l’hirsutisme sur le visage. « Mon traitement me soignait complètement. J’avais une belle peau, de beaux cheveux. Quand on nous prescrit ça, c’est comme de la drogue. » Jusque là, Coline Le Meler était peu inquiète, rassurée par sa gynécologue : « Elle me disait qu’à mon âge, je ne risquais pas d’avoir de méningiome ». Pourtant, ces sept années de traitement lui ont valu de passer neuf heures sur la table d’opération. Les séquelles de l’acte chirurgical sont encore visibles sur son crâne : une cicatrice de 80 points de suture qui continue à la faire souffrir. S’y ajoutent des maux de têtes quasi quotidiens et de la fatigue.

    Coline Le Meler ne pourra plus prendre de traitement hormonal à l’avenir. Sur sa peau, l’acné et l’#hirsutisme sont revenus, « pires qu’avant ». Mais peu importe : « Quand on a été opérée de la tête avec tous les risques que ça comporte, on sait ce qui est vital et ce qui ne l’est plus. »

    « Je marchais plus lentement que ma mère de 70 ans »
    Nathalie Bricout, 39 ans, Meaux

    Pour arriver à bout de l’acné qui lui pourrissait la vie, Nathalie Bricout a enchaîné les traitements hormonaux : pilule Diane 35, Roaccutane, Provames et enfin Androcur en 1997, alors qu’elle est âgée de 18 ans. Pendant plus d’une dizaine d’années, elle a pris ces deux derniers comprimés simultanément. Seul l’Androcur permet de stabiliser ses boutons sur le buste, le visage, le dos. Son long traitement est suivi, de loin, par cinq gynécologues successifs. Mais aucun ne lui fait passer de bilan de santé ou hormonal avant de lui prescrire ces médicaments.

    En janvier 2012, l’avalanche de symptômes alarmants commence : crises d’épilepsie, le bras et la main gauche qui ont du mal à fonctionner, céphalées, grosses fatigues. « Je marchais plus lentement que ma mère de 70 ans », raconte-t-elle. « Mon médecin a pensé à un syndrome du canal carpien mais m’a prescrit un IRM par ultime précaution. » Verdict : quatre méningiomes, dont un de 5 cm, un autre sur le nerf olfactif, très près du nerf optique. Son neurochirurgien fait directement le lien avec l’Androcur et fait cesser tout traitement hormonal. « L’IRM met en évidence un méningiome olfactif et j’espère que l’arrêt de l’Androcur permettra une régression de ce méningiome comme cela a été décrit dans la littérature », indique-t-il dans son compte-rendu opératoire.

    A 39 ans, après un an de convalescence, Nathalie Bricourt a retrouvé un travail et une vie « presque normale ». Reste l’amertume de toutes ces années passées à ne pas comprendre ce qui provoquait son acné important : un syndrome des ovaires polykystiques (#SOPK), qui explique ses problèmes hormonaux.

    « On a une épée de Damoclès au-dessus de nous »
    Mylène, 29 ans, Toulouse

    Depuis la publication de l’étude de l’ANSM et l’assurance maladie, les questionnements et le stress se sont accrus chez Mylène, 29 ans, qui prend de l’Androcur depuis dix ans pour une hyper pilosité sur le visage. Egalement atteinte d’endométriose, elle prend 50 mg/jour en continu pour ne pas avoir de règles : « On se demande si ça va nous tomber dessus ou pas. »

    La jeune femme passe un bilan hormonal tous les ans, et s’estime heureuse, elle n’a aucun effet secondaire lié à son traitement. Pourtant, si elle se croyait informée, elle sous-estimait jusqu’à présent le risque de méningiome, multiplié par 20 après cinq années de traitement. « Mon endocrinologue m’a dit que les cas étaient rares et minimes, mais je n’y crois plus », explique-t-elle. Sans pour autant être déterminée à arrêter son traitement, Mylène souhaite voir s’il n’y a pas d’autres alternatives à l’#Androcur, et comment renforcer la prévention de méningiomes. « On ne fait jamais d’IRM, par exemple. Maintenant, je commence à avoir vraiment peur. C’est comme si on avait une épée de Damoclès au-dessus de nous. »
    Lysiane Larbani

    J’avoue qu’ayant pris ce médicament également pendant des années, ça me met en colère.
    Quant à la jeune femme avec le syndrome des ovaires polykystiques, c’est vraiment révélateur. Personne n’est jamais fichu de diagnostiquer clairement cette maladie et les femmes galèrent souvent de très nombreuses années avant de savoir ce qu’il en est. C’est pathétique ! Encore une fois un effet du traitement différencié entre hommes et femmes sur le plan médical.

    #industrie_pharmaceutique #médicament

  • Julia Cagé : « En France, les plus pauvres paient pour satisfaire les préférences politiques des plus riches » - Libération
    http://www.liberation.fr/debats/2018/09/07/julia-cage-en-france-les-plus-pauvres-paient-pour-satisfaire-les-preferen

    Le prix d’un vote ? 32 €. Dans son dernier livre, l’économiste soutient, chiffres inédits à l’appui, que l’argent a un rôle déterminant dans le résultat d’une élection. Pire : l’Etat subventionne davantage les orientations politiques des plus aisés, favorisant ainsi les partis de droite.

    La France est-elle vraiment protégée des groupes de pression ? Sans doute moins qu’elle aimerait le croire. Notre démocratie repose-t-elle sur l’équation « un homme = une voix » ? Pas tout à fait, selon Julia #Cagé. Après avoir étudié le financement des médias (Sauver les médias, Le Seuil, 2015), l’économiste, professeure à Sciences-Po Paris, poursuit son exploration des ressorts et des inégalités de notre système représentatif. A partir d’une base de données inédite des financements publics et privés de la vie politique, aux États-Unis, en France ou ailleurs en Europe, elle démontre dans son dernier livre, le Prix de la démocratie (Fayard), que ces questions, en apparence techniques, pourraient bien avoir leur rôle dans le sentiment d’abandon des classes moyennes et populaires, et dans la montée des populismes (1). Car, non seulement l’expression politique est capturée par les intérêts privés des plus riches, mais cette confiscation peut avoir un sacré impact sur le résultat des élections. En France, depuis les années 90, le financement de la vie politique est fondé sur quelques grands principes : les dons des particuliers sont encadrés (pas plus de 7 500 euros pour les partis par individu et par an, pas plus de 4 600 euros par élection) ; les entreprises ne peuvent verser des fonds aux candidats ; en contrepartie, l’État finance une grande partie de la vie politique. Un système bien imparfait, révèle Julia Cagé, qui subventionne en réalité les préférences politiques des plus riches et favorise donc les partis de droite.

    « Qui paie gagne », écrivez-vous : en France aussi, l’argent fait l’élection. Cela explique l’improbable accession au pouvoir d’Emmanuel #Macron, candidat sans parti ni élu ?
    C’est un cas exemplaire. J’ai commencé à travailler sur le financement de la vie politique en 2014. L’une de mes hypothèses était qu’il fallait une réforme urgente du système de financement public des partis politiques, car il favorise l’immobilisme : l’argent donné par l’État aux candidats dépend des résultats obtenus aux dernières législatives. Ça ne permet pas l’émergence de nouveaux mouvements… sauf à attirer suffisamment de dons privés pour compenser ce handicap. Ce n’était encore jamais arrivé en France. C’est exactement ce que Macron a réussi à faire. Fin 2016, En marche !, né en avril, a déjà réuni 4,9 millions d’euros de dons privés. Contre 7,45 millions d’euros pour Les Républicains et seulement 676 000 euros pour le PS. L’innovation politique ne peut pas naître sans être financée. Or, dans toutes les démocraties occidentales, les dons privés vont d’abord aux partis conservateurs qui prônent une politique économique favorable aux plus aisés.

    Quel est le profil des donateurs ?
    On pourrait imaginer que les classes populaires donnent massivement, même pour de faibles montants. Ce n’est pas le cas. En France - comme aux États-Unis, en Italie ou en Grande Bretagne -, ce sont les plus aisés qui financent la vie politique. Ils ne sont d’ailleurs pas nombreux. Chaque année, seuls 290 000 foyers fiscaux français font un don, 0,79 % des Français adultes. Mais si on regarde parmi les 0,01 % des Français aux revenus les plus élevés, on s’aperçoit que 10 % d’entre eux font un don. Et ces 0,01 % des Français les plus riches versent en moyenne 5 245 euros par an. Les 50 % des Français les plus pauvres donnent, eux, quand ils donnent, seulement 120 euros par an en moyenne. Mais le scandale, c’est que les dons privés des plus aisés sont financés par l’ensemble des citoyens.

    Pourquoi ?
    Il existe trois formes de financements publics de la démocratie. La première, c’est celui des partis politiques, déterminé tous les cinq ans en fonction des résultats aux législatives : il s’élève à 63 millions d’euros. La deuxième, c’est le remboursement des dépenses de campagnes : 52 millions d’euros par an en moyenne. Et la troisième, dont on ne parle jamais, ce sont les déductions fiscales : votre don à un parti politique est remboursé à 66 %, par le biais d’une réduction d’impôt. Ces réductions représentent 56 millions d’euros par an pour les seuls dons aux partis politiques ! 56 millions d’euros offerts à seulement 290 000 individus qui ont choisi de financer un parti ? Même pas ! Car on ne peut bénéficier de déductions d’impôt… que si on paie l’impôt sur le revenu, ce qui n’est le cas que d’un Français sur deux. Pour le dire autrement si vous êtes parmi les 10 % des Français les plus fortunés, et que vous faites un don de 7 500 euros, celui-ci vous reviendra au final à 2 500 euros. Et le coût de votre don pour l’ensemble des citoyens sera de 5 000 euros. Mais, si vous êtes smicard, étudiant ou travailleur précaire, et que vous donnez 600 euros à un parti, votre générosité vous reviendra à… 600 euros, puisque vous n’êtes pas imposable sur le revenu. Bref, en France, les plus pauvres paient pour satisfaire les préférences politiques des plus riches.

    Le financement de la vie politique expliquerait la « droitisation » des gauches occidentales ?
    Si tous les partis et les candidats recevaient autant de financements privés, ce ne serait pas forcément problématique. Mais ce n’est pas le cas. Les Républicains touchent en moyenne, en France, 11 fois plus de dons privés que le Parti socialiste. On retrouve exactement le même déficit dans les autres pays. Or, on s’aperçoit qu’au Royaume-Uni avec Tony Blair, aux Etats Unis avec Hillary Clinton, en Italie avec Renzi, les partis de gauche se sont engagés dans une course aux financements privés. Ils abandonnent leur électorat populaire pour promouvoir des politiques économiques favorables aux plus aisés.

    Un parti peut-il vraiment « acheter » les électeurs ?
    J’ai analysé, avec Yasmine #Bekkouche, doctorante à l’Ecole d’économie de Paris, toutes les #élections municipales et législatives en France depuis 1993. Le résultat est net : statistiquement, en moyenne, les candidats les plus dotés et qui dépensent le plus remportent les élections. Bien sûr il y a des exceptions - le cas de Benoît Hamon à la présidentielle le prouve. J’ai estimé le prix d’un vote à 32 euros. Si un candidat met 32 euros de plus que son concurrent dans une campagne, il récolte une voix de plus. Au fond, ce n’est pas très cher un vote…

    Mais la victoire d’un candidat plus riche peut aussi s’expliquer par son talent ?
    Nous avons neutralisé l’effet de la popularité d’un parti une année donnée, le taux de chômage local, le niveau d’éducation moyen et les revenus fiscaux de la circonscription, le nombre de créations d’entreprises localement, le niveau d’investissement de la municipalité, etc. Résultat : toutes choses égales par ailleurs, le budget d’une campagne a bien un impact sur le résultat d’une élection. Mieux, selon nos analyses, l’« étrange défaite » de la droite après la dissolution surprise de Jacques Chirac en 1997, pourrait s’expliquer par l’interdiction, en 1995, des dons des entreprises aux campagnes électorales. Elle n’a eu d’effet que pour les candidats de droite qui touchaient des dons importants venant d’entreprises.

    Comment expliquer que l’argent ait un tel rôle ?
    Les meetings coûtent chers, comme les frais de transports, les conseils en communication et toutes les stratégies qui reposent sur l’utilisation des big datas. Cette utilisation des réseaux sociaux a d’ailleurs un effet pervers. Dans un monde où un candidat pourrait cibler ses électeurs, et si quelques milliardaires peuvent aider une campagne plus sûrement que des milliers d’électeurs, c’est sur cette poignée de personnes qu’il ciblera sa campagne. Encore une fois, les politiques risquent de se couper des classes populaires et moyennes.
    Vous dites que les donateurs de Macron « en ont eu pour leur argent » avec la suppression de l’ISF. N’est ce pas un peu rapide ?

    Derrière la formule, il y a une évidence : une personne soumise à l’ISF qui a donné 7 500 euros à la République en marche, ce qui lui est revenu à 2 500 euros, et qui voit l’ISF supprimé a effectivement fait un bon investissement. Le politiste américain Martin Gilens a comparé les souhaits des citoyens américains exprimés dans les sondages depuis 1950 (sur la politique économique, étrangère ou sociale), à leur niveau de revenus, et aux politiques effectivement mises en œuvre. Il montre que lorsqu’il y a divergence entre les Américains les plus riches et la majorité des citoyens, les gouvernements tranchent systématiquement en faveur des 1 % les plus riches. Pourquoi n’y a-t-il pas de révolution ? Gilens a une formule extraordinaire : il parle de « démocratie par coïncidence ». Sur beaucoup de sujets - la légalisation de l’avortement ou l’intervention en Irak -, les plus riches sont en phase avec la majorité. Mais c’est pure coïncidence. Le salaire minimum réel, lui, a baissé depuis les années 50. Ce sentiment de dépossession alimente le populisme.

    Que proposez-vous pour y remédier ?
    Certainement pas de supprimer tout financement public des partis parce qu’ils seraient « pourris », comme l’a obtenu le mouvement Cinq Etoiles en Italie ! La démocratie a un prix. Si ce coût n’est pas porté de manière égalitaire par l’ensemble des citoyens, il sera capturé par les intérêts privés. Il faut au contraire renforcer le financement public de la démocratie. Je propose la création de « Bons pour l’égalité démocratique ». Il ne s’agit pas de dépenser plus, mais autrement : tous les ans, an cochant une case sur sa feuille d’impôt, chaque citoyen aura la possibilité d’allouer 7 euros au mouvement politique de son choix. Il ne les sort pas de sa poche, mais il demande à l’Etat de donner 7 euros du fonds pour le financement des partis à celui de son choix.

    Et quand on est abstentionniste ou antiparti ?
    Alors vos 7 euros sont donnés en fonction des résultats aux dernières législatives. C’est une manière de favoriser l’émergence de nouveaux mouvements, et c’est égalitaire : un même montant fixe est alloué à chaque citoyen.

    Vous supprimez les dons privés ?
    Je les limite à 200 euros par an, c’est déjà beaucoup par rapport au revenu moyen français. Si on cherche l’égalité politique, on ne peut pas permettre aux citoyens de donner 7 500 euros à un parti puisque c’est un geste impossible à beaucoup.

    Vous prônez également la création d’une « Assemblée mixte » où seraient mieux représentés les ouvriers et les employés. Comment sera-t-elle élue ?
    Le Congrès américain compte moins de 5 % d’ouvriers et d’employés alors qu’ils représentent la moitié de la population. Aucun #ouvrier ne siège aujourd’hui à l’Assemblée nationale française. Je propose de laisser inchangées les règles de l’élection des deux tiers des #députés. Mais qu’un tiers de l’Assemblée soit élu à la proportionnelle intégrale, par scrutin de liste, où sera imposée une moitié de candidats ouvriers, employés, chômeurs ou travailleurs précaires. Comme pour la parité entre hommes et femmes il faut se saisir des outils de l’Etat de droit pour imposer l’égalité démocratique.

    (1) Voir aussi le site Leprixdelademocratie.fr, où sont recensées toutes les données du livre et où l’on peut « tester » les hypothèses de Julia Cagé sur son propre député.
    Sonya Faure

    Déjà pointé par ailleurs mais je mets le texte complet pour ceux et celles qui sont limités en nombre d’articles sur libération.

    #démocratie #argent #financement #partis #lutte_des_classes #impôts #inégalités

  • L’Androcur, un traitement hormonal, multiplierait le risque de tumeur
    https://www.rtl.fr/actu/bien-etre/l-androcur-un-traitement-hormonal-multiplierait-le-risque-de-tumeur-7794691478

    Ce médicament utilisé pour combattre une pilosité excessive ou l’endométriose peut multiplier par 20 le risque de développer des tumeurs.
    […]En Europe, il est disponible dans cinq pays : le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne et la France, qui représente à elle seule 60% du marché.

    Ça fait des années que ce médicament est prescrit très, très largement et même avec ce qui est expliqué, il semble qu’il va rester sur le marché. Et pendant ce temps là, il paraît que le problème c’est l’homéopathie. Franchement…
    #industrie_pharmaceutique #androcur #cancer

    • Les soupçons ?! ça fait 200 ans qu’on attend des preuves d’efficacité et tout ce qu’on a c’est « ah mais c’est spécial, ça marche pas pareil, on peut pas faire les mêmes protocoles » ou autre billevesées. Bref.

    • Les preuves ça tombe pas du ciel, il suffit pas d’attendre il faut payer des études et ça coûte très cher. Et comme ce n’est pas du tout la priorité de l’industrie voilà ! Un peu de pragmatisme : par exemple, des services hospitaliers de grands brûlés ou d’oncologie font appel ou redirigent vers des magnétiseurs/coupeurs de feu. Si on attend que ça soit scientifiquement démontré on se prive d’un traitement précieux. Mais bon, mon but n’était pas du tout de rentrer dans un débat sur les médecines non allopathiques.
      Je préfère donc en rester là.

    • En effet Boiron n’a vraiment pas assez d’argent pour faire des études dignes de ce nom.
      Et comment on sait si on se prive d’un traitement précieux si on n’a pas établi son efficacité ? (et je ne parle même pas d’un début d’explication de mécanisme.)
      Restons-en là en effet.

  • À Bobigny, « Vies de Paris », une association subventionnée par la mairie, escroquait des familles roms - Bondy Blog
    https://www.bondyblog.fr/enquete/a-bobigny-vies-de-paris-association-subventionnee-par-la-mairie-escroquait

    ENQUÊTE BONDY BLOG. En octobre 2015, « Vies de Paris » signe une convention avec la la mairie de Bobigny pour assurer le suivi de familles Roms moyennant subvention. Mais l’association met en place une gestion douteuse : domiciliations bidonnées, services non rendus, cours de français non dispensés alors même que les familles leur versaient de l’argent

    #bidonville #Bobigny #Roms

    • « Après avoir été victime d’un véritable acharnement qui se termine par un non-lieu définitif [...] s’ouvre pour Gérald Darmanin le temps de la procédure en dénonciation calomnieuse », a déclaré à l’AFP son avocat Me Pierre-Olivier Sur.

      Salopard ! Ça c’est vraiment le comble ! Qui va un jour oser abroger ce qui permet à un violeur non poursuivi de porter plainte contre sa victime !

      Et en plus c’est quoi cette interprétation du code pénal disant qu’il faut avoir conscience d’imposer l’acte sexuel ! À ce compte là ça sert plus à rien du tout de porter plainte !

  • L’encadré jaune de Parcoursup, nouvelle angoisse des bacheliers
    Par Astrid Sentis, Bachelière

    http://www.liberation.fr/debats/2018/07/31/l-encadre-jaune-de-parcoursup-nouvelle-angoisse-des-bacheliers_1669746

    Ce qui doit être dénoncé ici est la malhonnêteté et la malveillance d’un système dont cet encadré jaune n’est qu’une conséquence naturelle. Le système n’est pas efficace donc les règles de fonctionnement cessent d’être transparentes. Le site n’est ni « humain » ni bienveillant. Les promesses sont bafouées, la confiance est trahie. Ce n’est pas en mentant et en manipulant qu’on répare ses erreurs ; nous savons cela même à 17 et 18 ans.

    On croit avoir tout vu et à chaque fois de nouveaux trésors de perversité.

  • Did IDF admit giving weapons to Islamists in Syria? Explosive Israeli news report vanishes — RT World News
    https://www.rt.com/news/437677-israel-weapons-jerusalem-post-idf
    https://cdni.rt.com/files/2018.09/article/5b8fec8ffc7e937a6a8b45a4.png

    One of at least seven groups believed to have received weapons from Israel, Fursan al-Joulan, or ‘Knights of Golan,’ reportedly participated in the Israeli-led operation to evacuate hundreds of members of the controversial White Helmets group out of Syria. The group is also believed to have received upwards of $5,000 per month from Israel.

    The deleted report comes on the heels of another major disclosure: On Monday the IDF announced that Israel has carried out more than 200 strikes in Syria in the past year and half.

    The Israeli military usually declines to comment on missile strikes attributed to Israel, although Tel Aviv has repeatedly claimed that it has the right to attack Hezbollah and Iranian military targets inside Syria. Damascus has repeatedly claimed that Israel uses Hezbollah as a pretext to attack Syrian military formations and installations, accusing Tel Aviv of “directly supporting ISIS and other terror organizations.”

    Le lien vers l’article en cache : https://webcache.googleusercontent.com/search?q=cache:5JDOiVV-EgUJ:https://www.jpost.com/Israel-News/IDF-confirms-Israel-provided-light-weapons-to-Syrian-reb

    #israël #syrie

    • Le Wall Street Journal en parlait l’an dernier,
      https://www.wsj.com/articles/israel-gives-secret-aid-to-syrian-rebels-1497813430

      Report: Israel Gives Secret Aid to Syrian Rebels | Israel Defense
      http://www.israeldefense.co.il/en/node/30036

      “Israel stood by our side in a heroic way,” a spokesman for the rebel group #Fursan_al-Joulan, or Knights of the Golan, Moatasem al-Golani, told the Journal. “We wouldn’t have survived without Israel’s assistance.”

      Abu Suhayb, a nom de guerre of the commander who leads the group, told the newspaper he receives approximately $5,000 a month from Israel. According to the report, the group made contact with Israel in 2013 after a raid on regime forces and turned to Israel for help with its wounded. The group said it was a turning point as Israel then began sending funds and aid, assistance soon extended to other groups.

      In response to the Wall Street Journal report, the IDF said Israel was “committed to securing the borders of Israel and preventing the establishment of terror cells and hostile forces… in addition to providing humanitarian aid to the Syrians living in the area.”

  • Affaire Benalla : le couple de la Contrescarpe n’a pas menti à la police
    07.08.2018 à 06h38 • Mis à jour le 07.08.2018 à 10h43 | Par Ariane Chemin
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/08/07/affaire-benalla-le-couple-de-la-contrescarpe-n-a-pas-menti-a-la-police_53399

    Le jeune couple connu pour avoir été molesté par Alexandre Benalla sur la place de la Contrescarpe, dans le 5e arrondissement de Paris, le 1er mai, est vierge d’antécédents judiciaires, n’a pas cherché à dissimuler son identité et n’a pas provoqué de violences « graves » ou « répétées » contre les CRS massés sur les lieux. C’est du moins ce qu’ont indiqué deux services de police au procureur de la République de Paris, François Molins, dans des courriers dont Le Monde a pris connaissance.

    Le 1er mai, peu avant 20 heures, un jeune homme de nationalité grecque, travaillant à Paris comme cuisinier, et une jeune graphiste française, vivant ensemble dans la banlieue sud de Paris, se trouvent sur cette place touristique du Quartier latin, où quelques dizaines de manifestants se sont donné rendez-vous. Un petit groupe de CRS charge en direction de la fontaine, au centre de la place, sans viser directement le jeune couple. Tous deux lancent alors des objets sur les forces de l’ordre, y ajoutant un bras d’honneur et un index menaçant.

    C’est à ce moment qu’Alexandre Benalla, adjoint du chef de cabinet d’Emmanuel Macron, et Vincent Crase, gendarme réserviste employé régulièrement par l’Elysée (et dont on sait aujourd’hui qu’il était armé), entrent en scène. Les coups pleuvent sur le jeune homme, comme en témoigne une vidéo désormais fameuse.

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    Affaire Benalla : la fausse information sous serment du préfet de police
    Par Magazine Marianne | Publié le 07/08/2018 à 10:02
    https://www.marianne.net/politique/affaire-benalla-la-fausse-information-sous-serment-du-prefet-de-police

    Le couple arrêté par Alexandre Benalla le 1er mai n’avait pas menti à la police... Selon « Le Monde » de ce 7 août, les deux trentenaires ont bien livré leur véritable identité aux forces de l’ordre, contrairement à ce qu’a affirmé sous serment le préfet de police, le 25 juillet dernier, devant la commission d’enquête de l’Assemblée.

    Qu’est-il passé par la tête du préfet de police, Michel Delpuech ? Le 25 juillet dernier, le haut-fonctionnaire a expliqué devant la commission d’enquête de l’Assemblée nationale, réunie pour tirer au clair les évènement du 1er mai, que les deux trentenaires vivement appréhendés par le collaborateur du président de la République, Alexandre Benalla, place de la Contrescarpe, « n’avaient pas de papiers sur eux » et avaient « déclaré de fausses identités ». Une information qui pouvait jeter le discrédit sur un couple au mensonge suspect. Or, Le Monde révèle ce mardi 7 août que les trentenaires, un jeune homme de nationalité grecque, travaillant à Paris comme cuisinier, et une jeune graphiste française, ont bien dit la vérité aux forces de l’ordre. Tous deux ont notamment livré leur véritable identité aux policiers.

    #Benalla