• Darmanin censure, à votre service : « Bien trop petit » - pour ados - interdit pas l’Interieur | Libé | 21.07.23

    https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/interdiction-du-livre-jeunesse-bien-trop-petit-par-gerald-darmanin-quand-

    « Bien trop petit » de Manu Causse, roman interdit aux mineurs par Gérald Darmanin en raison de scènes de sexe explicite.

    Sylvain Pattieu commente : « A cet âge où l’on est seul face à ses questions, la littérature émancipe et brise les stéréotypes ».

    S. Pattieu est écrivain, maître de conférences en histoire et enseignant en création littéraire à l’université Paris-8-Saint-Denis.

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    Dans ce contexte, le ministère de l’Intérieur, s’appuyant sur une loi de 1949 interdisant tout « contenu présentant un danger pour la jeunesse en raison de son caractère pornographique », vient de signer un arrêté pour interdire aux mineurs Bien trop petit, de Manu Causse (collection L’Ardeur, éditions Thierry Magnier). Il semble aller plus loin même que l’avis de la Commission de surveillance et de contrôle des publications pour la jeunesse, dont on peut par ailleurs interroger la composition, la compétence et les moyens dont elle dispose.

    La fameuse cancel culture, tant décriée, vient d’en-haut. Cette collection a été créée pour aborder, de manière littéraire, le corps et la sexualité. Le parti pris est cru, explicite, inclusif. Il est plus pernicieux de laisser les jeunes face à eux-mêmes, aux préjugés dominants et à Internet. Bien trop petit décrit un garçon de 15 ans complexé par la petite taille de son sexe. Il écrit ses fantasmes sur Internet dans des fanfictions pornos. Repris par une internaute pour sa vision stéréotypée et sexiste, il apprend peu à peu à sortir des clichés, des complexes, de la honte.

    Ainsi, les nombreux passages explicites ne sont pas « complaisants », comme le communiqué d’interdiction l’affirme. Ça veut dire quoi, « pornographie » ? Si c’est la représentation complaisante d’éléments sexuels sans intention artistique, citons un extrait incriminé : « Elle s’était retournée à demi pour échanger avec la paysanne un long regard langoureux. Juste derrière elle, tel un étalon, le garçon d’écurie se tenait prêt, sa queue raide et luisante. La fille s’en saisit pour la faire glisser le long des vallées rebondies, puis le guider vers le sexe de la jeune aventurière » (p. 159). On peut le juger graveleux, pas nier l’intention artistique.

    Manu Causse joue avec les mots, travaille le langage : vocabulaire désuet, imaginaire de cape et d’épée. Il parodie, met en abyme : un écrivain en herbe se demande comment écrire le sexe. Les ados y pensent, ils en font. Faut-il le nier ? Ou se demander comment l’aborder dans les textes qui leur sont destinés ? Les livres de L’Ardeur émancipent, brisent les stéréotypes, posent la question du consentement qui devrait préoccuper le ministre de l’Intérieur. On peut fermer un livre, on ne l’impose pas aux autres. Il est plus difficile d’échapper aux images, au harcèlement, aux injonctions.