« La gauche devrait arrĂȘter de se focaliser sur la prise du pouvoir par les urnes »
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AprĂšs quatre annĂ©es de macronisme, un an de pandĂ©mie, et une banalisation des diatribes autoritaires ou dâextrĂȘme droite, notre dĂ©mocratie est bien malade. Le chercheur en science politique Samuel Hayat imagine des remĂšdes de guĂ©rison.
Le caractĂšre oligarchique du rĂ©gime, câest-Ă -dire lâunitĂ© fondamentale des gouvernants malgrĂ© la mise en scĂšne de leurs divisions, se voit moins quand on a lâillusion dâune concurrence entre partis ayant des projets politiques diffĂ©rents. DĂ©sormais, du fait de lâaffaiblissement de toutes les forces dâopposition et de la situation sanitaire, il rĂšgne en surface une sorte dâunanimitĂ©, qui rend visible le fait oligarchique. Câest dâautant plus frappant quâavec cette crise, le pouvoir nâa jamais Ă©tĂ© autant en reprĂ©sentation. La parole gouvernementale est omniprĂ©sente dans les mĂ©dias. Nous avons passĂ© une annĂ©e suspendus Ă la parole du Prince, qui joue lâĂ©pidĂ©miologiste en chef. Sâajoute Ă cela lâintensitĂ© du mĂ©pris que le pouvoir a pour la sociĂ©tĂ©, quand elle rĂ©siste Ă ses projets â je pense mĂȘme quâil y a une mise en scĂšne de ce mĂ©pris. Cette mĂ©thode de gestion extrĂȘmement brutale peut susciter de lâabattement et de la sidĂ©ration. Câest par exemple ce qui domine aujourdâhui dans lâenseignement supĂ©rieur et la recherche, depuis le mouvement assez fort des universitaires contre les rĂ©formes imposĂ©es lâannĂ©e derniĂšre. Ce sont des mĂ©tiers qui, par leur caractĂšre plutĂŽt bourgeois, avaient lâhabitude dâĂȘtre pris en considĂ©ration par le pouvoir. Cette fois, le pouvoir nâen a eu strictement rien Ă faire : il a passĂ© ses rĂ©formes en utilisant lâurgence sanitaire, et en faisant fi de la contestation...
... Ce que nous avons tous et toutes en commun dans une sociĂ©tĂ© dĂ©mocratique, ce sont des droits. Ces droits sont plus ou moins respectĂ©s ou rĂ©alisĂ©s selon les personnes, et leur situation de classe, de genre, de race. Prendre parti câest donc sâorganiser entre personnes pour que ces droits deviennent vĂ©ritablement effectifs. Cela peut prendre de nombreuses formes : se rassembler en tant que travailleurs pour un revenu dĂ©cent, entre habitants dâun mĂȘme type de quartiers pour une politique de la ville plus Ă©galitaire, sâassocier entre femmes pour organiser la lutte contre des violences sexuelles et sexistes... Ces personnes vivent des situations qui ne sont pas forcĂ©ment communes Ă toute la sociĂ©tĂ©. Ce qui est commun, câest lâhorizon gĂ©nĂ©ral de la rĂ©alisation de ces droits.
Il faut faire accepter cela aux pouvoirs, politiques, Ă©conomiques ou mĂ©diatiques, car dĂšs que des gens se rassemblent, ces pouvoirs crient au sĂ©paratisme ! Câest un paradoxe extraordinaire quand on sait que cette idĂ©e de sĂ©paration est Ă la base de la puissance du mouvement ouvrier : Ă la fin du 19Ăšme siĂšcle, des pamphlets appelaient les ouvriers Ă sâorganiser de maniĂšre sĂ©parĂ©e du reste de la sociĂ©tĂ©, en particulier de la bourgeoisie. Aujourdâhui câest quelque chose quâon veut rendre illĂ©gal.
Comment analysez-vous dans ce contexte, les rĂ©centes tribunes de gĂ©nĂ©raux en retraite, lâactivisme de certains syndicats policiers dâextrĂȘme droite et les propos de ceux, Ă droite, qui laissent planer la menace dâune guerre civile ?
DĂšs que des gens sâorganisent pour que leurs droits soient reconnus, des forces rĂ©actionnaires sâorganisent pour nier ces droits, pour prĂ©senter ces revendications comme un danger pour lâordre social. Il faut bien voir que nier les droits de certains, câest maintenir les privilĂšges pour dâautres. Tout le problĂšme est que ces poussĂ©es rĂ©actionnaires peuvent agrĂ©ger beaucoup de monde, tous ceux qui pensent, Ă tort ou Ă raison, avoir quelque chose Ă perdre aux transformations qui rĂ©sultent nĂ©cessairement dâune extension de leurs droits Ă des groupes qui en Ă©taient jusque lĂ exclus, officiellement ou non. DâoĂč lâimportance, pour les dominĂ©s, de faire front contre ces forces.