• Aux Etats-Unis, une enquête dénonce les conditions de travail cauchemardesques au sein d’Amazon
    http://www.liberation.fr/societe/2015/08/17/aux-etats-unis-une-enquete-denonce-les-conditions-de-travail-cauchemardes

    L’enquête est accablante. Dans un long article publié dans le New York Times, des journalistes américains dénoncent les conditions de travail au sein d’Amazon, au moyen de nombreux témoignages, notamment d’anciens employés.
    Les auteurs dépeignent les « Amazoniens », à tous les échelons, comme une main-d’œuvre soumise à un rythme de travail effréné, et asservie aux contraintes d’une évaluation perpétuelle. Ils racontent les semaines de 80 heures, les e-mails envoyés à minuit passé et suivis de SMS ordonnant d’y répondre. Ils décrivent le calvaire de cette employée à qui on a suggéré de trouver un poste moins exigeant au sein de l’entreprise, car la maternité entraverait de toute façon sa carrière à long terme. Ou celui de cette femme atteinte d’un cancer de la thyroïde, qui s’est vue attribuer une « note de basse performance » à son retour de traitement. Ils dénoncent une obsession de l’entreprise pour les données, qui ne concernent pas que les clients mais prennent aussi les employés pour cible, la surveillance interne étant maquillée en climat d’émulation. Le PDG, Jeff Bezos, prend dans l’article des allures de Big Brother, comme le témoignage d’un ingénieur le suggère : « que le ciel vous aide si vous recevez un e-mail de Jeff ; c’est comme si le PDG de l’entreprise était dans votre lit à 3 heures du matin, comme si vous sentiez sa respiration sur votre nuque. »

    DES « AMAZONIENS » AUX « AMABOTS »
    La plus grande prouesse d’Amazon, selon le New York Times, c’est d’avoir fait en sorte que ses employés eux-mêmes, notamment les plus influents, s’imprègnent des valeurs de leur dirigeant au point de les mettre en œuvre par conviction personnelle et sans plus s’en remettre aux « règles d’or ». Cette transformation aurait même un nom : quand on ne fait plus qu’un avec le système, on n’est plus un Amazonien mais un Amabot. Les auteurs divisent la population Amazon en deux clans : ceux qui, malheureux au quotidien, font des économies en attendant de pouvoir quitter l’entreprise, et ceux qui, devenus partisans, font du zèle à l’excès. A l’image d’une employée qui raconte la fois où elle n’a pas dormi pendant quatre jours d’affilée, et en est venue à payer, sur ses deniers personnels et en secret, un agent indien pour l’aider dans sa tâche et accomplir une meilleure performance.

    Pour Jodi Kantor et David Streitfeld, auteurs de l’article, Amazon interprète le terme « employé » au sens littéral. Si l’embauche ne s’y tarit jamais, c’est parce que la compagnie fonctionne sur ce fameux « turnover », cycle d’usure et de renouvellement de ses travailleurs. Les employés épuisés partent d’eux-mêmes, ou se voient invités à changer d’occupation grâce à la compétition interne institutionnalisée sous le nom de « Organization Level Review ». Cette pratique régulière de réorganisation interne, qui était auparavant utilisée par Microsoft, General Electric ou encore Accenture Consulting, est décrite par le New York Times comme le paroxysme des jeux d’alliance et des coups bas. Cette gestion hautement stratégique de la main-d’œuvre opère en parallèle d’une guerre latente entre les générations : « Au cours des entretiens, les quadragénaires nous disaient être convaincus qu’Amazon les remplacerait par des trentenaires qui pourraient sacrifier davantage d’heures, et les trentenaires étaient certains que la compagnie préférerait des jeunes de vingt ans qui travailleraient plus dur encore », lit-on dans l’article.

    UN « DARWINISME RÉFLÉCHI »
    Amazon ne fait pas mystère de ce fort taux de renouvellement, et annonce que seulement 15% des employés restent plus de 5 ans au sein de la compagnie. Les départs ne sont pas considérés comme le signe d’un échec, mais comme une partie intégrante du système, permettant à la machine de tourner sans jamais s’épuiser. Robin Andrulevich, ancien cadre au sein des ressources humaines d’Amazon, parle même de « darwinisme réfléchi ». Amazon prévoit d’ailleurs de grossir encore ses rangs pour maintenir l’afflux de main-d’œuvre : une nouvelle tour de 37 étages est presque achevée à Seattle, et attend la construction de ses deux voisines. A terme, Amazon devrait abriter 50 000 employés, soit trois fois plus qu’en 2013.