• Le CHU d’Amiens met en place la première consultation « pesticides et pathologies pédiatriques »
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2024/01/11/le-chu-d-amiens-met-en-place-la-premiere-consultation-pesticides-et-patholog

    Inauguré il y a trois mois, le dispositif vise à faire reconnaître l’exposition professionnelle des parents, afin qu’ils puissent prétendre au Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides.
    Par Florence Traullé (Lille, correspondante)

    Lorsqu’il naît en septembre 2016, à la maternité du centre hospitalier universitaire (#CHU) d’#Amiens, le fils d’Emilie, originaire de la Somme (elle n’a pas souhaité donner son nom de famille), se voit diagnostiquer un hypospadias, une malformation du pénis qui nécessite une reconstruction. Après l’opération, l’équipe médicale suggère alors aux parents que cette déformation pourrait être en lien avec le travail du père, agriculteur, et potentiellement exposé aux #pesticides. « On ne nous avait jamais dit qu’ils pouvaient être dangereux pour un bébé pendant la grossesse. On est tombés des nues. »
    Sur les conseils de l’équipe médicale, Emilie retourne alors au CHU d’Amiens, où a ouvert, en octobre 2023, au sein du centre régional de pathologies professionnelles et environnementales (CRPE) des Hauts-de-France, la première consultation pédiatrique spécialisée dans les pathologies repérées comme pouvant être en lien avec l’utilisation de pesticides (leucémies, tumeurs cérébrales, becs-de-lièvre, hypospadias ou troubles du neurodéveloppement, principalement).
    Le docteur Sylvain Chamot, à l’origine de la création de cette consultation, explique vouloir « faire valoir les droits des agriculteurs qui sont d’abord des victimes, ainsi que leurs enfants ». Outre les constats médicaux réalisés, les parents remplissent des questionnaires permettant d’établir si la mère a été exposée aux pesticides dans le cadre de son activité professionnelle pendant sa grossesse ou si le père l’a été dans les six mois précédant la naissance.

    « Liens de causalité »

    « On a des arguments de fréquence et des études qui pointent des liens de causalité avec une exposition du père ou de la mère aux pesticides », explique la professeure Hélène Haraux, chirurgienne pédiatrique, qui travaille aux côtés du docteur Chamot. « L’exposition paternelle est un sujet très intéressant et nouveau, il faut que la recherche avance là-dessus », ajoute-t-elle.
    Les données collectées ici permettront d’alimenter des bases anonymes pour de futures études qui ne se limiteront pas aux agriculteurs, mais porteront aussi sur les enfants « dont les parents travaillent le bois, sur les voies ferrées, dans les espaces verts », précise le docteur Chamot.

    L’idée de créer cette consultation lui est venue après avoir découvert le très faible nombre de dossiers déposés au Fonds d’indemnisation des victimes de pesticides (#FIVP). Depuis sa création en 2020, seules dix-sept demandes concernant des victimes périnatales ont été faites, sur toute la France, auprès de ce fonds alimenté par la taxe sur la vente de produits phytosanitaires. Rien que pour la Picardie, territoire agricole, le docteur Chamot évalue à une centaine le nombre d’enfants potentiellement concernés.

    Auditionnée par une commission d’enquête parlementaire en novembre 2023, Christine Dechesne-Céart, la directrice de la réglementation du FIVP, précisait que « cinq cas seulement [avaient] été indemnisés pour des enfants d’âge divers, pas nécessairement mineurs » et qu’« une victime, exposée enfant, [était] aujourd’hui âgée de 54 ans ». Parmi les indemnisés, Théo Grataloup, aujourd’hui adolescent, dont la mère travaillant sur un terrain d’équitation a utilisé un désherbant, un générique du Roundup, pendant sa grossesse. Théo, né sans cordes vocales, souffre – entre autres – d’une malformation (atrésie) de l’œsophage et a dû subir 54 opérations chirurgicales, la première vingt-quatre heures après sa naissance.

    Mme Dechesne-Céart justifiait, devant les magistrats, l’écart entre la population identifiée comme potentiellement concernée par une indemnisation (de l’ordre de 10 000 personnes adultes et enfants confondus) et le nombre de dossiers instruits (environ 600) par un déficit de communication et par le fait que « le fonds est encore dans sa phase de lancement », trois ans après sa création.

    Ce déficit d’information est également constaté par le docteur Chamot qui, dans sa consultation, prend du temps pour expliquer aux parents les raisons probables des maladies de leurs enfants, ainsi que leurs droits. Mais « il faut que les professionnels de santé soient mieux informés, car c’est surtout eux qui peuvent nous adresser des patients ».

    Réticences des familles à déclencher l’indemnisation

    Au-delà de la difficulté à faire passer les bons messages, le député de Meurthe-et-Moselle Dominique Potier (PS), rapporteure de la récente commission d’enquête parlementaire sur l’usage des pesticides en France, s’inquiète aussi de ce que les conditions d’indemnisation ne tiennent pas compte de « la vie domestique [qui] peut constituer une source de contamination importante. Les vêtements portés au travail et nettoyés à la maison peuvent contaminer une femme enceinte même si elle n’est pas, elle-même, agricultrice. » Il y voit un « trou dans la raquette ».
    Antoine Lambert, président de l’association Phyto-Victimes, déplore ces lacunes, pointant notamment la responsabilité de la presse professionnelle agricole, très peu disserte sur le fonds. Il s’inquiète aussi des réticences des familles à déclencher celui-ci et parle de « l’immense difficulté des professionnels à admettre qu’une pathologie puisse découler de leur activité. Cette difficulté est encore plus grande quand il s’agit de leurs enfants dont les handicaps plus ou moins lourds seraient le fruit de leur travail. »

    Emilie le reconnaît : « Mon mari l’a très mal pris. C’est dur de se dire qu’on peut être responsable de la souffrance de son enfant. » Elle aurait préféré ne pas témoigner anonymement « parce que c’est important pour faire changer les choses mais mon mari n’a pas voulu. J’en ai aussi parlé à mon grand garçon qui veut travailler dans l’agriculture. Il n’a pas accepté non plus. Il faudrait que ça change tout ça », conclut-elle.

    #santé