Contre le technomonde végan et décarboné (par Philippe Oberlé)
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Ce n’est pas « l’humanité » qui est responsable, comme on peut le lire un peu partout, mais une seule et unique forme d’organisation sociale, une seule et unique culture humaine, un seul et unique mode de vie parmi les milliers d’autres qui ont existé – et existent encore – en ce monde. Cette culture méprisant la vie, qui octroie plus de valeur au téléphone ou à l’ordinateur qu’à la vie d’un enfant congolais ou ghanéen ; cette culture dont l’éthique place la bagnole et l’autoroute avant le cerf élaphe et sa forêt, c’est la civilisation industrielle née en Europe, produit du bien mal nommé siècle des Lumières. Cette civilisation européenne s’est répandue comme une lèpre à l’ensemble du globe, colonisant des paysages vivants – prairies, forêts, marécages, mangroves, montagnes, plaines alluviales, rivières – d’une beauté qui dépassait autrefois l’entendement, y exterminant par la même occasion leurs habitants humains et non-humains. Pour enlaidir et asservir le monde libre, la civilisation dissémine partout les verrues de son progrès – mines d’extraction, puits de pétrole et de gaz, oléoducs et gazoducs, mégalopoles et centres commerciaux, zones urbaines et périurbaines, écrans et panneaux publicitaires, zones industrielles et entrepôts, monocultures et élevages industriels, automobiles et autoroutes, routes et parkings, barrages et canaux, viaducs et tunnels, remontées mécaniques et téléphériques, centrales énergétiques et lignes à haute tension, transformateurs et câbles sous-marins, décharges à ciel ouvert et sites d’enfouissement de déchets toxiques/nucléaires, usines d’incinération et décharges sauvages, plantations industrielles et scieries, stations d’épuration et centres de stockage, etc.
Cette folie doit cesser.
Et plus loin :
La citation célèbre d’Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, est également mentionnée :
« Pendant trop longtemps, nous avons mené une guerre insensée et suicidaire contre la nature. »
Pourquoi « NOUS » ?!
VOUS – les Nations Unies, le Forum Économique Mondial, la Banque Mondiale, le FMI, l’Union Européenne, les États, les think tanks et autres groupes de lobbying pro-industrie, toute la mafia bureaucratique locale, nationale et globale, sans oublier les ultrariches, les grandes firmes, leurs PDG et actionnaires –, VOUS menez une guerre contre la nature au nom du « progrès » de l’humanité ! VOUS avez fait usage de la force par le passé, VOUS l’usez encore, et VOUS l’userez toujours pour imposer cette culture mortifère et son mode de vie débilitant presque partout sur Terre. VOUS êtes les uniques responsables du désastre socio-écologique planétaire. Ajoutons en prime qu’Amina J. Mohammed, vice-présidente générale de l’ONU, a été accusée en 2017 par l’ONG Environmental Investigation Agency d’avoir collaboré activement à l’une des plus grandes opérations de blanchiment de bois coupé illégalement de l’histoire lorsqu’elle était ministre de l’environnement du Nigéria[34]. La mafia chinoise du bois de rose aurait versé plus d’un million de dollars de pots-de-vin à des hauts responsables et officiels du gouvernement nigérian pour autoriser l’entrée en Chine de plus de 10 000 containers de bois dit « kosso » d’une valeur totale estimée à au moins 300 millions de dollars. L’affaire a semble-t-il rapidement été étouffée. Aujourd’hui, cette dame est toujours en poste et préside, tenez-vous bien, le « Groupe des Nations Unies pour le développement durable[35] ».
Cette technique discursive façonne l’inconscient collectif de la masse et suggère insidieusement que « nous » serions tous dans le même bateau, avec une responsabilité partagée équitablement entre tous les humains. Si les effets de telles pratiques paraissent indiscernables au premier abord, ils n’en sont pas moins dévastateurs. Les innombrables cultures rurales traditionnelles et les peuples autochtones de par le monde sont rendus invisibles par ce discours essentialiste. Les inégalités béantes inhérentes au capitalisme et, dans une plus grande mesure, à toute civilisation[36], disparaissent elles-aussi. Insultant la plupart des habitants du Sud global qui ne portent aucune responsabilité dans ce meurtre prémédité de la planète, ces propos sont symptomatiques de la violence quotidienne de la culture dominante. Voilà comment, grâce à la manipulation des mécanismes psychologiques du cerveau humain (ou marketing), à la puissance technologique offerte par Internet et les réseaux sociaux, l’on fabrique de toutes pièces une identité et une culture uniques pour l’humanité tout entière. L’emploi du nous a un effet rassembleur sur le bétail humain, chose essentielle pour guider le troupeau et « engager » les prospects dans la voie du progrès, pour réemployer un anglicisme à la mode chez les techno-ahuris de la startup nation. Nous serions tous responsables du désastre global mais, fort heureusement, nous pouvons faire des choix différents. Nous pouvons changer notre façon de consommer ! Diantre, mais pourquoi n’y avons-nous pas pensé plus tôt !? Outre le peu de considération pour la vie humaine réduite à l’achat – ou non – d’une marchandise ou d’une expérience sur un marché, ce discours laisse croire aux gens qu’ils ont le choix, donc qu’ils sont libres. Et dans le même temps, il limite drastiquement leurs moyens d’action en fixant le cadre, en limitant l’individu à son statut de consommateur. C’est une insulte à la dignité humaine. Êtes-vous un consommateur décérébré, un portefeuille sur pattes, un distributeur de billets ambulant ? Ou êtes-vous un être humain ?