Vous réclamez « une réforme législative protégeant la liberté d’expression des scientifiques ». J’ai souligné que, depuis 20 ans que se posent les questions de liberté d’expression sur l’internet, votre position est très faible (même si, par ailleurs, le travail de l’Observatoire est admirable et doit être défendu).
1. D’abord, demander dans la période actuelle une réforme législative touchant à la liberté d’expression, vous avez intérêt à être blindés pour qu’elle aille dans le bon sens. Vous n’ignorez pas que du côté législation et libertés, en ce moment, c’est le massacre plutôt que le progrès.
2. Une partie de votre réponse suggère que le critère définissant « la liberté d’expression des scientifiques », c’est le discours produit lui-même (votre passage idiot sur Nietzsche et le « discours scientifique »).
Deux gros écueils :
– vous tenez vraiment à ce que le juge détermine si un texte, de part sa forme ou sa procédure de validation, est scientifique ou non avant de bénéficier de telle protection légale ? Si c’est le cas, vous donnez le bâton pour vous battre. (Dans le cas présent, laisser à un juge le soin de décider si un texte intitulé « La deuxième mort de l’Ifop » de Garrigou relève de l’énoncé scientifique ou non, vous avez déjà constaté que c’est impraticable.)
– de toute façon, dans l’affaire qui vous touche, je ne crois pas que vous présupposez la bonne foi de vos adversaires (vous êtes bien gentil d’ailleurs de me comparer aux « trolls payés » de ces entreprises). Donc à quoi bon protéger « le discours scientifique », alors qu’il est évident que l’armée d’avocats d’une multinationale parvient toujours à attaquer une expression gênante sur d’autres bases que l’argument scientifique (diffamation, injure, etc.). Ce genre d’adversaire va toujours jouer en dehors du terrain sur lequel vous espérez être protégé (la liberté académique pour certains, la liberté des journalistes pour d’autres, etc.). Si on parle de procès destinés à faire taire un gêneur, il n’y a qu’une protection globale de la liberté d’expression des faibles face aux forts qui peut jouer, les protections sectorielles seront toujours inefficaces face à cela.
3. La fin de votre message suggère à l’inverse que ce qui définirait cette liberté à protéger serait l’aspect professionnel de celui qui s’exprime (« au sens de professionnel de la science »). Les journalistes font la même erreur (réclamer une protection spécifique sur la base du métier que l’on fait, pas de ce que l’on exprime). Alors vous m’excuserez, mais ça c’est bien une logique corporatiste.
Et j’insiste, cela fait 20 ans que les questions de liberté d’expression sur l’internet se posent, et réclamer des protections de l’expression publique en fonction du métier de celui qui parle, c’est indéfendable, puisque justement :
– la révolution de l’internet est de permettre un accès à l’expression publique en dehors des cadres de l’époque précédente ; c’est le fondement ; les discours scientifiques, journalistiques, etc., émergent largement en dehors des structures professionnelles classiques ;
– même pour les scientifiques de profession (comme pour les journalistes professionnels d’ailleurs), c’est certainement aussi fondamental que pour les simples particuliers, puisqu’ils peuvent diffuser (seuls ou à plusieurs) leurs travaux en dehors des circuits académiques/professionnels classiques. Le site de l’Observateur des sondages ne relève-t-il pas d’ailleurs de cette liberté totalement nouvelle qui s’offre à la publication scientifique ?
Bref, si vous voulez protéger le discours selon qu’il est émis par un scientifique de profession, alors non seulement vous passez à côté de la richesse nouvelle que permet l’internet, vous introduisez aussi une inégalité pour les espaces scientifiques que vous avez créés en dehors des structures académiques classiques (une telle protection va évidemment être restreinte au scientifique de profession, mais qui de plus s’exprime dans un cadre professionnel reconnu). Et comme le fait remarquer @rastapopoulos, la légitimité à ne protéger que les professionnels par rapport à certains amateurs éclairés au nom de l’intérêt public de la science ne me semble pas défendable (cela sans tomber dans le relativisme).
Le problème des scientifiques confrontés à la répression de leur expression est au final le même aujourd’hui que pour les non-scientifiques qui, désormais, ont accès à l’expression publique avec l’internet. Si vous n’aviez publié les textes de l’observatoire que dans le cadre traditionnel des publications scientifiques d’avant l’internet, avec leur diffusion limité aux cercles scientifiques, je doute que vous aillez subi les foudres de ces entreprises. C’est bien parce que vous accédez à l’expression publique large, en profitant des effets de recommandation (largement militante d’ailleurs) du réseau, et que vous publiiez sans avoir de capitaux permettant de faire face à un procès que vous avez ce problème : ce n’est pas du tout caractéristique d’un problème d’expression scientifique. C’est le fondement des questions qui se posent à tous les citoyens qui s’expriment depuis 20 ans sur l’internet.