à propos de ceux qui invoquent la « nature » pour justifier certaines positions morales prétendant combattre les choses « contre nature » :
J’aime à appliquer une règle empirique pour juger d’une argumentation au sujet de faits naturels, lorsqu’elle renvoie avec évidence à une certaine conception de la #société : si on nous présente la #nature précisément sous le jour qui nous conforte dans nos préjugés, il faut être doublement méfiant . Je considère avec la plus grande réserve l’argumentation qui nous demande de voir bonté, entraide, synergie et harmonie dans la nature – ces qualités que nous essayons à toutes forces de prendre en compte dans nos vies, et souvent sans succès. Je ne vois pas dans la nature de données en la faveur de la noosphère de Teilhard, de holisme dans le style californien de Capra, ou de résonance morphique, telle qu’elle est évoquée par Sheldrake. Le concept de Gaïa me paraît être une métaphore, non un mécanisme. (Les métaphores peuvent être éclairantes et intellectuellement libératrices, mais les théories scientifiques nouvelles doivent fournir des explications nouvelles au sujet des causes. Gaïa me paraît simplement formuler en termes différents les grandes lignes fondamentales énoncées depuis longtemps par la théorie biogéochimique des cycles en termes classiquement réductionnistes.)
Il n’y a pas de voie toute tracée pour la #morale. La nature n’offre rien, dans son essence, qui puisse répondre à nos attentes en termes humains – ne serait-ce que parce-que notre espèce est venue si tard et de manière si insignifiante, dans un monde qui n’a pas été construit pour nous. Et c’est tant mieux. Les réponses aux problèmes moraux ne sont pas là dans la nature, attendant d’être découvertes. Elles résident, comme le royaume de Dieu, en nous – le lieu le plus difficilement accessible à la découverte scientifique ou au consensus.
Stephen Jay Gould, « Kropotkine n’était pas cinoque », La foire aux dinosaures, réflexion sur l’histoire naturelle , Seuil, 1993.
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