Biopolitiques : usages d’un concept en temps de pandémie
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L’épidémie de COVID-19 aura donné lieu, entre-autres choses, à de nombreuses prises de positions publiques et médiatiques. On peut regretter que celles-ci n’aient que rarement été à la hauteur de la crise, quand elles ne donnaient pas tout simplement dans le covido-négationnisme. Or bien souvent, les influences théoriques (plus ou moins bien digérées) qui nourrissent de telles déclarations ne sont pas absolument explicites, mais se laissent entrevoir : par exemple, lorsque Alain Damasio compare le virus aux étrangers – « les migrants (…), les pas-comme-nous », etc. – et nous enjoint à accepter l’altérité du vivant qu’il constitue, on y décèle son appétence pour un certain vitalisme deleuzien, ou pour les travaux plus récents de Bruno Latour. Doit-on pour autant jeter le bébé avec l’eau du bain, rendre Deleuze responsable des métaphores nauséabondes qu’il aurait indirectement « inspirées » ? En définitive, cette seule question n’est sans doute pas très pertinente, mais il me semble toutefois intéressant de s’arrêter un peu sur les manières concrètes dont un héritage conceptuel peut être mobilisé, si ce n’est dévoyé, pour servir des positionnements politiques inconséquents et dangereux.
Et, puisque parmi les théoriciens invoqués par les discours sur la pandémie, Michel Foucault semble être l’un des plus prisés (à vrai dire, cela n’a rien d’étonnant), j’aimerais me pencher sur son cas, et en particulier sur le concept de biopolitique – selon une double approche : disqualifier ses mésusages d’abord, et tenter ensuite de déterminer s’il peut, mieux utilisé, s’avérer tout de même éclairant dans nos approches de la situation pandémique.
(...) si certaines figures médiatiques installées ont pu invoquer Foucault comme une référence bon teint (à l’image de BHL, dans Ce virus qui rend fou), c’est bien au sein de « l’extrême-gauche », pour parler vite, que cette référence mérite réflexion et critique. Une publication d’Olivier Cheval sur le site lundimatin, plaque tournante du confusionnisme s’il en est, me semble fournir un bon exemple. Son deuxième volet s’appuie sur Agamben pour fustiger la « biopolitique » épidémique, puis le troisième propose de « penser ce qui nous arrive avec Michel Foucault ». Or, l’auteur finit assez vite par déclarer que, si « les foucaldiens ont souvent été très réservés face à la manière dont Giorgio Agamben a investi le champ critique de biopolitique », la crise « donne raison (…) à Agamben ». Les absents, et donc les morts, ont toujours tort… Non pas que je souhaite ici « absoudre » Foucault, mais cela est sans doute symptomatique de la manière dont ses travaux sont relus, depuis une perspective qui a souvent plus à voir avec les affinités complotistes et situées, par exemple, d’un Agamben. Que ces dernières soit consubstantielles à ses directions théoriques, ou bien une dérive récente de sa trajectoire intellectuelle, là n’est pas le propos.
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