Nicole Garreau

Poétesse sans talent et dictateuse sans vergogne

  • croit bien que le statistiquement improbable va se produire : compte tenu de la lenteur, des bruits bizarres et de l’état catastrophique des trois, son vieil ordinateur, sa chienne et elle-même vont bel et bien réussir à crever pile-poil en même temps.

    Difficile de rester rationnelle face à une telle synchronisation.

  • se rend bien compte qu’aussi faible que celle-ci soit elle doit presque l’entièreté de sa « culture » à l’écrit — ce qui a pour conséquence qu’il y a foultitude de mots qu’elle ne sait pas prononcer correctement : elle se rappelle par exemple le jour où elle avait découvert stupéfaite que « chleuasme » se disait en réalité « klø.asm » et non « ʃlø.asm », ou celui où toutes les personnes qui vivent dans sa tête s’étaient moquées d’elle parce qu’elle articulait « pugnace » « pyɲas » et non « pyɡ.nas ».

    En revanche si elle apprenait maintenant que « capitalisme » se prononce en réalité « fa.ʃism », là ça ne l’étonnerait pas du tout.

  • pouffe en lisant le titre de l’article : « La Corée du Nord envoie des ballons-poubelles pleins de fèces et de papier hygiénique sur des villes de la Corée du Sud » !

    Ha ha ! Ce copieur de Jong-un a piqué l’idée de la vieille Garreau qui à l’aide d’un ingénieux dispositif catapulte depuis longtemps les crottes de sa chienne dans le jardin des voisin·e·s !

    Décidément, ces deux autocrates sont fait·e·s pour s’entendre.

  • en était sûre ! Il y a bien un lien direct entre « la morgue » et le verbe « morguer » — dans son acception « observer attentivement » : à une époque (pas si lointaine) où personne n’avait sa photo sur Facebook et où tout le monde se baladait sans papiers d’identité (aujourd’hui il n’y a guère que les Blanc·he·s qui ont gardé ce privilège), quand on retrouvait un macchabée dans un coin il était parfois rudement difficile de savoir qui cela pouvait bien être alors les cadavres glanés de-ci de-là étaient mis en vitrine durant un certain temps, dans l’espoir qu’à force de les... morguer quelqu’un·e finisse par les reconnaître.

    Visible depuis cent ans, quatre mois, treize jours et quelques heures, la dépouille du camarade Vladimir Ilitch Oulianov doit commencer à s’étonner que ses compatriotes ne soient pas plus physionomistes.

  • est partagée : d’un côté elle culpabilise de n’avoir point rédigé de dazibao hier soir — privé de sa boussole kimilsungiste-kimjongiliste-kimjonguniste le Lectorat a dû se sentir lâchement abandonné —, d’un autre côté c’est son journal intime alors si elle ne veut pas écrire elle n’écrit pas, d’autant qu’il y a Gai-Luron et Belle Lurette qu’elle n’a plus rien à raconter et qu’elle trouve de moins en moins de sens à participer à l’incessant bourdonnement de la ruche humaine.

    Vanitas vanitatum et omnia vanitas ; elle ferait mieux d’utiliser ses dix à douze dernières minutes « d’espérance » de vie à rester assise au soleil en attendant silencieusement la fin du monde.

  • doit dire que vous commencez à les lui hacher menu, avec vos photographies « anciennes » entièrement rebricolées à l’Intelligence Artificielle, mises au goût du jour, colorisées, lissées, corrigées, rajeunies et tutti quanti. Si elles étaient tout abîmées, en noir et blanc, cornées, granuleuses, floues, surexposées et pleines de personnes moches et cabossées C’EST PARCE QUE LE MONDE ÉTAIT RÉELLEMENT COMME ÇA, vains dieux ! Quand on sortait dans la rue ce que l’on voyait n’était ni en couleurs ni en vingt millions de pixels ! La vraie vie était pour de bon constituée de granulations, d’à-plats grisâtres et de coins déchirés.

    Votre modernisation des images d’antan ne les rend pas plus proches, elle n’est que l’expression d’un fantasme petit-bourgeois d’une société qui s’ennuie.

  • avoue, oui : elle aussi aurait parfois bien envie de s’empiffrer d’une bonne grosse boustifaille industrielle trop grasse trop sucrée trop salée, seulement elle n’a pas les moyens de mettre douze dollars dans une pizza surgelée ou un couscous Garbit® — c’est pour cela qu’elle déjeune présentement d’un petit cube de tofu à bas coût (1) et de racines bouillies.

    Le problème, c’est que ce n’est pas avec un régime alimentaire aussi sain (malgré elle) qu’elle va réussir à écourter son agonie ; décidément en ce bas monde rien n’est jamais parfait.

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    (1) Azerbaïdjan.

  • ne croit pas, non, que l’humour « c’était mieux avant » ; elle s’en était déjà fait la remarque l’autre jour en réécoutant quelques colucheries et en constatant à quel point de nombreux sketchs avaient tellement mal vieilli qu’on a aujourd’hui honte de jadis en avoir ri.

    Rebelote à l’instant en retombant sur une poignée de chroniques de Patrick Font dans « Rien à cirer » — là aussi ça frôle souvent la beaufitude réac, essentialisme à tous les étages, ha ha ha les blondes, ha ha ha les Arabes, ha ha ha les homos. Ça ne passerait plus et c’est tant mieux.

    Franchement, ça nous a fait marrer, ça ? Ce n’est pas étonnant que nous soyons devenu·e·s des vieilleux con·ne·s, hein : même plus jeunes nous en étions déjà.

  • a bien l’impression que le koulak laisse son troupeau de brebis à l’abandon : cela fait maintenant une éternité que la vieille Garreau n’a pas aperçu le moindre ballot de foin dans la mangeoire, et à chaque fois qu’elle passe à proximité les petites bêtes accourent vers elle en bêlant à qui mieux mieux ; or pour que ces ovines, ordinairement peu téméraires, perdent toute prudence et se précipitent comme ça vers une inconnue (a fortiori accompagnée d’une clébarde), ça signifie que soit elles ont chopé la grippe aviaire de la vache porcine, soit leurs estomacs crient vraiment famine.

    Bon, évidemment, elles pourraient brouter de l’herbe — le pré en est plein et celle-ci est même plutôt haute. M’enfin ce sont des brebis de leur temps, hein : elles devraient avoir droit à leur petit plat cuisiné et ne pas avoir à se comporter comme de vulgaires animaux préhistoriques en étant obligées de bouffer des trucs qui poussent par terre.

  • mourrait là, maintenant, tout de suite, les inspecteurices de la Police Judiciaire découvriraient que sa toute dernière recherche sur Internet concernait les apports nutritionnels du concombre.

    Ça ajouterait à son côté énigmatique et improbable.

  • ne s’y habitue pas. Oh, certes elle n’a jamais été Miss Monde et n’a d’ailleurs jamais tellement souhaité l’être (n’a-t-elle pas coutume de dire que « la laideur est le seul acte révolutionnaire qui soit encore à notre portée » ?) mais avec l’âge c’est abusé — ces chairs molles et cette peau parcheminée, ces canyons et ces crevasses, ces seins qui lui tapent sur les genoux quand elle marche, cette bouche édentée, ces orteils tordus (elle qui jadis était si fière de « ses orteils de pianiste ») et ce cou de dindon, franchement ce n’est pas possible. C’est elle, ça ?

    Ha ha, non, bien sûr que non, techniquement ce n’est pas elle. Les cellules du corps humain qui battent les records de longévité sont les ostéocytes qui tiennent dix ans — à l’autre bout du spectre les cellules de l’intestin survivent à peine quelques jours. Cela signifie qu’à son âge il y a Gai-Luron et Belle Lurette que plus aucun morceau n’est d’origine ; tous ne sont que des copies de copies de copies avec déperdition d’informations à chaque génération, un peu sur le principe du bateau de Thésée ou comme un fichier « .jpeg » ou « .mp3 » recompressé à chaque nouvel enregistrement. C’est ça, c’est seulement ça la cause de la sénescence : l’accumulation d’erreurs de transcription.

    Il y a maintenant une parfaite étrangère dans son miroir – en tout cas une Nicole que celle de jadis n’aurait jamais reconnue.

  • avoue un peu honteusement avoir pouffé de rire malgré la beaufitude absolue du propos de la bourge : occupée à tout commenter devant l’étal de fruits et légumes du temple commercial, une petite dame aux faux airs de Zabou Balkany éructa à l’attention de son Patoche un inattendu, rauque et tonitruant « 4,90 le kilo de poireaux ? Non mais ils se touchent eux ! ». Un silence de plusieurs secondes s’ensuivit dans tout le magasin, l’employée et les quelques autres client·e·s présent·e·s en restèrent bouche bée.

    En tout cas oui, bravo pour cette tardive prise de conscience, chère madame : effectivement, iels se touchent. Dans une Économie de marché les koulaks se touchent, les poujadistes se touchent, les intermédiaires se touchent, tout le monde se touche. Le capitalisme n’est qu’une grande branlette — dans ce contexte il n’y a guère que la gueusaille qui ne risque pas la surdité.

    Après, hein, sans vouloir vous offusquer, quand une personne se permet d’acheter des fruits et légumes qui ne sont plus vraiment de saison, c’est probablement qu’elle n’a pas les mains au-dessus de la ceinture elle non plus.

  • n’est pas idolâtre pour un rond, vous savez, elle est certes une contemplative dans l’âme mais l’admiration est une notion qui lui reste parfaitement étrangère. Par exemple, elle serait incapable de donner un seul nom si on lui demandait quel·le est son acteurice contemporain·e favori·te — parmi celleux de son époque à elle elle aurait éventuellement désigné Arletty mais parmi celleux d’aujourd’hui elle ne sait pas, elle n’en connaît pas beaucoup, elle n’est pas très cinéphile.

    Chez les jeunettes il y en a cependant une qu’elle remarque et dont le jeu la fascine à chaque fois qu’elle l’aperçoit, c’est Kiberlain — on ne peut nier qu’elle a un truc, Kiberlain, une tension silencieuse, quelque chose comme ça. La meuf vous la plantez toute seule immobile au milieu d’un décor vide, et même sans prononcer un seul mot elle fait tout passer, on dirait qu’elle va imploser. On pourrait s’agacer de ce qu’elle a toujours l’air au bord des larmes et ne se départ jamais de son regard de cocker, chez n’importe qui ce serait insupportable mais pas chez elle : elle est fondamentalement une comédienne de la retenue, sans rien faire elle rend les non-dits extrêmement lisibles et chope la lumière.

    Voilà. C’est rare, hein, que dans un dazibao la vieille Garreau ne dise pas du mal de quelqu’un·e ? Rassurez-vous, ça n’arrivera plus, là c’est juste parce qu’elle a regardé hier soir « Mademoiselle Chambon » (sur Arte, on ne précise plus) et que si l’on ne décroche pas une seule seconde de ce film pas très révolutionnaire dans lequel il ne se passe pas grand-chose c’est uniquement parce que cette actrice le porte à bouts de bras. Quasiment sans un geste. Juste en étant là, avec sa silhouette dégingandée et sa mine de vase en porcelaine qui va tomber de l’étagère d’un instant à l’autre.

    Alors, son acteurice contemporain·e préféré·e ? Elle ne sait toujours pas mais peut-être qu’elle commence à avoir une petite idée.

    #LaitCailléDuCinéma.

  • ne sait pas quoi en penser... Des ceusses ont disposé une installation éminemment artistique sur le muret du lavoir, à la sortie du village : dans des cageots remplis de paille iels ont assez habilement bricolé de petits ovins faits de brindilles, de mousses et de cailloux — comme des espèces de crèches laïques et mono-espèce — surmontés d’un écriteau faussement maladroitement calligraphié annonçant crânement la présence des « Moutons du lavoir ». On devine l’intention bucolique et l’ensemble est d’une esthétique très bobos-néo-rurales-z-et-ruraux, genre électorat de Glucksmann et abonnement à Télérama (1).

    Deux questions se posent : qui a bien pu faire ça et surtout à quoi pouvait-iel bien penser en le faisant ? Car c’est mal connaître Sapiens Sapiens que penser que « l’œuvre d’Art » laissée en accès libre ne sera pas dégradée dans les vingt-quatre heures : les premiers gosses de bourges qui vont passer par là à Mobylette® seront insensibles à la poésie agro-pastorale et vont vraisemblablement déglinguer tout ça à coups de lance-pierres, ou récupérer les matériaux utilisés pour en faire un feu de joie. Parier sur la gentillesse ou le respect des êtres humains est TOUJOURS une erreur, a fortiori dans les cambrousses.

    Enfin bref, celleux qui n’avaient rien de mieux à faire que créer ces saynètes et celleux qui n’auront rien de mieux à faire que les détruire sont tout de même uni·e·s par un trait commun : pour les occuper il leur faudrait une bonne guerre.

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    (1) Le pire c’est que ce ne sont pas les pires.

  • ne parvient pas à voir autre chose chez ses contemporain·e·s, vains dieux — lorsqu’elle les regarde elle ne voit que leurs « Ça », leurs archaïsmes, leurs atavismes, toutes les petites ficelles de l’égotisme et de la mesquinerie ordinaire. Dans le moindre de leur geste ou de leur comportement elle distingue toujours la/le primate tapant sur des cailloux.

    Après si elle n’aperçoit QUE cela c’est probablement parce qu’elle aussi, c’est son seul moteur, que sous une mince couche de vernis écaillé ce « préhistorisme » (sic) est l’unique chose qu’elle a en elle. Que, bien qu’elle s’en défende, elle puisse elle-même appartenir à cette très primaire espèce animale et être régie par des principes identiques la rend malade. Ce n’est même pas « être », qui est insupportable, mais la conscience de n’être que ce que l’on est — des monstres de médiocrité.

    N’empêche, il semblerait que nous n’ayons jamais eu autant raison que jadis dans les cours de récréation, quand à la moindre remarque nous rétorquions pour une fois assez finement que « C’est cellui qui dit qui y est ».

    #RuminationsMatutinales.

  • pourrait quasiment être dactylo, maintenant : à force de clavarder en tapotant toujours sur le même vieux clavier d’ordinateur, elle connaît l’emplacement des touches par cœur et n’a plus besoin de regarder ses doigts.

    Enfin du moins ça fonctionne tant qu’elle n’y pense pas ; dès qu’elle se met à réfléchir elle est perdue et commence à yz^rt n’où^ptyr sipo.

  • est assez d’accord avec ça, oui : elle aussi, aussi loin qu’elle se souvienne, c’est TOUJOURS la réalité qui lui a gâché la vie.

    Franchement si la réalité veut vraiment qu’on la choisisse et qu’on y vive, il faut qu’elle commence par arrêter de nous les hacher menu.

  • pourrait tenter de résumer en quelques lignes le propos du mini-feuilleton qu’elle est en train de regarder, non ? Pourquoi pas ? Ça lui ferait un petit exercice de rédaction, et puis surtout ça lui permettrait peut-être de voir si elle-même y comprend quelque chose, parce que plus le récit avance plus ça lui paraît alambiqué.

    Alors voilà : grosso modo c’est l’histoire d’une meuf qui fut orpheline très tôt puisque ses deux parents sont morts dans un accident automobile qui ne fut pas vraiment un accident et dont elle fut la seule survivante. Devenue adulte « CSP+ » et alors qu’elle vit avec son amoureuse voilà que subitement elle vire hétérote et se maque avec un phallocrate qui s’avère être le seul garçon qui prenait jadis sa défense dans la cour d’école — elle elle le sait, pourtant lui ne l’a pas reconnue, d’où asymétrie. On se doute d’autant plus que ça va beuguer que le ceusse veut impérativement lui coller un lardon, projet qui ne semble pas pouvoir aboutir par les voies « naturelles » et qui de toute façon la laisse tiédasse (et on la comprend puisque sur ce flux SeenThis nous sommes tou·te·s d’accord pour dire que les enfants sont la plaie de l’humanité).

    Bref, comme si la situation n’était pas assez craignos comme ça, voilà que l’assez peu fréquentable frangin du keum emménage dans la maison d’en face en compagnie de sa légitime qui n’est autre que... l’ex-concubine de notre orpheline. Aïe. Vous suivez toujours ? Attention ça se complique, alors à partir de maintenant nous allons nommer « Meuf A » et « Keum A » les membres du premier couple, et « Meuf B » et « Keum B » ceux du deuxième.

    Suite à une embrouille lors d’une soirée à laquelle participent les deux ménages (enfin les deux et demi), Keum B (devenu beau-frère de Meuf A) et Meuf B (l’ex de Meuf A devenue donc belle-sœur de Keum A) se foutent sur la gueule, si bien au beau milieu de la nuit Meuf et Keum A (qui, rappelons-le, habitent juste en face de Meuf et Keum B) croient voir le frangin transporter le corps de l’ex dans le coffre d’une Lada® — mais nous apprendrons quelque temps plus tard qu’en fait c’était Meuf B déguisée en Keum B, sans pour autant avoir la certitude qu’en parallèle il y avait bien le cadavre de Keum B à la place de celui de Meuf B, bien qu’on ait vu Meuf A zigouiller le premier en venant à la rescousse de la seconde.

    Pensant à tort ou à raison que son frangin a claboté, Keum A flippe et tente de se pendre mais est sauvé in extremis par Meuf A, puis atterrit en hôpital psychiatrique pendant que Meuf A s’enfuit dans la montagne roucouler avec Meuf B qui attend un gosse de Keum B — mais si Meuf A ne voulait pas d’enfant avec Keum A il s’avère qu’elle n’en veut pas davantage avec Meuf B, a fortiori si le géniteur de celui-ci est Keum B, le potentiel mort responsable du suicide raté de Keum A.

    Là-dessus on peut se perdre en supputations : est-ce que Meuf A ne s’est pas remise avec Meuf B qu’elle tient plus ou moins sous sa coupe dans le seul but de récupérer le futur môme que pourtant elle ne veut ni ne parvient à obtenir avec Keum A ? Est-ce que par hasard Keum A et Keum B n’étaient pas les responsables de « l’accident » qui avait coûté la vie aux parents de Meuf A ? De qui Meuf B est-elle la complice ? Et surtout étant donné qu’il ne reste plus qu’un seul épisode à regarder, comment le cinéaste va-t-il s’y prendre pour débrouiller tout ça en cinquante-deux minutes ?

    Ah la la, c’est peut-être son cerveau qui ramollit mais il semble à la vieille Garreau que les feuilletons télé étaient quand même plus simple à suivre du temps des « Saintes chéries » et de « Rintintin ».

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    « L’Amour fou », de Mathias Gokalp, trois épisodes sur Arte.

  • imagine que ça peut sembler étrange pour une vieille peau dans son genre, mais depuis qu’elle a remis des piles dans son walkwoman elle ne le quitte quasiment plus lors de sa promenade quotidienne. « Idéologiquement » elle est bien sûr plutôt dubitative quant à l’utilisation de ces astucieux petits appareils, mais elle est bien obligée de reconnaître que la musique — la musique choisie — enrichit la cambrousse comme la cambrousse enrichit la musique : elles sont la grille de lecture l’une de l’autre, elles se complètent et s’explicitent.

    Il ne s’agit évidemment pas de s’assourdir ni d’assourdir la campagne et le volume des écouteurs doit être réglé au strict minimum : les sons extérieurs ne doivent pas être recouverts, bien au contraire puisqu’ils sont partie prenante du voyage. Le clapotis de l’eau, le vent dans les derniers arbres, le chant des rares oiseaux que Sapiens Sapiens n’a pas encore eu le temps de zigouiller, les bêlements des vaches ou les meuglements des brebis doivent se mêler aux saxophones, pianos, guitares et contrebasses, créant des harmonies sans cesse différentes et inédites, ouvrant les portes de la perception, dévoilant l’essence-même du monde en l’entrelaçant, entraînant la très contemplative promeneuse dans un festival où tous les sens ne font plus qu’un. Une sorte de trip sans LSD.

    Bon, on parle ici de VRAIE musique, hein ; ça ne fonctionne vraisemblablement pas avec du Maître Gims ou du Sardou.

  • vérifie parce que ça lui semble d’autant plus cocasse qu’elle l’a souventes fois fredonnée sans jamais s’interroger sur l’auteurice véritable, mais... oui, vains dieux, c’est pourtant vrai... « La Makhnovchtchina », enfin plutôt la chanson à la gloire de la Makhnovchtchina, l’armée insurrectionnelle anarchiste ukrainienne du début du siècle dernier, eh bien « La Makhnovchtchina », « Alexandrie Alexandra » et « Joe le Taxi » ont été écrites par la même personne. Si si ! Roda-Gil. Truc de ouf. Candide comme elle est, elle croyait sincèrement que c’était la transcription d’un authentique texte révolutionnaire contemporain de Makhno !

    Bon, maintenant est-ce que sa vie aurait été fondamentalement bouleversée si elle avait eu connaissance de ça plus de dix à douze minutes avant de mourir ? Rien n’est moins sûr, mais elle commence à se demander si par hasard il n’y a pas d’autres trucs comme ça que tout le monde sait sauf elle, et cette angoisse supplémentaire n’est évidemment pas de nature à apaiser son agonie.

    • Ah : redde Caesari quae sunt Caesaris j’ai découvert cette anecdote sur « Minutes Rouges », dans le volet traitant de l’Internationale Situationniste. « Minutes Rouges » c’est une éblouissante chaîne Youtube, drôle, érudite et mine de rien plutôt pointue, qui traite de toutes les facettes et tous les courants communistes depuis le pléistocène et où même une vieille kimilsungiste-kimjongiliste-kimjonguniste apprend des trucs à chaque épisode. Franchement les ceusses font un boulot de dingue et c’est du nanan.

  • mesure l’étendue de son inculture : elle apprend seulement aujourd’hui qu’il existait une autre écrivaine portant le nom de Duras, et que comme pour notre bonne vieille Marguerite ce nom n’était que de plume et d’emprunt.

    Chose amusante pour quiconque s’amuse d’un rien, à l’État civil l’une s’appelait « Kersaint » comme l’autre se nommait « Donnadieu » — la vieille Garreau en déduit que prendre pour pseudonyme « Duras » serait une tentative d’échapper à l’au-delà.

    #RuminationsMatutinales.

  • songe souvent à ça, elle songe souvent qu’elle a aujourd’hui largement — très largement — dépassé l’âge qu’avaient ses aïeules et aïeux qui lui paraissaient jadis si vieilles et si vieux. Elleux avaient « suivi le bon sens » et réussi à se forger une vie plus ou moins en ligne droite, s’étaient installé·e·s dans l’existence et étaient devenu·e·s sinon des notables au moins de dignes petites gens, respectables et respectés.

    Elle non. Elle elle aurait pu mais ne pouvait pas, elle elle ne savait pas faire, elle avait une case de vide, une impossibilité relationnelle et bien que maintenant multi-centenaire elle est toujours en équilibre socio-psychologique précaire, moitié cassos moitié zinzin, pas un chapeau de vendu — elle est la voie sans issue, la branche sans feuilles de l’arbre généalogique.

    M’enfin elle a lu Kerouac et Duras, Céline et Ernaux, Flaubert et Despentes, elle a été punkàchienne, pompiste échelon Trois et dictateuse, elle a gardaremé lo Larzac, brûlé son soutif sur les barricades, bu des hectolitres de mauvais vin et pris du LSD, elle s’est fait bouillave dans des coins sombres et puis surtout elle connaît par cœur la liste des départements, préfectures et sous-préfectures, alors à l’heure du bilan final ça compense peut-être un peu.

    #VaineTentativeDAutoConsolation.

  • ne connaît pas de méthode, non, pour être sûre ne jamais commettre de fautes d’orthographe (plus grand crime qui puisse être perpétré ici-bas), mais elle en connaît une pour en éviter la plupart : comprendre soi-même ce que l’on rédige.

    « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément » disait Boileau — il en est de même à l’écrit et la structuration de la pensée est la seule condition sine qua non pour que l’orthographe coule de source. Visualisons, pensons sérieusement à ce que nous écrivons, et à moins que nous soyons complètement débiles le bon accord de l’adjectif de couleur ou celui du participe passé à la forme pronominale deviendra une évidence.

    Ce précepte souffre bien quelques exceptions mais par définition celles-ci sont... exceptionnelles.

    #NonSeulementLaGarreauEstVieilleEtMocheMaisEnPlusEllePontifie.

  • sait que si elle ne se contrôlait pas en permanence elle aussi pourrait se comporter en sale petite bourgeoise décadente et commencer à aimer l’odeur de l’herbe fraîchement coupée — alors que nous savons pertinemment que ladite odeur n’est que l’expression de la douleur et de la détresse de la plante que l’on mutile et assassine.

    La vieille punkàchienne est donc à chaque fois obligée de penser contre elle-même et de se forcer à détester ces effluves ; elle n’oserait plus se regarder dans un miroir si un jour elle lâchait prise pour s’en délecter.