verbatim de la partie de l’émission « Libre à vous » diffusée sur la radio Cause commune consacrée à Ada & Zangemann.
Livre illustré Ada & Zangemann
Frédéric Couchet : On va changer de sujet. Deuxième sujet, justement pour la diversité, ça va être important. Je crois que c’est Florence qui a proposé qu’on parle de cela, je ne sais plus.
Florence Chabanois : Je croyais que c’était toi.
Frédéric Couchet : Peut-être moi, on a tous proposé un sujet. C’est toi qui as proposé le deuxième dont on va parler après.
Là, on va parler d’un livre illustré qui vient de paraître, qui s’appelle Ada & Zangemann, un conte sur les logiciels, le skateboard et la glace à la framboise. Il a été écrit par Matthias Kirschner qui est le président de la Free Software Foundation Europe, la Fondation pour le logiciel libre en Europe, et qui est mis en dessin par Sandra Brandstätter ; il fait 56 pages, au tarif de 15 euros, sachant que ce livre illustré est sous licence libre, donc la version PDF est en ligne. On a une version papier pour 15 euros, qu’on peut commander chez l’éditeur, pareil les références sont sur libreavous.org.
Qui l’a lu ? Je vous l’ai envoyé à l’avance. Florence l’a lu.
Isabelle Carrère : Moi aussi.
Emmanuel Charpentier : Moi aussi.
Frédéric Couchet : Qui veut commencer ? Isabelle, peut-être, parce que sur le salon Open Source Experience, tu n’as pas beaucoup parlé. Que peux-tu dire de ce livre illustré ?
Isabelle Carrère : J’ai trouvé ça très sympathique. J’en parlais avant l’émission, j’ai regretté qu’il n’y ait pas un endroit dans le PDF et peut-être dans le livre pour que les parents qui liraient ça à leurs enfants puissent dire : pourquoi Ada, qu’est-ce que c’est que ce nom ? Qu’est-ce que ça représente ? C’est dommage que ça ne soit pas dit. Pareil pour Zangemann.
Je crois que ce que j’ai préféré c’est la glace à la framboise. Je trouve génial la façon très intelligente de présenter le fait que c’est nul à chier qu’il y ait quelqu’un qui décide pour nous qu’il n’y aura qu’une seule chose, et là c’est le parfum du jour. On ne va pas tout dévoiler de l’histoire, mais quand même, il y a une affaire dans laquelle il est dit qu’il y a quelqu’un, un grand chef, un grand maître, qui décide qu’aujourd’hui le goût de la glace c’est la framboise, point. Il n’y aura rien d’autre, il n’y aura pas vanille, il n’y aura pas praline, rien du tout. Je trouve que c’est futé comme façon de présenter le fait qu’il est super important d’arrêter la concentration des pouvoirs et d’arrêter le fait qu’il n’y ait pas un choix.
Emmanuel Charpentier : Il va falloir que tu nous expliques Ada, quand même, je pense que plein d’auditeurs ne savent pas à quoi tu fais référence. Vas-y.
Isabelle Carrère : Moi j’ai parlé de la glace à la framboise ! C’est à toi !
Frédéric Couchet : C’est toi qui as commencé pour Ada !
Emmanuel Charpentier : Ada, c’est le nom d’un langage de programmation, n’est-ce pas !
Isabelle Carrère : Bien sûr ! C’est surtout le prénom de quelqu’un.
Emmanuel Charpentier : Exactement, Ada Lovelace, née Ada Byron, la première programmeuse, en tout cas qu’on considère comme telle, une femme exceptionnelle, sur laquelle on attend des films et des œuvres un peu plus fortes que les quelques biographies qui sont déjà sorties. On rappelle que les premiers programmeurs sont des programmeuses et c’est vrai aussi de l’époque moderne, c’est-à-dire Seconde Guerre mondiale, débuts de la programmation dans les années 60, c’était avant tout des femmes qui étaient là. Ça s’est transformé avec le temps, mais il y a quand même une origine intéressante.
Isabelle Carrère : Je ne suis pas sûre que ça soit avec le temps que ça s’est transformé.
Emmanuel Charpentier : Avec l’argent peut-être !
Isabelle Carrère : Je pense que c’est plutôt parce qu’on s’est rendu compte, soudainement, qu’il y a un pouvoir, là, qu’on ne pouvait pas laisser ce pouvoir-là aux femmes. Par contre, la vraie question serait : si on avait laissé l’informatique plus aux mains des femmes où en serait-on, là, maintenant ? Eh bien je ne sais pas dire ! Je ne pense pas qu’on en serait juste à trouver une petite place pour les hommes, je ne crois pas. Qu’est-ce que ce serait devenu ? Est-ce qu’on aurait une société à ce point encline à tout numériser, tout informatiser ? Je ne suis pas sûre.
Frédéric Couchet : Petite précision sur Ada Lovelace : sur libreavous.org, vous pouvez rechercher [libreavous.org/45], on a consacré une émission à sa biographie écrite par Catherine Dufour, il y a trois/quatre ans, Ada ou la beauté des nombres. En tout cas, écoutez-la et lisez Catherine Dufour parce que c’est une autrice formidable.
Concernant le sujet que vous venez d’aborder, je vous conseille notamment la lecture de Les oubliées du numérique, d’Isabelle Collet, qui a aussi écrit pas mal d’articles. Je crois qu’elle est intervenue l’an dernier à l’Open Source Experience, il est possible que ça ait été filmé [1]. Isabelle Collet est une informaticienne, sociologue et spécialiste des questions de genre à l’Université de Genève ; Les oubliées du numérique et les vidéos d’isabelle Collet.
Florence, qu’as-tu pensé du livre illustré ?
Florence Chabanois : J’ai beaucoup aimé. Il a des imperfections, mais l’informatique, aujourd’hui, gérer la partie matérielle, mais aussi software, c’est quand même avoir du pouvoir que parce que c’est ça qui va influencer la vie de chacun et chacune. Je trouve que c’est un message qui est assez bien transmis, le côté « on n’est pas obligé de subir les décisions des personnes qui sont sur des modèles propriétaires et de ne pas avoir d’influence dessus ».
J’ai bien aimé que l’héroïne soit une fille.
Après, effectivement, ça traite un sujet, et quand même pas trop tout ce qui est inclusion, n’est-ce pas Isabelle. Effectivement, on ne parle pas de handicap ou d’orientation sexuelle, mais, en même temps, c’est une première étape, l’idée c’est qu’on puisse l’enrichir. Je trouve qu’il a le mérite d’exister. Pour expliquer le logiciel libre aux enfants, je trouve que c’est plutôt réussi, pour le coup.
Enfin, le message « quand c’est gratuit, en fait c’est vous qui êtes le produit » est quand même aussi un peu transmis. C’est aussi quelque chose que j’apprécie.
Frédéric Couchet : Pas mal de personnes ont commenté ce livre. D’ailleurs, je vais citer une partie de l’avis d’Isabelle Collet dont je viens juste de parler : « La force de ce livre c’est de proposer une vraie histoire qu’on a envie de découvrir et pas juste une histoire prétexte à un message d’orientation scolaire ou professionnelle. Cette histoire se démarque de beaucoup de récits de ce type. Pour une fois, on n’a pas une fille seule contre tous qui se bat pour réussir son rêve, mais une fille bien entourée par un groupe de copains et copines qui construisent avec elle un monde nouveau. Non seulement ce livre met en valeur une fille ingénieuse et passionnée de technique, mais également un groupe de jeunes qui, à sa suite, se réapproprient la technique pour la partager avec la cité. » C’était l’avis d’Isabelle Collet. Et on a l’avis d’un informaticien, Stéphane Bortzmeyer, qu’on a également reçu dans l’émission – on va finir par avoir reçu tout le monde dans Libre à vous !. Il a bien aimé, mais il met un petit bémol, je vais vous lire le bémol, je vais vous demander ce que vous en pensez : « Je n’ai, par contre, pas aimé le fait que, à part pour les glaces à la framboise, les logiciels ne soient utilisés que pour occuper l’espace public sans tenir compte des autres. Zangemann programme les planches à roulettes connectées pour ne pas rouler sur le trottoir donc respecter les piétons. Ada écrit du logiciel qui permet aux planchistes d’occuper le trottoir et de renverser les personnes âgées et les personnes handicapées. L’espace public est normalement un commun qui devrait être géré de manière collective et pas approprié par les valides qui maîtrisent la programmation. Un problème analogue se pose avec les enceintes connectées où la modification du logiciel va permette de saturer l’espace sonore, un comportement très macho, alors que le livre est censé être féministe, et de casser les oreilles des autres. Remarquez, cela illustre bien le point principal du livre : qui contrôle le logiciel contrôle le monde. » Est-ce que vous avez eu ce sentiment-là ? Ou pas du tout ? Isabelle.
Isabelle Carrère : Je partagerais ça en effet. Comme le disait fort justement Florence tout à l’heure : c’est déjà ça, c’est un début. Oui, ce n’est pas parfait et cela fait partie des choses qu’on peut lui reprocher, effectivement, mais comme on pourrait reprocher d’autres choses sur la façon dont ce groupe d’enfants d’abord, petit à petit des adultes qui viennent. Il y a des choses qui ne sont effectivement pas suffisantes, mais il est déjà là ! Mais je suis d’accord, cela est une problématique.
Frédéric Couchet : Manu, Florence ? Pas obligés.
Florence Chabanois : En tout cas, j’aime beaucoup son commentaire, en effet, il pointe des problématiques sont réelles. La plupart des personnes, au moins une moitié de la population, n’a pas forcément conscience du côté espace partagé, que ce soit sonore ou public. Je trouve très cool que Stéphane le dise et le souligne.
Je pense aussi qu’il y a le côté virilisme qui est plutôt encouragé chez les enfants : c’est marrant d’aller bousculer les gens. Quand on est enfant, c’est mieux, c’est plus prestigieux d’embêter les autres que d’être juste sages. Ce livre surfe un peu sur cette vague, mais je pense que c’est aussi ce qui peut faire son succès dans le sens où les enfants vont, malheureusement peut-être, apprécier ce côté coquin.
Frédéric Couchet : On précise qu’une possibilité de faire connaître ce livre, au-delà de la famille et des amis, c’est dans des écoles.
Je précise aussi qu’il y a beaucoup de textes, contrairement à ce qu’on pourrait croire, c’est effectivement un illustré, mais il y a quand même beaucoup de textes et, comme ce sont 56 pages, par rapport à l’âge des enfants, ce n’est pas forcément dès le premier âge, il faut peut-être un accompagnant ou une lecture commune avec un parent. Manu.
Emmanuel Charpentier : Je pense que ce n’est pas un conte pour enfants, je pense que c’est un conte tout court qui s’adresse très bien aux adultes. Il permet d’aborder des problématiques : la mairie, les choix de vie en société, il y a des choix bien plus élevés. Même le fait d’être bloqué avec un fournisseur de technique : Zangermann est le fournisseur officiel des logiciels de la mairie et la mairie est bien embêtée pour s’en débarrasser. Je pense que ça passe bien au-dessus de la tête des enfants, de celle des adultes aussi, d’où l’intérêt d’un conte qui va essayer d’aborder ce sujet. Je trouve que c’est plutôt bien amené.